Le Juge et l’assassin est surtout connu aujourd’hui pour avoir révélé le talent dramatique de Michel Galabru (pourtant déjà grand comédien de théâtre issu de la Comédie française). En effet, son rôle de meurtrier déséquilibré lui permit d’obtenir le César du meilleur acteur en 1977, faisant ainsi oublier les rôles comiques qui lui avaient apporté le succès (la série du Gendarme). Si au vu de la prestation de Galabru, on peut trouver cette récompense méritée, on peut aussi la juger injuste envers le reste de la distribution. En effet, tous les comédiens, des plus gros rôles (Philippe Noiret, Isabelle Huppert, Jean-Claude Brialy…) aux plus petits (Gérard Jugnot qui la même année se trouve à l’affiche, toujours dans de courtes apparitions, de films comme Le Locataire de Roman Polanski ou Monsieur Klein de Joseph Losey), sont d’une justesse telle qu’elle ne peut être due qu’à la présence d’un grand directeur d’acteurs. Bertrand Tavernier réussit ainsi à rendre extrêmement crédible sa retranscription d’une France de la fin du XIXème siècle coupée en deux (avec, d’un côté, une France maurassienne et antisémite et, de l’autre, les mouvements anarchistes, influencés par Ravachol, et socialistes). Cette période très politisée est symbolisée par l’affrontement entre les défenseurs d’Alfred Dreyfus et les antidreyfusards, ce qui explique les nombreuses références à Émile Zola et l’affaire. Le Juge et l’assassin constitue donc une excellente reconstitution de cette époque trouble servie par de grandes prestations d’acteurs. Tavernier privilégie ces aspects et choisit donc une mise en scène extrêmement classique (choisir au scénario Jean Aurenche et Pierre Bost, symbole du cinéma de Qualité française tant décriée par François Truffaut et la Nouvelle Vague, est une revendication claire de cette forme de cinéma). Ainsi, si les amateurs d’œuvres cinématographiques où la forme est mise en avant pourront regretter ce manque d’audace visuelle, la qualité de l’interprétation, le travail de reconstitution (n’oublions pas que, même si les noms ont été changés, le film s’inspire d’une histoire vraie) et la beauté de la photographie permettront au Juge et l’assassin d’intéresser une grande partie du public adepte de cinéma français classique.