J'allais vers Rain Man à reculons, craignant d'y trouver un représentant de plus du genre le plus institutionnalisé du cinéma américain ; à savoir celui des mélos larmoyants et moralisateurs qu'Hollywood adore tant couvrir d'Oscars et de louanges, sans doute pour se persuader de sa propre exemplarité morale. Une histoire originale, une situation de départ problématique, un personnage qui s'amende : tous ces éléments sont contenus dans Rain Man, tout ce qui me donne si souvent l'impression d'être pris pour une buse et donne trop souvent lieu à des histoires écrites d'avance qui paraissent trop lisses pour receler la beauté brute qui me touche bien plus facilement. Le départ de Rain Man, sans lever mes doutes, m'a quelque peu rassuré, en évitant de présenter le personnage de Tom Cruise avec un regard trop condamnatoire. Mais par la suite, alors que le road-movie commençait à s'écrire, j'ai été confronté à un autre problème ; le personnage de Dustin Hoffman, qui m'était quasi-antipathique. Ses défauts, son maniérisme, son apathie étaient ses seuls traits de caractère apparents, et j'étais comme le personnage de Tom Cruise alors à des années-lumières de ressentir une quelconque empathie ou compassion pour lui. Comme le personnage de Tom Cruise. C'est là qu'est la clé, en fait. Car moi, qui persistait à supposer de Barry Levinson un traitement moralisateur, me sentait presque regardé comme un type sans âme, à ne rien ressentir devant un personnage que j'étais supposer prendre en pitié, comme si le film était le miroir de ma propre froideur. Mais après avoir laissé sa chance à Rain Man jusqu'au bout, je me rend compte de m'être en quelque sorte englué dans une pétition de principe qui m'empêchait de bien saisir ce que je voyais. Car après coup, je n'ai en effet vraiment pas la sensation que Levinson essaie, durant sa première partie, d'être attendrissant. Il offre plutôt au spectateur le regard agacé, sinon excedé, de Tom Cruise, et finit par élargir et humaniser son film, en montrant l'autiste joué par Dustin Hoffman sous des angles nouveaux, en le désignant petit à petit comme un être complexe qui s'offre ainsi mieux à l'empathie, présente des traits communs avec le spectateur comme rampes d'accès à la compréhension de sa différence. Cette écriture subtile m'a vraiment fait vivre ce parcours quelque part initiatique aux côtés de Tom Cruise, rendant le récit beaucoup plus vivant que si celui-ci avait de base était dépeint comme trop brusque, et incapable de tenir compte de la sensibilité de son frère malade. Mes réserves n'ont cependant pas toutes disparues, et cette première partie demeure longue, même si cette longueur est évidemment nécessaire à la crédibilité du récit. Qui aurait cru à la construction d'une vraie relation entre les deux frères si celle-ci avait été expédiée en terme de durée ? Néanmoins, c'est là le genre de pièges dont il faut savoir se sortir, en évitant les redites, en proposant le maximum de profondeur à chaque scène, en sublimant tout par la forme. Mais à cela, Barry Levinson échoue, et Rain Man traîne parfois quelque peu en longueur. Il faut dire, en effet, que s'il y a bien un trait qui pourrait pousser à ranger le film dans la case mélo académique dont je parlais plus haut, c'est bien la platitude de sa mise en scène, qui s'efface complètement devant un espace tout droit ménagé pour Dustin Hoffman vers la course à la "performance". Certes, le comédien livre une prestation cohérente et crédible, mais ce système où l'on pré-fabrique quasiment les rôles récipiendaires des statuettes, en dressant un marche-pied à un comédien pour qui on aménage presque le long-métrage, commence vraiment à m'agacer. En attendant, si on ôte les œillères qu'Hollywood aimerait bien nous mettre, sa bonne prestation tourne quand même quelque peu en rond, d'autant que je n'oublie pas qu'il a l'avantage de pouvoir composer un personnage atteint d'une maladie dont je connais absolument rien. Ça aide, pour se rendre crédible. Tout ça pour dire qu'Hoffman est bon mais que Cruise est à mes yeux meilleur, et de très très loin, dans ce rôle ingrat qu'il sait faire évoluer petit à petit. Pour moi, c'est par son intermédiaire que toute l'émotion a finit par passer, et c'est à travers ses yeux que j'ai fini par comprendre un peu mieux Rain Man, comme le voulait sans doute Levinson, au risque de me répéter. Mais quand même, Cruise dégage une sincérité monstrueuse, et je n'ai avec lui jamais la sensation de regarder quelqu'un jouer mais bien celle de voir un personnage évoluer. Je crois savoir pourquoi, d'ailleurs ; qu'il en montre les bons comme les mauvais côtés, Cruise se donne à fond pour le rôle qu'il interprète. S'il s'agit de se montrer égoïste, il le fera sans en rajouter et sans dresser cet écran de protection que j'ai l'impression de retrouver dans le jeu de certains acteurs, ce truc qui semble dire pour eux "je suis méchant oui, mais vous voyez bien que ce n'est que du jeu". Sincère, comme je l'ai dit. Quel acteur, quand même ! Sinon et parce qu'à un moment il va bien falloir que j'en finisse de ces digressions, la musique de Hans Zimmer est parfaitement dans le ton, elle passe au second plan comme un accompagnement et pas comme un levier grossier censé actionner l'émotion. Car non, Rain Man n'est pas un film à pathos bourrin, sa conclusion n'idéalisant rien, mais sait au contraire garder la retenue qui rime souvent, au cinéma, avec dignité. Et tout naturellement, la douceur de son final et de la musique de Zimmer fait le reste. Au final, et si je ne le reverrai probablement pas de sitôt, Rain Man s'est quand même placé assez facilement au-dessus de mes attentes.