Sorti en 1953, Abbott et Costello contre le docteur Jekyll et mister Hyde n'est pas le premier de la saga des « Abbott et Costello » qui forment un duo comique (ou « Qui tente de l'être » comme le disait Pierre Desproges à propos de son émission, Le Tribunal des flagrants délires) au même titre que Laurel & Hardy, Les trois Stooges ou encore Les Marx Brothers. Et en 1953, les deux nigauds n'en sont pas à leurs premiers méfaits : on leur doit déjà Deux nigauds contre Frankenstein (le premier et le plus célèbre de la série, sorti en 1948), Deux nigauds chez les tueurs ou encore Deux nigauds et l'homme invisible, déjà mis en scène par Charles Lamont, un tâcheron de la Universal. Le duo finira sa triste carrière sur Deux nigauds dans le pétrin en 1957. Ils nous ont donc cassé pieds, oreilles et couilles pendant près de dix ans !
Vous l'avez sans doute deviné, Deux nigauds contre le docteur Jekyll et Mr Hyde est adapté de L'Étrange cas du docteur Jekyll et de Mr Hyde, grand ique de la littérature fantastique qui avait déjà fait l'objet de nombreuses adaptations, comme celle de Victor Fleming ou celle de Rouben Mamoulian. Mais ici, le film prend de sérieuses liberté avec le roman (ce qui n'est pas, en soi, un problème, au contraire, ça change un peu) : pas de monsieur Utterson, mais un serviteur semi-bestial du docteur Jekyll, tout droit sorti du cabinet de vivisection du docteur Moreau, ainsi qu'une love-story gnangnan avec un journaliste qui vaincra bien évidemment le monstre à la fin du film, lequel évoque à plusieurs reprises le déjà pas terrible Récupérateur de cadavres de chez la RKO, tourné par Robert Wise à l'époque de La Malédiction des hommes-chats. Le film a en plus ça de commun avec cet Abbott et Costello... : son casting comprend un certain Boris Karloff, alors sur le déclin (mais qui avait encore quelques beaux rôles devant lui, tels The Terror et La Cible. En effet, à l'époque, le duo de nigauds voyant leurs recettes baisser engagent dans leurs films des vedettes de l'horreur. Bela Lugosi (Deux nigauds contre Frankenstein) « y passera » lui aussi, tout comme Lon Chaney Junior (Deux nigauds contre Frankenstein : bis repetita).
Revenons-en maintenant à cet Abbott et Costello... qui est, je ne vais pas vous le cacher plus longtemps, un nanar ignominieusement nul, insupportablement bête, et qui cède parfois à la vulgarité (la série de piqures dans les fesses !). Les personnages sont tous horriblement stéréotypé, que ce soit le journaliste (qui évoque le héros de L'Homme-léopard, autre production RKO de Val Lewton), la danseuse de cabaret féministe (la manifestation pour l'égalité des droits de la femme et de l'homme est un grand moment de caricature, de stupidité, de ridicule et de machisme) ou évidemment le savant fou, que Karloff interprète avec une fatigue visible. On se demande bien comment le pauvre homme en est arrivé là ! Besoin d'argent probablement. Cela dit, il faut reconnaître que le Boris commençait à décliner ferme (il avait déjà travaillé avec le duo dans Deux nigauds chez les tueurs), entre Dick Tracy contre le gang et La Vie secrète de Walter Mitty (!) de Norman Z. McLeod (Monnaie de singe), lequel est pire que le film avec Ben Stiller (comme quoi, c'est possible !), mais enfin tout de même, là, il touche le fond du fond du fond ! Toujours est-il que tout étant mauvais comme un cochon (citation chopée dans La Nuit des vampires, BD de Ric Hochet (n°71) de Tibet et A.P Duchâteau : « Au théâtre, il est mauvais comme un cochon ! Aucun talent, mauvais sujet, renvoyé de l'armée ! Allez, viens, Dorothy... ». Modeste pan de ma culture personnelle. Ok je sors), le bonhomme réussit à mieux jouer que ses partenaires, qui regardent la caméra comme la pierre philosophale et arrivent à trébucher sur le parquet ! Trop fort ! é dans le rayon « comédie horrifique », Abbott et Costello contre le docteur Jekyll et Mr Hyde mélange donc la comédie et l'horreur. Dans ce genre de cas, soit on réussit les deux (exemple : Evil Dead 2) soit on les foire tous (exemple : à peu près tout le reste sauf Edward Wright, Robert Rodriguez et Peter Jackson). Je vais plagier Oliver mais « le film appartient clairement à la seconde catégorie ».
Bon, cela dit, ne soyons pas TROP méchants, Abbott et Costello... ne foire pas entièrement son côté horrifique. Le rayon comédie, là oui, c'est de l'irrécupérable, du stupidissime, à faire danser le tango au Achille Talon de Pas malin pacte (« sketch » issu du Roi de la science-diction de Greg, pour ceux que ça intéresse). Pourquoi le tango ? Vous préférez la carioca ? Bande de nuls (appréciez le jeu de mots !) ! Avant de piétiner l'aspect comique du film comme si je voulais en faire du bon vin, je vais essayer de voir ce qu'on peut sauver de l'aspect « horreur ».
Ben déjà une jolie transformation au début (qui a probablement inspiré Jerry Lewis pour Docteur Jerry et Mister Love, qui s'inspire d'ailleurs du même bouquin, mais là voyez-vous j'ai la flemme de réécrire le titre !), qui utilise plus ou moins bien le fondu. On retiendra également un (involontairement ?) hilarant meurtre au début du film, quelque part entre Chapeau melon et bottes de cuir et Jack l'éventreur (n'importe quelle version) où la victime se fait étrangler en moins de temps qu'il n'en faut à un bègue pour réciter le Code Civil (encore du Achille Talon, désolé, c'est nerveux ! Celui là c'est dans Achille Talon fait son ménage, où on parle d'une missive « affranchie comme une étudiante de Nanterre »), après s'être chopé un coup de canne qui ne chatouillerais pas un lilipucien ! À part ça, figurez-vous que c'est tout ! L'autre « grande » transformation du film, celle de Tobby en souris, est flinguée par l'utilisation ridicule d'un masque dont on pourrait presque distinguer les contours ! 'Vais finir par le faire moi-même, cet Abbott et Costello... ! Nous voilà maintenant arrivé à l'heure H (ou plutôt à la ligne L) où je vais faire du vin de l'aspect « comique » d'Abbott et Costello.... Personnellement (peut-être qu'Oliver pourra me dire qu'il y a pire, vu qu'il s'est quand même enfilé Le Führer en folie, Comment se faire virer de l'hosto ?, Hitlar, Turkish Star Wars, Turkish Star Trek (tiens, faudrait faire Turkish Abbot et Costello contre docteur Jekyll et Mr Hyde ! Ça peut pas être pire...) et j'en passe), je n'ai jamais vu une tel ramassis de gags toujours plus éculés les uns que les autres (ah si, y'a Scary Movie !), où un coup de poing suffit à renverser un banc sur lequel trois Obélix amerloques tout droit sortis d'un bar dans L'Homme des vallées perdues sont assis et où les personnages se cognent à peu près partout (vas-y que je trébuche sur le tapis, vas-y que je m'explose la tête contre la porte en croyant que j'avais pas vu qu'elle était fermée alors qu'elle regarde l'Empire State Building de haut, vas-y que je suis si gros que j'arrive à casser une cage en tombant dessus d'une hauteur de trois marches d'escaliers (même Depardieu devrait considérer ça comme un des douze traveaux d'Hercule ! Bon, on a réussi à nettoyer les écuries d'Augias mais bon...), vas-y que je fais de la musique papouasienne avec mon chapeau dès que j'ai peur ('l'emmènerait pas voir Insidious 2 moi, sinon j'aurais l'impression d'être à Bercy !), vas-y que je fais des clins d'œil à la caméra en le croyant drôle alors que je ferais passer Dany Boon pour quelqu'un de drôle !) et surtout là où y'a rien pour se cogner.
Par ailleurs, les quiproquos sont si prévisibles (voire cette scène où les personnages tournent pendant un temps infini autour d'une statue à quatre côtés (comme par hasard ils sont quatre et comme ils ont fait le service militaire pendant 10 ans, ils marchent à la même vitesse et du coup personne ne voit personne, mais en toute logique, continue de tourner sans penser à regarder derrière soi !), dans le même sens évidemment (« marche arrière », tu connais ? Apparemment non, tu connais pas !) de telle sorte que le cinéaste pourrait faire durer sa situation le temps qu'un autre Abbott et Costello sorte en salles. Par ailleurs, on notera les pillages réguliers faits aux Marx Brothers, par exemple lors de la scène en prison qui pioche allègrement dans Une nuit à Casablanca, et la répétitivité des scènes dites comiques, qui finissent par énerver.
Les dialogues aussi, sont sacrément poilants (mais je sais pas si c'était voulu...), par exemple lorsque Jekyll avoue à son amoureuse (qu'il veut empêcher de se marier avec le journaliste ! Avec un balcon, on pourrait presque penser que c'est du Costello et Juliette, heu...) qu'il va transformer le journaliste en monstre, comme s'il voulait qu'elle l'en empêche, ou lorsque les partisantes du mouvement féministe se contredisent en faisant une danse de cabaret dont les paroles sont quelque chose comme « Nous sommes peut-être moins fortes que les hommes mais nous sommes très capables ! Si vous nous tapez tout le temps c'est qu'vous avez pété un câble ».
En gros elles montrent leur jambes aux hommes et se mettent donc dans une position inférieure, puisqu'elle ne servent à ce moment qu'à rincer l'œil des pervers qui les regardent en buvant une chope de bière (en regardant le coupe du monde de foot et en hurlant comme des dératés. Oups !) tout en clamant leur égalité par rapport à ce qui ne doit plus être appelé le sexe fort.
Vous avez dit contradictoire ?
Bref, Abbott et Costello... est ce que Jean-Pierre Andrevon appelle « une bouillie filmique » (sauf qu'il parlait de Kick Ass 2), une comédie navrante, consternante et ambiguë.
En un mot comme en cent : nul-à-chier
Critique visible sur mon blog : Naveton Cinéma à partir du 23 juin 2014.