Au fil des ans, le western spaghetti est devenu, non sans l'influence de cinéastes/cinéphiles tels que Tarantino qui ont pour habitude de sortir des oubliettes des films d'exploitation des années 60, 70 et 80 en les qualifiant à peu près tous de chef-d’œuvre absolu, un courant cinématographique extrêmement surfait. Il suffit de parcourir quelques fiches de films sur IMDB pour constater que les westerns majeurs de Mann, Boetticher, Wellman et parfois même Ford, Hawks ou Walsh sont moins bien lotis au niveau du classement qu'un certain nombre de « spaghettis » réalisés par Leone, Corbucci, Sollima ou encore Petroni. Les arguments des reviewers face à des notations aussi élevées donnent trop souvent dans le dithyrambe infondé qui caractérise le cinéphile lambda d'aujourd'hui. Il ne s'agit pas de remettre en question le « bon goût » des amateurs de western italien, car une telle chose n'existe pas, mais plutôt de prendre un certain recul et tenter une approche plus objective par rapport à l'appréciation de ces films. Si le culte rattaché à des œuvres géniales comme Il était une fois dans l'Ouest et Le Bon, la Brute et le Truand n'a pas lieu d'être contesté, on ne peut que reprocher au 90% des autres westerns spaghettis la bêtise des intrigues, la balourdise de la mise en scène, la médiocrité des acteurs (voyez Tomas Milian faire le bouffon d'un film à l'autre et vous comprendrez votre douleur), les dialogues abrutissants et les maladresses techniques en pagaille. Alors oui, il est fort probable que l'Ouest dépeint dans ces démarquages transalpins colle davantage, par son aspect souvent poisseux et décadent, à la réalité en comparaison des nobles épopées hollywoodiennes qui les ont précédés, et après ? Il y a certainement pléthore d'ouvrages et de documentaires très intéressants pour qui souhaite connaître l'Ouest sous sa vraie nature. Tenons-nous en ici au cinéma, et plus particulièrement au western: revisionnez des monuments du genre comme Rio Bravo, La Chevauchée Fantastique, La Prisonnière du Désert, Coups de Feu dans la Sierra, La Rivière Rouge, La Poursuite Infernale, La Vallée de la Peur, L'Appât, La Chevauchée de la Vengeance, Au-Delà du Missouri et une trentaine d'autres bandes réalisées durant l'âge d'or de Hollywood, parfois avec des budgets moindres (les films de Tourneur, Ulmer, Joseph H. Lewis) mais un talent tout aussi évident; confrontez une seule seconde la richesse, la subtilité, la plénitude de ces œuvres à pratiquement n'importe quel spaghetti où tout est gros comme une montagne, simplet, bouffon et approximatif... A-t-on besoin d'en dire plus ? Fermons cette (grande) parenthèse pour en venir au Grand Silence. C'est avec le plus grand bonheur que l'on place ce fascinant voyage au bout de l'enfer dans les vallées hivernales de l'Utah (savamment simulées par des décors en réalité alpins) parmi les cadors du western italien. Trintignant y est contre toute attente magistral dans un rôle de justicier muet, tandis que Klaus Kinski vous donne l'envie de prendre une douche après la séance, tant son personnage de Tigrero représente tout ce qu'il y a de plus vil, sournois et cruel dans l'humanité. La mise en scène de Corbucci regorge d'éclats baroques et hallucinés que renforce une bande-son très efficace d'Enio Morricone. Plus discutable est la photographie assez fruste de Silvano Ippoliti, où les nombreux plans filmés caméra à l'épaule, les zooms et la mauvaise lumière peuvent donner une impression de bâclage mais contribuent paradoxalement (et peut-être involontairement) à distiller une ambiance malsaine, inconfortable et « dans l'urgence » qui n'a pas vraiment eu d'égal dans la production de westerns spaghetti. Entrecoupé de séquences plus légères avec le personnage de shérif pantouflard joué par Frank Wolff – tentative plus ou moins heureuse de désamorcer la tension à mi-parcours –, le film accumule pour l'essentiel les scènes de violence avec une absence totale de concessions et une approche spectaculaire qui touche parfois au gore (Cut Throats Nine, western ibérique réalisé en 1972 qui se déroule lui aussi dans des décors enneigés, atteindra le point limite en la matière). Le Grand Silence caresse également le spectateur à rebrousse-poil par son pessimisme catégorique
qui se manifeste plus particulièrement dans un final où les méchants triomphent glorieusement des bons
. Probablement le seul western spaghetti qui mérite d'entrer dans la postérité avec les œuvres de Leone.