Très, très remarquable! «Rouges et blancs» (1967) évoque l'affrontement, au lendemain de la révolution de 1917, sur la frontière russo-hongroise, entre les révolutionnaires rouges, auxquels se sont joints des volontaires hongrois, et les troupes gouvernementales, les blancs, décidées à les écraser. L'histoire n'est en réalité pour Jancsó qu'un prétexte pour illustrer, comme dans tous ses films, les rapports de pouvoir et d'oppression entre dominants et dominés. Le propos du réalisateur, réaliste socialiste repenti, est donc exclusivement politique, et en cela plutôt limité. Il s'agit toujours de dénoncer le totalitarisme (secrètement celui de l'URSS) et d'exalter la liberté. Mais c'est la mise en forme de ce contenu, géniale et d'une originalité absolue, qui justifie la pérennité de ce cinéma. Jancsó élabore ses films à partir d'un nombre, toujours très réduit, de longs et larges plans-séquences, à l'intérieur desquels s'affrontent le groupe des oppresseurs et celui des opprimés. Les jeux de domination, d'humiliation, et enfin de mise à mort, donnent lieu à de savantes chorégraphies minutieusement réglées et agencées dans le cadre avec un sens souverain des rapports de force. Héritier en cela d'Eisenstein, Jancsó réalise un cinéma rigoureusement collectiviste où les individualités se réduisent à représenter le groupe dont elles sont issues. Toute forme de pathos est par ailleurs radicalement bannie au point que l'ambiance en devienne étrangement glacée. La virtuosité est toujours éblouissante et la photographie, ici en noir et blanc, superbe. «Rouges et blancs» constitue, au-delà de son propos historique contingent, réduit, voire un peu partial, une excellente illustration du style inimitable du réalisateur hongrois.