James Ivory reprend le cadre (un vaste domaine de l’aristocratie Anglaise) et l’esthétique léchée de « Retour à Howards End ». Mais quelle différence ! Alors que ce précédent film stagnait dans l’anecdotique et le superficiel, ces « Vestiges du jour » sont d’une richesse infinie. Par le thème central d’abord : le réalisateur brosse, sur plusieurs décennies, le portrait d’un majordome, Stevens, si imprégné des principes qu’on lui a inculqués (le personnage du père révélant bien cette transmission transgénérationnelle ancestrale) que l’image qu’il a de lui-même et sa propre considération passe par l’accomplissement parfait des tâches qui lui sont dévolues et le service inconditionnel de son maître (sa Seigneurie). Mission supérieure dont il s’acquitte si bien qu’autour de son champ de responsabilité, c’est même lui, avec la confiance totale de Lord Darlington, qui régente la maison. Cette soumission à son rôle et à l’image qu’il en a, constitue une sorte d’idéal ne laissant pas de place à la « vraie » vie. Ainsi tant les sentiments amoureux à l’égard de Miss Kenton (admirablement suggérés) que les opinions politiques (le contexte historique occupe une place importante) ne peuvent s’insérer dans le fonctionnement de Stevens, dans la mesure où ils pourraient nuire au parfait exercice de sa fonction. Au-delà du cas présenté, est posée la question générale du sacrifice de soi même à une mission ou un rôle attribué par la société. La grandeur du film est dans la manière dont ce thème est traité. James Ivory et Anthony Hopkins, fabuleux dans le rôle principal, parviennent à faire ressentir tout ce qui, du fait de la situation, ne peut être exprimé. Ainsi, les dialogues, d’une qualité exceptionnelle, sont savourés pour eux-mêmes et aussi pour ce qu’ils ne disent pas, mais laissent, parfois, entendre. La mise en scène est à la fois précise et délicate, le rythme du film parfait, les images d’une grande beauté. Je souhaitais que le film dure, tant il est délectable. Et sans « grande scène » et sans effets faciles, nait une profonde émotion. Ivory conclut son poignant chef-d’œuvre par une dernière scène dans le même ton, délicate et symbolique, où l’envol du pigeon peut renvoyer à ce que Stevens n’a pas eu la force de faire, ou à son avenir qui ne peut être rempli que par un imaginaire nourri de regrets.