Cette série m'a déçu, mais attention : j'en reconnais pour autant les nombreuses qualités, et bien des moments m'ont captivé. Voici quelques exemples qui démontrent, selon moi, un plan scénaristique et formel bien plus faible que son aînée Breaking Bad.
Tout d'abord, le fan service. Qui s'attendait à ça de la part d'une équipe aussi brillante ? Et pourtant...
- Lorsque Jimmy a besoin d'une prostituée pour un coup monté, devinez qui il ramène ? La grande maigre de BB. Donc déjà, à Albuquerque il y a apparemment 1 seule prostituée. Juste pour le plaisir de ressortir ce personnage secondaire, comme on ressort un costume.
- Tuco : apparaît au début de la série dans des conditions étranges : hasard n°1 Jimmy croise de jeunes arnaqueurs ; hasard n°2, lors de l'arnaque une voiture parfaitement similaire à celle attendue arrive, à la même heure ; hasard n°3, dans cette voiture nulle autre que la mama de... Tuco Salamanca !!
La où BB créait un système de rouages, de causes à effets implacables, BCS se contente apparemment d'empilements parfois faciles de hasards. Décevant ! Rappelez-vous l'introduction de Tuco dans BB : il s'agissait d'un camarade de taule de Skinny Pit. C'était juste du bouche à oreille, avant que les choses dégénèrent. Pourquoi lui faire croiser la route de Jimmy ? Et d'ailleurs, quand Jimmy doit chercher du fric dans le désert, pourquoi se fait-il attaquer ? Est-ce que cette attaque a été préparée pour le spectateur ? Ou est-ce qu'elle a lieu juste pour l'action ? Pour rappeler les galères de BB ?
- autre fan service : ce dialogue qui décrit Tuco comme un malade dangereux qui vous dévisage : oui ok, mais était-il besoin de le dire ? L'acteur fait déjà tout avec sa présence. De plus il avait déjà ce charisme dans BB, où il n'était pas nécessaire de décrire son regard, juste de le filmer. Quand Tuco regardait White droit dans les yeux pour le sonder, aucun mot n'était nécessaire et l'angoisse venait justement du silence. C'était bien plus fin, et bien plus violent.
- L'homme d'affaire arrogant : vous souveniez-vous de cette scène ou W. White croise un businessman vulgaire à un guichet (de banque je crois) ? Devinez qui est le trader dans BCS, dans le bar avec son oreillette ? Le même. Donc après la prostituée unique, l'homme d'affaire arrogant unique. Petite ville, Albuquerque...
Là où les enjeux de BB étaient forts, et même violents (physiquement et moralement), certains enjeux de BCS peinent vraiment à me captiver. On troque des scènes de labo clandestins, de règlements de comptes de haute volée, d'enquête passionnante, pour d'épouvantables séances de... bingo en maison de retraite. Ou pour un couple de nases ayant fraudé l'argent public. Vraiment malaisant, ces boniments de foire à n'en plus finir. J'adorais Saul dans BB, mais je l'adorais comme personnage secondaire, qui restait secondaire, dont les répliques imagées et vulgaires étaient hilarantes, et dont la morale déviante était clairement assumée.
Voir les origines de ce personnage, ses mélancolies, les "raisons" qui ont amené un type tout gentil, naïf et généreux à devenir le maître avocat des racailles, je dois avouer que ça ne m'a pas plu, ni convaincu.
Malgré des trames scénaristiques (très) réussies, je n'ai pu enlever cet arrière-goût de : "vous avez vu, en fait la statue gonflable venait de là ; vous avez vu, Jimmy connaissait déjà Tuco, tout est lié ; vous avez-vu, l'idée du salon de pédicure venait de son passé, de même que son affinité avec les asiatiques, de même que son amour pour les appareils de relaxation..." J'ai envie de dire : on s'en fout un peu non ?
Quand BB allait à l'essentiel même avec des lenteurs (un miracle), BCS contient de vraies lenteurs, au sens de défaut. Six saisons, de 13 heures, pour l'histoire d'un avocat véreux ?? Là où BB en faisait même un peu moins, mais avec une densité tellement supérieure !
Vous avez aimé vous, voir Mike passer des heures avec sa petite fille, avec sa belle-fille, Mike chez les paroissiens, Mike incapable d'une relation amoureuse, Mike qui trolle une séance de parole de groupe, exactement comme Jesse le faisait (tellement mieux) aux camés anonymes (coucou le fan service) ?! C'est ennuyeux, et encore une fois, on s'en fiche de ses états d'âme ! Mike est un gros dur, le contraste avec sa vie de papy était une excellent idée, mais déjà exploitée, suffisamment, dans BB.
Quand à Charles McGill, mon dieu parlons-en. Au début j'ai été intrigué. On apprend qu'il a un problème psy, ok. Mais je n'imaginais pas que l'électrosensibilité serait un des thèmes centraux sur, combien, deux saisons complètes ? C'est original, ok, les personnages sont nuancés, ok. Mais... est-ce que c'est passionnant de voir un vieux grincheux blâmer son frère et faire du piano sans allumer la lumière ? Ben non, désolé, l'acteur est génial, les dialogues sont bons, mais le fond... est plutôt ennuyeux.
La forme également par moment : il y avait parfois des séquences musicales dans BB, juste pour le plaisir, mais elles avaient une classe folle et n'étaient pas si longues (pas toujours la chanson en entier). Dans BCS, on voit que Netflix a clairement indiqué : "prenez tout votre temps". Jimmy fait des gâteaux dans un centre commercial ? Et vlan, 3 minutes de plans en noir et blanc sur la cuisine. Et en plus, ça recommence plus tard... Non mais stop ! Quel est le message ? Qu'il "cuisine" comme le faisait White ? Heu... non.
Tout ou presque m'a semblé d'une lenteur abyssale. J'ai regardé la moitié de la série en accéléré, du jamais vu.
Donc voilà, pour finir, oui Lalo est très réussi, les origines de Gus aussi même si au fond elles n'apportent rien - ok Gus est en conflit avec le cartel, mais cette rivalité n'a-t-elle pas déjà été parfaitement explicitée et développée dans BB ? Ok creuser une cave clandestine demande du temps et des moyens, mais est-ce que l'aboutissement (le labo, Gail, White) n'était pas plus intéressant que le chantier ?
Tout concourt à faire de BCS ce qu'il est et restera, fondamentalement : un spin-off, un préquel, bref un ajout, bien mais toujours moins fort, moins dense, moins indispensable que sa série principale.