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    Blackwashing : pourquoi la diversité dans les séries et les films fait-elle encore débat ?
    Chaïma Tounsi-Chaïbdraa
    Chaïma Tounsi-Chaïbdraa
    -Journaliste streaming
    Experte en binge-watching et plateformes de streaming, Chaïma Tounsi s’amuse tous les soirs à zapper sa télécommande sur Netflix, Disney+, Canal+...

    La diversité dans les films et séries est au coeur de bon nombre de débats. AlloCiné s’est penché sur la question du blackwashing, en interrogeant certains acteurs du milieu.

    C’est quoi le blackwashing ?

    Cette expression née sur internet est utilisée lorsque qu’un acteur noir est choisi pour incarner un personnage blanc dans une fresque historique ou l’adaptation d’une œuvre. À l’inverse du whitewashing, qui consiste à choisir un acteur blanc pour jouer un personnage issu d’une minorité.

    Une problématique pas si ancienne...

    Nous sommes en septembre 2017. Une annonce est publiée pour caster le personnage de Ciri, dans la série fantasy The Witcher. La jeune fille, dans les romans, est une blonde à la peau claire. Mais c’est bien une actrice issue d’une minorité ethnique que recherche la showrunneuse Lauren S. Hissrich. Une annonce qui n’est pas du tout au goût des fans. L’un d’eux, Anderson San Jose, décide même de lancer une pétition sur Change.org, demandant à la scénariste de respecter la véracité historique : en Pologne au Moyen-Âge, la population n’était pas brassée culturellement. C’est dans un long thread Twitter qu’Hissrich a tenu à répondre à ses détracteurs, en expliquant que la culture polonaise était ouverte d’esprit, que le racisme, la discrimination et l’inclusion sont le cœur de la série et surtout qu’ils ont tout simplement choisi les meilleurs acteurs pour chaque rôle, peu importe leur couleur de peau. Certains morceaux choisis ont été traduits ci-dessous :

    "Nous avons fait cette série pour 190 pays. Dans toutes les adaptations, des changements sont faits tout en gardant cela en tête. Dans les jeux vidéo, Geralt et les Witcher ont un accent américain. Ce n’est pas le cas dans les livres mais les développeurs ont pensé que ça plairait à un plus large public. The Witcher est intéressant quand il s’agit de parler de racisme envers les espèces. Pas la couleur de peau. Ce qui rend les personnages discriminés, ce sont leur taille, la forme de leurs oreilles… Dans le livre, on ne fait pas attention à la couleur de leur peau. Dans la série non plus. Point.

    S’adapter à l’époque

    Anachronisme, souci de réalisme, fidélité à l’histoire... sont autant d’arguments avancés par ceux qui dénoncent le blackwashing. Comme pour la série fantastique Cursed (2020) dans laquelle Arthur est joué par l’acteur noir Devon Terrell, ou dans la série Troie (2018) où Achille est campé par un acteur afro-américain. Un choix de casting qui a fait grincer quelques dents alors qu’il est loin d’être anodin, comme l’explique la youtubeuse et historienne Manon Bril (C’est une autre histoire) qui a consacré une vidéo au héros grec. "Dans l'Antiquité déjà, chaque narrateur d'un mythe adapte la légende à sa sauce, son temps ou sa localité. Ainsi réadapter les mythes au goût du jour ça ne date pas d'hier et ça n'a rien d'infidèle à la tradition antique.". Autrement dit, les auteurs ont depuis toujours adapté leurs écrits à leur époque. 

    Netflix

    The Witcher est une série qui parle d’inclusion selon sa scénariste, quand Troie se veut un reflet de la société actuelle pour ses créateurs. Quant à Arthur dans Cursed (une relecture du mythe centré sur la Dame du Lac), c’est un personnage contemporain qui, peu importe la forme qu’il prend à l’écran, résonne avec notre époque, comme l’explique William Blanc, dans “Le Roi Arthur, un mythe contemporain” (2016 ed. Libertalia). "Les créateurs font ce qu'ils veulent dans un sens comme dans l'autre, simplement ils choisissent le message qu'ils portent" explique enfin l’historienne. Si le film ou la série est vu comme un objet d'art, les scénaristes et les réalisateurs (peu importe leur nationalité) peuvent prendre les libertés artistiques qu’ils souhaitent. 

    Une série ou un film doivent-ils être fidèles à l’œuvre d’origine et/ou à l’Histoire ? La question est d’autant plus épineuse que deux notions s’opposent : le whitewashing (comme Scarlett Johansson dans Ghost In The Shell ou Christian Bale en Moïse dans Exodus) et le blackwashing. Il faut cependant remettre la question dans son époque. Surtout à Hollywood, où dès les années 20, l’acteur blanc est la norme tandis que les comédiens noirs subissent déjà la ségrégation (comme expliqué dans l’ouvrage Classic Hollywood, Classic Whiteness de Daniel Bernardi sorti en 2001). Aujourd’hui, les auteurs et scénaristes (aux Etats-Unis autant qu’en France) ont plus que jamais envie de mettre ces minorités sur le devant de la scène.

    "J’ai toujours essayé d’apporter de la diversité"

    Ajoutons à cela que dans les mythes antiques, la représentation des héros varie d’une histoire à l’autre (comme Achille, qui est décrit différemment d’un livre à un autre). La question du point de vue est aussi importante, surtout lorsque l’on ne précise pas la couleur de peau d’un personnage dans une oeuvre. Ainsi, quand l’actrice Anna Diop a été choisie pour camper la volcanique Starfire dans la série DC Comics Titans, les fans ont fait savoir leur mécontentement. Et pourtant, dans les bandes dessinées, cette extraterrestre a la peau… orange. Même constat pour Hermione Granger dans la pièce de théâtre Harry Potter et l’Enfant maudit, où la sorcière est jouée par la comédienne swazie Noma Dumezweni (ce qui avait créé un débat). Dans les livres écrits par J.K. Rowling, sa couleur de peau n’est mentionnée nulle part

    En réalité, quand il s’agit d’oeuvres adaptées, la question devrait être seulement posée aux créateurs. Nous parlions plus haut de J.K Rowling mais on se souvient aussi des réactions quand Marvel a annoncé que Michael B. Jordan allait interpréter la Torche Humaine au cinéma, alors que dans les BD de Stan Lee, c’est un blond aux yeux bleus. Qu’en a bien pu penser son créateur, justement ? "J’étais plus que okay (par le choix de l’acteur). C’était une super idée ! [...] J’ai toujours essayé d’apporter de la diversité, à l’image de notre société." (Ew, juillet 2015).  

    Twentieth Century Fox France

    "On pardonne tout à l’humour"

    La comédie a plus de chance de passer entre les mailles du filet, l’humour permet quelques libertés. C’est le but même de la parodie. Prenons un exemple français : Astérix et Obélix Mission Cléopâtre (2002) mettait en scène des acteurs blancs pour jouer des esclaves égyptiens (Isabelle Nanty, Edouard Baer…), lorsque le récent Brutus vs César fait tout l’inverse en offrant le rôle de l’Empereur romain à Ramzy. Quand Kheiron se lance dans ce projet, il est bien conscient que la comédie est le meilleur moyen d’aborder le sujet : "Quand tu changes le passé pour avoir du rire, on te le pardonne parce qu’il n’y a pas de message derrière. Tu ne prônes rien, tu as juste envie de divertir. On pardonne tout à l’humour.".

    Malgré cela, le film a reçu des critiques de blackwashing sur les réseaux sociaux. Ce à quoi le réalisateur/scénariste a tenu à répondre à notre micro : "C’est bien qu’on ait des acteurs blancs, c’est bien qu’on ait des acteurs d’autres ethnies aussi. Au final il ne restera que les meilleurs. Récemment il y a une intelligence artificielle qui a reproduit Jésus. Il ressemble plus à moi qu’aux comédiens qui ont pu le jouer. Mais cela ne me gêne pas ! Tout comme ça ne me gênerait pas qu’il soit joué par un Asiatique. On parle de réalité historique mais qui peut la vérifier aujourd’hui ? L’histoire est écrite par les vainqueurs, qui peut réellement dire comment cela s’est passé ? Donc laissez-nous créer des œuvres. Certains vont être fidèles aux écrits - pas forcément à la réalité donc - et d’autres vont s’en éloigner complètement. Mais c’est pas grave, c’est une autre proposition."

    "C’est la France d’aujourd’hui"

    Les drames ne sont pas plus épargnés par les polémiques. Même ceux qui s’essaient à l’uchronie (un récit fictif qui part d’un événement historique), à l’instar de la nouvelle série de Netflix, La Révolution, qui s’est essuyé quelques critiques lorsque la première bande-annonce est sortie. Au casting, les acteurs Amir El Kacem, Lionel Erdogan, Mamadou Doumbia ou encore Isabel Aimé Gonzalez Sola. Un choix de comédiens qui a étonné bon nombre de spectateurs parce que la série se situe au 18ème siècle et qu’elle nous raconte les prémices de la Révolution. De quoi agacer l’un de ses créateurs, Aurélien Molas, qui a profité de son passage à notre micro pour remettre les choses au clair : "La série est une uchronie, elle parle d’une jeunesse qui décide de prendre les armes pour faire face à une menace et renverser un ordre établi. J’avais envie d’une série historique avec des accents contemporains. La France que je connais aujourd’hui est multiculturelle et je me fous de savoir quelles sont les origines de chacun. Ce qui m’intéresse, ce sont les personnages. Je n’ai pas envie de définir quelqu’un par sa couleur de peau. Je trouve que c’est une connerie abyssale et je suis même assez étonné qu’en 2020 il y en encore des problématiques comme ça. Il s’avère que ce n’était pas un souhait de ma part, j’ai eu en face de moi les meilleurs comédiens. Qu’ils soient black, blanc, beur, c’est la France d’aujourd’hui. La société française est magnifique, même dans les conditions actuelles. Le reste me paraît d’un ancien temps. Qui était là pour parler de l’Histoire de France au 18ème siècle ?".

    Netflix

    Une histoire de représentation  

    Le terme de blackwashing ne peut être séparé de la notion de conscience, venant notamment de la communauté noire. Dans les années 2010 est popularisé aux Etats-Unis le terme "être woke". S’il est tout d’abord utilisé chez les militants, il a depuis atteint l’espace public : être woke signifie aujourd’hui être conscient des injustices et inégalités subies à cause de la couleur de sa peau. Leur combat actuel sert à apporter de la visibilité aux personnes racisées, dans tous les domaines. Le cinéma est l’une de ses jauges : statistiquement, il est plus courant de voir un acteur blanc jouer une minorité ethnique … que l’inverse, surtout dans de grosses productions américaines. Le hashtag #OscarsSoWhite et le boycott de la cérémonie en 2016 en sont la preuve. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 91 % des 6261 votants sont blancs, sur 3000 récompenses données depuis 1929, seuls 43 acteurs.trices afro-américain.e.s ont remporté la statuette dorée…

    Quatre ans plus tard, la cérémonie est une nouvelle fois rattrapée par la polémique après la publication de la photo des nommées 2020. Elle a été épinglée par les internautes et les médias pour son manque de diversité : sur la vingtaine d’acteurs et actrices, une seule est noire (Cynthia Erivo). Depuis plusieurs années maintenant, de nombreux acteurs afro-américains montent au front pour dénoncer ce manque de représentation, via les réseaux sociaux ou les médias. Lorsque Michael B. Jordan a été choisi pour jouer la Torche Humaine et face au tollé, il a décidé de prendre la parole dans les médias en y tenant un discours fort : "Parfois vous devez être la personne qui se lève et qui dit "Je vais prendre le poids de toute cette haine sur mes épaules”. Je vais encaisser ça pour les générations futures. (...) Les gens verront toujours la couleur de peau mais peut-être que ce ne sera plus un sujet dans le futur. Peut-être que si je deviens un exemple, Hollywood choisira plus d’acteurs noirs en rôle principal et on changera les mentalités". 

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