35 ans après le chef-d'oeuvre de Ridley Scott, Denis Villeneuve tentait, avec Blade Runner 2049, le pari fou de livrer une suite à une oeuvre considérée à juste titre comme l'un des plus grands films du cinéma américain ; une oeuvre matricielle devenue une référence absolue.
Entre le Los Angeles de 2019 décrit dans le film de Scott, et la ville encore plus tentaculaire de 2049 de la vision de Villeneuve, que s'est-il passé ? Voici une mise à jour pas inutile pour celui ou celle qui appréhende pour la première fois l'univers de Blade Runner, alors que la suite est désormais disponible sur Netflix.
Qu'est-ce qu'un Réplicant ?
Les fans de l'univers de Blade Runner passeront logiquement leur chemin, mais, pour tous les autres, il n'est pas inutile de rappeler ce qu'est un Réplicant.
A l'aube du XXIe siècle, la Tyrell Corporation a fait entrer les robots dans l'ère des Nexus, des êtres humanoïdes baptisés Réplicants. Les Réplicants de modèles Nexus 6 ne sont pas des robots, ni des clones. Dans le film de 1982, on ne sait pas exactement comment ils sont fabriqués, de même qu'il est possible que les générations précédentes de Nexus avaient la forme de robots, mais il s'agit ici de spéculation.
Ce que l'on sait en revanche, c'est que chaque partie du corps des Nexus 6 a été créée par des ingénieurs-généticiens. Les Nexus sont créés à partir d'ADN et doivent, selon le mantra de la Tyrell Corporation, "être plus humains que l'humain". Il est donc logique que l'ADN venant d'un humain entre dans la création de ces êtres organiques.
Les Réplicants modèle Nexus 6 sont plus forts, plus agiles et au moins aussi intelligents que les généticiens qui les ont créés. Plus les Réplicants sont évolués, plus leur durée de vie est courte, pour éviter leur humanisation. Ils sont utilisés comme esclaves dans le monde extérieur, dans de dangereuses expéditions visant à coloniser d'autres planètes.
Après la mutinerie sanglante d'un groupe de Nexus 6 sur une colonie extérieure, les Réplicants sont devenus illégaux sur Terre, sous peine de mort. Des escouades de police spéciales, les unités Blade Runner, ont alors ordre de descendre à vue tout Réplicant au statut illégal. Le terme employé pour cette tâche n'est pas "exécution". On parle de retrait.
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Telles des machines, les Réplicants portent un matricule. Ainsi, dans Blade Runner, Leon (Brion James) reçoit l'identifiant "N6MAC41717", Roy Batty (Rutger Hauer) «N6MAA10816», Pris (Daryl Hannah) «N6FAB21416» et Zhora (Joanna Cassidy) «N6FAB61216».
La norme N6 désigne la génération du réplicant (Nexus-6), les trois lettres suivantes (MAC, par exemple) indiquent respectivement le genre, le niveau physique et le niveau mental (le niveau B est la moyenne humaine et le niveau A est le meilleur). Les derniers chiffres représentent la date de naissance ou plus précisément la date de mise en service sur le modèle anglo-saxon, c'est-à-dire que le jour est placé avant le mois. Soit le 12 juin 2016 pour Zhora (61216). Le niveau physique A, celui de Roy Batty, permet au Réplicant de supporter pendant une courte durée des températures allant de −200 °C à 600 °C.
Les Réplicants sont capables, au gré de leurs contacts, de développer avec le temps des émotions : peur, colère, envie, amour... Comme le rappelle le capitaine de police Bryant (Emmet Walsh) au Blade Runner Rick Deckard (Harrison Ford) dans le premier film, les concepteurs des Réplicants ont alors prévu une prolongation de leur durée de vie : 4 ans en plus.
Dans le film de 1982, les modèles rebelles de Nexus 6, dirigés par Roy Batty, ont appris à développer leurs propres réponses émotionnelles. Des émotions réelles, différentes de celles qui sont programmées / prévues par les généticiens donc, ce qui constitue la première étape menant au développement de l'empathie : c'est ce que l'on voit dans la confrontation finale entre Roy Batty et Rick Deckard.
Dans Blade Runner 2049, qui se déroule 30 ans après les événements du film de Ridley Scott, il est même question de modèles Nexus 9, dont l'un est incarné par Dave Bautista. Il s'agit d'une génération de Réplicants si sophistiquée qu'elle peut vivre aussi longtemps que souhaité tout en exécutant les ordres de son maître à la perfection.
Le Blade Runner peut découvrir un réplicant en effectuant un test d'empathie du nom de Voight-Kampff, qui consiste à déceler les réactions physiologiques involontaires du sujet lors d'une mise en situation (concernant l’attachement maternel, un stress affectif ou moral…) via une série de questions. C'est ce test qui est effectué par l'agent Blade Runner Holden (Morgan Paull) dans le film de 1982 sur Léon, avec le résultat que l'on connait...
Rick Deckard est-il un Réplicant ou un être humain ?
Depuis la sortie du film de Ridley Scott en 1982, c'est LA question qui hante les fans de Blade Runner, surtout depuis la version director's cut du film. Et si certains pensaient que Denis Villeneuve trancherait dans le vif sur ce sujet précis dans Blade Runner 2049, ils en seront pour leurs frais. Le cinéaste a déclaré qu’il a tenu à conserver l’ambiguïté autour de Rick Deckard, et que la réponse ne sera pas aussi limpide que l’on croit.
Dans le roman de Philip K. Dick, Rick Deckard est présenté comme un humain. Mais le doute en lui s’installe, et c’est très ouvertement qu’il se pose la question, avec un collègue Blade Runner, de la possibilité d’être eux-mêmes des réplicants à leur insu, et de ce qu’ils feraient s’ils le découvraient. Le film est beaucoup plus mystérieux sur ce sujet, laissant planer cette éventualité de façon subtile.
La version de 1992 de Blade Runner, dite "vraie-fausse" director's cut, ainsi que la version - définitive - final cut du film de 2007, donnent des éléments qui accréditent l'hypothèse que Deckard n'est pas celui qu'il croit être. Il y a déjà le fameux rêve de la licorne. Les souvenirs et les rêves sont implantés dans le cerveau des réplicants à partir de vrais souvenirs. La licorne viendrait donc des rêves / souvenirs d’une autre personne.
"En fait, je voulais que l'on croit que c'était ses pensées. Par exemple il prenait une photo, et il se mettait à la regarder et à se souvenir. On voyait la licorne qui traversait la forêt, qui approchait de la caméra. Elle secouait sa tête et lui aussi, comme pour chasser cette pensée" raconte Terry Rawlings, superviseur du montage de Blade Runner.
Ci-dessous, la séquence en question...
Autre élément : le reflet doré dans l'oeil des Réplicants, qui trahit leur nature, est toujours montré à un moment ou à un autre par Ridley Scott dans un subtil mouvement de caméra. Deckard y a également droit. Ci-dessous, la capture d'écran :
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On sait par ailleurs que les Réplicants sont attachés aux photographies ; celles-ci leur donnant l'illusion d'un passé. C'est d'ailleurs grâce aux photographies que Deckard parvient à trouver la trace de la Nexus 6 rebelle Zhora. On trouve beaucoup de photographies chez Deckard, en particulier celles qui sont posées au-dessus de son piano, et que Rachel regarde. Cela ne peut être un hasard.
L'indice le plus troublant de tous sans doute, et le fameux origami en forme de licorne laissé par le personnage Gaff (Edward James Olmos) au sol devant la porte de l'appartement de Deckard, à la fin de Blade Runner. "A la fin du film, je voulais quelque chose d'extraordinaire, qui puisse être illustré : la licorne. [...] Qui aurait pu savoir ce qu'il avait en tête, autre que quelqu'un qui avait accès aux fichiers qui lui avaient été implantés dans le crâne ? C'est on ne peut plus clair. Il faut être idiot pour ne pas comprendre !" a lâché Ridley Scott.
En 2002, dans une interview donnée au magazine Wired, il revenait sur le sujet : "Deckard a toujours été conçu comme un Réplicant. C’est pour ça que Gaff, qui laisse des origami partout, ne l’aime pas. On ne sait pas pourquoi, mais tous les indices sont là. Si on part du principe que Deckard est un Nexus 7, il a une espérance de vie incertaine, et se comporte de plus en plus comme un humain".
Ci-dessous, la séquence en question...
Une version du scénario, datée de février 1981, laissait peu de place au doute sur la nature de Deckard. Sa voix off finale disait : "Je l’ai découvert sur le toit ce soir. Nous étions des frères. Roy Batty et moi. Des modèles de combat très avancés. Nous avons combattu dans des guerres que personne n’avait encore rêvées… dans un cauchemar que l’on ne peux pas nommer. Nous étions une nouvelle race… Roy, Rachel et moi ! Nous étions nés pour ce monde là. Il était à nous !"
Cela dit, tout le monde n'accepte pas forcément cette version / vision des faits. Dans un module vidéo accompagnant la sortie DVD du final cut et baptisé Deck Le Replicant : la vraie nature de Rick Deckard, le cinéaste Frank Darabont, grand fan devant l'éternel du film, revient ainsi sur la séquence du rêve de la licorne : "Ce n'est pas son souvenir, comment cela aurait-il pu arriver ? En fait, il pense à Rachel. Il pense à ses souvenirs implantés. Il pense à ses fantasmes implantés. Parmi les mythes, la licorne est un symbole féminin mythique. A la fin, quand Gaff oublie la licorne, ça ne veut pas dire : "je suis plus malin que toi, tu es un Réplicant. Je sais tout de toi !" C'est le mot de la fin de Gaff pour Deckard, qui signifie : "tu sais quoi ? Je crois qu'ils [NDR : les Réplicants] sont aussi humains que les autres ; si tu l'aimes, fonce vieux ! Cours la chercher, va la sauver !"
Le résultat des courses, c'est que le débat sur la nature de Deckard continue encore, 39 ans après la sortie de Blade Runner : Deckard peut-il être un Réplicant de type Nexus 7, resté à l'état d'unique prototype ?
Que s'est-il passé en 30 ans entre le Blade Runner situé en 2019 et Blade Runner 2049 ?
Que s'est-il passé depuis les événements de Blade Runner ? Dans le film de Scott, le groupe de rebelles de Nexus 6 tuait le tout puissant Eldon Tyrell, fondateur de la Tyrell Corporation et créateur des Réplicants. La perte de sa tête pensante de génie n'empêche pas la société de créer, un an après sa mort, les Nexus 8. Ceux-ci sont équipés d'implants oculaires qui les rendent plus facilement identifiables que les générations précédentes.
En 2022, un gigantesque blackout provoqué par une impulsion électromagnétique d'origine inconnue plonge les Etats-Unis dans le chaos absolu. Toutes les données sous forme électronique sont effacées ou corrompues, entraînant dans sa chute le monde de la finance. La nourriture, elle, se fait rare, tandis que la pollution augmente de manière critique. Pour les humains, les coupables sont tout désignés : ce sont les Réplicants qui sont à l'origine de ce chaos.
En 2023, les Autorités interdisent la production de Réplicants et retirent tous les modèles existants sur le marché. Les rares qui parviennent à rester en fonction (sur)vivent désormais cachés. C'est là qu'entre en scène Niander Wallace, incarné par Jared Leto dans Blade Runner 2049. Un homme entouré de mystère, surtout connu pour être le fondateur de la Wallace Corporation, une société spécialisée dans la bio-ingénierie.
Nihiliste, déviant, sans pitié contre ceux qui osent s'opposer à lui, il se fait une réputation en créant et diffusant de la nourriture génétiquement modifiée. Sa société se portant financièrement très bien, il absorbe alors ce qu'il reste de la Tyrell Corporation en 2028. Rapidement, sa société se remet à fabriquer des Réplicants, plus obéissants et faciles à contrôler. En 2036, profitant de la levée de l'interdiction sur la possession d'androïdes, Niander Wallace en profite logiquement pour les réintroduire en lançant un nouveau modèle : les Nexus 9.
Dans le court-métrage Nexus : 2036 justement, Wallace présente ce nouveau modèle, et cherche à faire révoquer la prohibition pesant sur la création de ses androïdes...
Dans les années 2040, les Autorités gouvernementales augmentent néanmoins les effectifs des unités spéciales de Blade Runner, chargées de traquer et éliminer les Réplicants défectueux et / ou rebelles. En 2049, la situation écologique s'est dramatiquement dégradée, les eaux de la mer menacent de submerger Los Angeles et les habitants qui n'ont pas eu la chance de partir pour les colonies installées dans l'espace sont condamnés à survivre grâce aux aliments génétiquement modifiés créés par la compagnie de Wallace. C'est là qu'entre en scène l'agent K (Ryan Gosling), envoyé avec la bénédiction de Wallace à la recherche de Deckard...
