La date du 9 août 1969 marquera à jamais Hollywood et l'Amérique, Sharon Tate est assassinée dans sa villa par la famille Manson, sonnant le glas du flower power et stoppant net le rêve de tous les possibles dans l'industrie pantelante du film à papa, Tarantino a 6 ans, encore loin de s'imaginer qu'un jour il réaliserait un hommage grandiose à ce moment charnière ayant pour objectif d'entretenir l'espoir d'un renouveau et de ressusciter ses anges déchus.
L'ami QT depuis ses débuts n'a eu de cesse de faire bouger les lignes du cinéma américain et déchainer les passions, créatif génial pour les uns, pasticheur vulgaire pour les autres, difficile de rester indifférent face à ce puits de références à la culture pop et amoureux inconditionnel de séries B-Z des quatre coins du globe dont il a généreusement saupoudré ses propres longs métrages, et ce Once Upon a Time... in Hollywood représente en quelque sorte la quintessence de sa patte apposée depuis bientôt trois décennies, en plus d'une nostalgie clairement avouée. On constate assez rapidement une reconstitution en décors réels à la fois démesurée et discrète, qui n'a pas pour ambition de nous en mettre plein la vue mais plutôt de nous emmener en voyage dans ses années 60, une toile de fond ayant une importance prépondérante par rapport à une éventuelle trame narrative plus ou moins construite, ce qui il faut l'avouer peut déstabiliser. J'ai de temps à autre repensé au Under the Silver Lake de David Robert Mitchell et ce sentiment de ne pas trop saisir l'intérêt du scénario mais de naviguer dans l'arrière plan au dos des personnages, jusqu'à me laisser prendre au jeu, Tarantino démontre (enfin ?) sa maturité en proposant quelque chose de plus exigeant au spectateur, d'invoquer l'érudit, tout en lui donnant diverses confiseries dont il raffole, et on prend volontiers.
Les protagonistes principaux incarnés par Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) et Cliff Booth (Brad Pitt) ne sont en fait que des rouages dans une immense machine qui suit son cours, où tout nous ramène à cette nuit du 8 août et l'assassinat de Sharon Tate (Margot Robbie), censé changer le destin d'Hollywood, ils subissent les évènements sans véritablement donner l'impression de pouvoir y jouer un rôle déterminant, mais Tarantino va leur confier une mission, celle de projeter différentes couleurs et nuances sur cette fameuse toile de fond, des réceptacles à fantasmes et/ou influences en tout genre. D'un côté Dalton, vedette du petit écran repu d'égocentrisme loupant la marche d'une carrière au cinéma, et de l'autre Booth, flegmatique cascadeur reconverti homme à tout faire, les deux se complètent et représentent tout un pan de caractérisation, à savoir ici comment survivre à Hollywood, regarder en arrière ou aller de l'avant, mais aussi de se placer sous différentes couches du film, ce qui est sans doute l'idée la plus fascinante de Tarantino. Car il y a trois couches bien distinctes, celle du tangible (à savoir l'intronisation de personnages ayant existé dans un environnement et un contexte inspiré de faits réels, relativement discrets mais présents dans la filmo du réalisateur), celle du fictif se rattachant au tangible (les personnages de Rick et Cliff entre autres, ainsi que les détournements comme celui de La Grande Évasion), et celle de la fiction se rattachant au fictif (les scènes de tournage vus en mode cinéma), rendant tortueux et récréatif le fil conducteur du long métrage, comme passer d'un genre à un autre sans que cela ne perturbe, bien au contraire...
J'en veux pour preuve cette séquence du ranch où Cliff ramène une jeune hippie acoquinée à la famille Manson, filmé tel un western se muant en thriller, avec d'un autre bord Rick jouant sa survie dans un énième rôle de vilain en studio, deux visions du cowboy, deux couches différentes, deux films en un, et le spectateur passe par toutes les émotions, c'est sans doute à ce moment précis que j'ai pris conscience de la puissance du montage et du condensé de références de QT, le tout sans abuser de ses gimmicks. Reste la première couche incarnée par Sharon Tate qui me pose un peu problème car ne se mêlant à mon goût pas très bien à l'alchimie proposée par le duo Rick-Cliff, à savoir montrer la candeur innocente et émerveillée d'une brebis qu'on allait égorger telle Betty dans Mulholland Drive, malheureusement on sent à 10km le pied de nez révisionniste qu'avait déjà réservé Tarantino à Hitler dans Inglourious Basterds, qu'il voulait coute que coute placer ce personnage, d'où des passages que je ne juge pas nécessairement utiles, comme la relation pseudo ambiguë avec Jay Sebring, ça ne mène pas à grand chose, prévisible donc. Par contre ce qui est confus et amusant c'est l'anonymat dont jouissaient les célébrités dans cet Hollywood, autant pour Tate vedette montante qui n'est pas reconnue par la guichetière du cinéma qui projette son film, et Dalton vedette confirmée dont les gens mettent un certain temps à reconnaître, reléguant tout ce beau monde sur un pied d'égalité (d'où le moment charnière d'un passage vers un autre).
Autre signe de maturité chez Tarantino : Once Upon a Time... in Hollywood est aussi un film qui arrive à prendre son temps, au profit d'une immersion quasi introspective par moment ainsi qu'à la mélancolie, d'où le côté voyage qui m'a traversé de part en part, cette minutie du détail qui ne nous fait pas douter des intentions, j'ai en tête toute la séquence où Cliff rentre à sa caravane en traversant la ville en décapotable, donner à manger à son chien et regarder la télé, le tout sans que ça n'impacte sur l'action suivante, rappelant furieusement l'intro de The Long Goodbye de Altman, avec tout de même un élément placé en fusil de Tchekhov (vous voyez de quoi je parle). Mais vous pouvez chasser le naturel il revient toujours au galop : flashbacks désopilants, jeu de formats et grains cinéma, cabotinage jouissif, tension explosive, pastiches digressives, bande son omniprésente (et encore une fois géniale, s'amusant de son utilisation extra-diégétique), etc, tout l'attirail estampillé QT est bien là pour contenter au minimum les sceptiques du virage sinueux entrepris, sans compter sur la prestation des acteurs qui déroulent leur palette avec une maestria hors-norme. DiCaprio et Pitt démontrent qu'ils peuvent tout jouer en 2h40, jonglant sans pression avec les casquettes dramatiques et humoristiques, surpris même d'avoir autant ri (comme toute la salle) dans la dernière demi-heure du film tant le détournement burlesque va loin, en plus de la mise en scène nous faisant languir à base de storytelling chronologique et d'une cigarette acidulée qui annonce sa petite fiesta chaotique. Feu d'artifice !
Reste cette toute dernière scène devant la villa Polanski où Rick Dalton rencontre enfin sa voisine Sharon Tate, ayant donc échappé au massacre, représentant ce fameux lien renoué entre deux courants, d'une nouvelle industrie en marche, et comme dit précédemment c'est très/trop attendu, mais avec du recul il est vrai qu'en terme de symbolique le message est cohérent par rapport à la mélancolie qui transpire du film, celle d'un conte qui se finirait bien, où il était une fois un Hollywood qui laissait sa chance aux bannis comme aux étoiles.
Once Upon a Time... in Hollywood, neuvième et possiblement avant dernier film de la carrière de Quentin Tarantino montre donc des facettes inédites du réalisateur (sans que ce dernier ne se fourvoie non plus), peignant une fresque dense et nostalgique des années 60 sous allure d'œuvre somme, un grand voyage de cinéma(s) pour cinéphiles passionnés, tellement précieux en ces temps si funestes qu'il résonne encore mieux, les icônes sont toujours là, alors profitons.