« The Misfits » (marginaux en français) est adapté par Arthur Miller d’un de ses romans. En plein divorce de Marilyn Monroe, le scénario lui est consacré, portrait saisissant et véridique aux antipodes de l’image glamour qu’elle véhiculait dans les comédies sophistiquées hollywoodiennes. Flottant au moment du divorce d’un homme qui n’était pas présent (étonnant numéro « in vitro » devant un miroir), elle rêve de la vie de couple d’un passé révolu depuis longtemps. Elle rencontre un garagiste instable qui change de métier régulièrement, un vieux cow boy fatigué et un rodeoman aussi désabusé que cassé. Dans des décors hallucinants qui vont de la maison jamais terminée au désert le plus aride (superbe noir et blanc de Russell Metty enfermé dans un format 1:66), les protagonistes tentent, sans y croire vraiment, de vivre un rebond pourtant impossible car ils sont inadaptés dans un monde qui a tellement changé qu’ils ne le comprennent plus. Démonstration de la fracture qui arrive et qui cassera pour toujours le rêve des pères fondateurs de la nation américaine, et dont aujourd’hui la spirale infernale paraît sans fin. Miller et Huston décrivent donc les symptômes du mal à venir et s’attachent, au travers de ces récits individuels, à la souffrance de ceux qui sont déjà des fantômes dans le film. Mais ils vont le devenir dans la vraie vie. Clark Gable meurt deux jours après la fin du tournage d’une crise cardiaque, incombée par la presse à l’attitude de Marilyn, en omettant que pour un homme malade du cœur (tabagie et alcoolisme) assurer sans cascadeur le domptage des mustangs, n’était vraiment pas raisonnable. Marilyn, qui a toujours été pulpeuse, est ici carrément ronde, suite à ses dépressions successives soignées par un mélange alcool–excitants-calmants qui lui sera accidentellement (très controversé) fatal moins de deux ans plus tard, Something’s Got to Give de George Cukor restantinachevé, fait de « The Misfits » son dernier film. Touchante et troublante elle passe du plus sexy au plus insoutenable (ses cris au fond du désert contre la conserverie pour chien destinée aux mustangs capturés) et prouve qu’elle était en fait une immense actrice. Quand à Montgomery Clift, dont Marilyn dira que sur le tournage il était la seule personne encore plus cassée qu’elle, il succombera cinq ans plus tard. Le film fut un four à sa sortie. Néanmoins, avec le temps, il est devenu culte, symbole du film maudit par excellence, il ouvrit la voie au cinéma de fracture du à une modernité écrasant l’ouest et ses mythes, dont l’un des plus beau représentant sera un an plus tard, en 1962, « Lonely are the Brave » (Seuls sont les indomptés) de David Miller avec Dalton Trumbo au scénario. Huston réalise donc un très grand film, prémonitoire à plus d’un titre.