"Saul Bass. Avant même que je le rencontre, avant que nous travaillions ensemble, il était déjà une légende à mes yeux. Son travail de Design, pour les génériques de films, la création des logos des sociétés, et les affiches publicitaires, ont défini son époque. Dans leurs essences, ses créations infusaient et distillaient la poésie et la modernité du monde industriel.
Ses oeuvres ont donné des images cristallisées, comme des expressions de ce que nous étions et où est-ce que nous allions, vers ce futur qui nous attendait. Ses créations étaient des images sur lesquelles nous pouvions rêver. Et c'est toujours le cas..."
C'est ainsi que Martin Scorsese, cinéaste cinéphile par excellence, s'exprimait, dans un ouvrage de référence sorti en 2011, Saul Bass: A Life In Film & Design. Saul Bass, un Graphic Designer de génie et inventeur du générique moderne, encore trop méconnu du grand public, disparu en 1996 à l'âge de 75 ans. Un artiste dont la créativité et l'oeuvre se font encore ressentir aujourd'hui.
"Il pénétrait le cœur du film, et trouvait son secret"
C'est Martin Scorsese qui sortira l'artiste de sa semi retraite à l'orée des années 1990. "Ses génériques ne sont pas de simples étiquettes sans imagination – comme c’est le cas dans de nombreux films – ils sont bien plus, ils font partie intégrante du film en tant que tel. Quand son travail apparaît à l’écran, le film lui-même commence vraiment. Je parle au présent, car son travail et celui de sa femme Elaine parlent à chacun de nous, peu importe notre âge, peu importe notre date de naissance" expliquait le cinéaste dans l'ouvrage Saul Bass: A Life In Film & Design.
Et de se souvenir de sa première collaboration avec le maître. "La première fois que j'ai travaillé avec lui, c’était pour Les Affranchis. J’avais une idée pour le générique, mais je n’arrivais pas à mettre les mots dessus. Quelqu’un m’a suggéré de faire appel à Saul Bass, et je me suis dit “oserons-nous ?” Après tout, il avait travaillé sur Vertigo, Psychose, Autopsie d'un meurtre, Tempête à Washington, Spartacus, L'inconnu de Las Vegas…
Des films qui m’ont défini en tant que spectateur, en tant que cinéaste. Quand nous étions jeunes et que nous allions au cinéma, son travail nous excitait terriblement : comme la musique de Bernard Herrmann, il ajoutait une dimension spéciale au film. Il rendait instantanément les films… différents, à part. Saul, pour le dire simplement, était un grand réalisateur de films. Il regardait l’œuvre, et il en comprenait immédiatement le rythme, la structure, l’humeur… Il pénétrait le cœur du film, et trouvait son secret".
"Pensez à l'Enfer de Dante..."
Après avoir signé les génériques des Nerfs à vif et celui, splendide, du Temps de l'innocence, Saul Bass tirera sa révérence avec un générique en forme d'apothéose: celui de Casino. Sur le thème musicale de La Passion de Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach, Saul Bass et sa femme Elaine ont créé une composition graphique élégante, brillante et baroque.
Une séquence que Saul Bass décrivait ainsi : "Pensez à l'Enfer de Dante et au peintre Jérôme Bosch, adossés à la Passion selon Saint Matthieu de Jean-Sébastien Bach, et vous aurez une idée de ce que nous essayons de réaliser".
Le Designer et sa femme voulaient ainsi représenter visuellement l'ascension et la chute de l'âme et du corps d'Ace Rothstein, tandis que Las Vegas agit comme un purgatoire. Entre son ascension et sa chute, les flammes purificatrices laissent la place aux néons de Las Vegas, "la ville qui nous lave de tous nos péchés".
La revoici, pour le plaisir...
"Dans ce générique, Elaine et Saul ont trouvé la parfaite métaphore pour l'ensemble du film, comme un tout : le Las Vegas des années 70, et la descente aux enfers de la Mafia" dira, ému, Nicholas Pileggi, scénariste du film.
Une ultime et émouvante carte de visite du maître, pour la postérité. "Il n'y a rien de glamour dans ce que je fais. Je suis un travailleur. Peut-être suis-je plus chanceux que la plupart, en ce que je retire la satisfaction importante de faire un travail utile que je trouve, parfois, et d'autres que moi également, réussi" disait Saul Bass. Qu'il puisse, de là-haut, être rassuré. Son héritage n'est pas prêt de s'éteindre. So long l'artiste...