Il est mort avant de pouvoir finir son film : 17 ans après sa Palme d'or, le sublime film posthume de Laurent Cantet achevé par Robin Campillo ouvre la Quinzaine des cinéastes à Cannes 2025
Mégane Choquet
Mégane Choquet
-Journaliste
Journaliste spécialisée dans l'offre ciné et séries sur les plateformes quel que soit le genre. Ce qui ne l'empêche pas de rester fidèle à la petite lucarne et au grand écran.

Film posthume de Laurent Cantet ("Entre les murs") repris par son ami et collaborateur Robin Campillo ("120 Battements par minute"), "Enzo" fait l'ouverture de la Quinzaine des Cinéastes au Festival de Cannes. Un dernier film poignant et magnifique.

En 2024, la Quinzaine des Cinéastes s'ouvrait sur le dernier film Ma vie Ma gueule de la réalisatrice décédée Sophie Fillières, dont ses enfants avaient terminé la finalisation en son honneur. Cette année, cette section parallèle du Festival de Cannes réitère l'ouverture hommage pour l'édition 2025.

Enzo
Enzo
Sortie : 18 juin 2025 | 1h 42min
De Laurent Cantet, Robin Campillo
Avec Eloy Pohu, Pierfrancesco Favino, Élodie Bouchez
Presse
3,9
Spectateurs
3,8
Séances (461)

C'est le film Enzo qui fait l'ouverture de la Quinzaine des Cinéastes cette année. Il s'agit du cinquième et dernier long-métrage de Laurent Cantet, connu pour ses films Entre les murs (Palme d'or 2008), L'Atelier et Ressources Humaines et Robin Campillo (Les Revenants, Eastern Boys, 120 Battements par minute, L'Île rouge).

"Laurent et moi c'est une amitié de cinéma"

À l'origine, c'est Laurent Cantet qui avait prévu de réaliser lui-même ce nouveau projet qui s'intitulait L'Apprenti à l'époque. Mais le réalisateur luttait depuis un moment contre le cancer qui l'a finalement emporté en avril 2024. Suite à son décès, c'est son ami et collaborateur de longue date Robin Campillo qui assure donc la mise en scène de ce film posthume qu'il a coécrit avec Laurent Cantet.

"Il m'avait déjà parlé de ce projet il y a vraiment trois, quatre ans", nous explique Robin Campillo, "Avec Gilles Marchand, ils avaient fait un traitement d'une vingtaine de pages et je trouvais le projet étonnant et enthousiasmant. Laurent a eu un coup de mou, il n'était pas sûr de vouloir faire le film. Et puis, il a eu ce diagnostic, un stade de cancer très grave. Et là, je lui ai dit : 'On va faire comme avant. J'écris avec toi le scénario, je t'accompagne pendant toute la prépa, le casting, le tournage'."

AlloCiné / Alexandre Ear

Laurent Cantet est malheureusement décédé très vite et peu de temps avant le tournage. Il voulait tout arrêter, mais Robin Campillo et la productrice Marie-Ange Luciani l'ont convaincu de poursuivre le projet.

"On a discuté avec lui à l'hôpital avec Marie-Ange [Luciani, la productrice, ndlr], on lui a dit: 'Mais on a très envie de faire le film'", nous confie Robin Campillo, "Sa compagne Isabelle aussi avait très envie de voir le film. Et donc, c'est un moment assez surréaliste, mais assez beau quand même de réflexion.

Et je lui ai dit tout de suite: 'Je ne suis pas sûr d'arriver à faire un film à ta manière mais je ferai le film comme je peux'. On est partis là-dessus et on est partis tous comme des bons petits soldats, les techniciennes, techniciens, les comédiennes, les comédiens, la production. C'était assez joyeux de se lancer là-dedans".

Robin Campillo et Laurent Cantet sont amis depuis des années. Le réalisateur de 120 Battements par minute a étudié à l'Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) de Paris avec Laurent Cantet et a participé plusieurs fois en tant que coauteur et monteur de ses films, dont Entre les murs, lauréat de la Palme d'or en 2008.

Les Films de Pierre

Il était naturel pour Robin Campillo de poursuivre et finir Enzo, malgré l'absence de Laurent Cantet, dont l'aura a plané sur tout le film et encore aujourd'hui :

"Laurent et moi c'est une amitié de cinéma. Évidemment, on se connaissait dans le privé. Mais ce qui nous réunissait, c'est le cinéma, la fabrication des films, etc. Mais il fait tellement partie de moi. J'ai l'impression que j'ai tellement fait partie de lui aussi.

Je n'arrive pas à mettre de mots sur ce qu'on échangeait. L'amitié, c'est beaucoup du silence et du fait qu'on avance ensemble sans trop se poser de questions. J'ai eu du mal à être triste, j'ai l'impression qu'il est simplement hors champ. Mais après, son absence va me rattraper à un moment ou à un autre.

Il y a quelque chose sans doute plus mystique que ce que j'imagine et qui a à voir avec avec Laurent, avec son absence qui marque le film. C'est un des films les plus personnels pour nous deux et pour notre relation."

Un "Call me by your name" français ?

Enzo est un drame centré sur le personnage-titre de 16 ans qui est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale.

Sur les chantiers, il rencontre Vlad, un collègue ukrainien charismatique et plus âgé. Grâce à cette nouvelle connaissance, Enzo va sortir de sa zone de confort. Très vite, il se rend compte que la vie lui offre des possibilités inattendues.

Avec ce sublime décor provençal, des corps sculptés sous un soleil de plomb, un jeune garçon fasciné par un homme plus âgé qui cherche à s'extraire de son milieu familial aisé et pourtant aimant, Enzo n'est pas sans rappeler le film Call me by your name de Luca Guadagnino.

Les Films de Pierre

Comme le film du cinéaste italien, Enzo est un récit d'émancipation poignant d'un jeune garçon troublé par ses premiers émois, ses premières déchirures familiales et ses premières remises en question face à différentes formes de masculinités, dont celle de la figure paternelle incarnée par un Pierfrancesco Favino profondément touchant.

Avec une grande justesse et un regard tendre et compatissant, Laurent Cantet a imaginé une histoire d'amitié/d'amour romanesque et onirique, comme un mirage aussi enchanteur que destructeur dans la vie d'un garçon. A travers une rencontre déterminante qui bouleverse et libère de certains poids, Enzo se découvre et trouve enfin un chemin qui lui est propre.

Le jeune acteur Eloy Pohu qui incarne Enzo a le même charisme et la même fougue que Timothée Chalamet et devrait faire parler de lui à l'avenir. Ce talent en herbe est une véritable révélation qui peut compter sur son partenaire de jeu Maksym Slivinskyi, novice également, solaire et puissant.

Et pourtant, n'y voyez pas là une inspiration pour Enzo. "Je n'ai pas vu Call me by your name", avoue Robin Campillo, "mais j'ai l'impression qu'il faudrait que je le vois, voire même que j'aurais dû le voir avant d'écrire le scénario. Parce qu'effectivement, on m'a beaucoup parlé de ça. Donc, je vais le voir et je vous le dirai par la suite. Je crois que Laurent ne l'avait pas vu non plus. Je ne sais pas, on n'en a pas parlé. Il faudrait que je le vois".

Propos recueillis par Mégane Choquet le 14 mai 2025 à Cannes.

La Quinzaine des Cinéastes se tient du 14 au 22 mai 2025 à Cannes.

Le film "Enzo" de Robin Campillo sortira au cinéma le 18 juin prochain.

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