En 2023, la Semaine de la Critique du Festival de Cannes accueillait Sleep de Jason Yu, film de genre réalisé par un ancien assistant de Bong Joon-ho, lequel ne tarissait pas d'éloges sur son poulain. Deux ans plus tard, on pourrait penser revivre la même chose avec Left-Handed Girl, sur lequel apparaît le nom de Sean Baker, lauréat de la Palme d'Or 2024 et grand gagnant des Oscars 2025 grâce à Anora. Mais non.
Car le cinéaste est davantage impliqué dans cette tragi-comédie dont il est le co-scénariste, le monteur et le producteur, et qui est réalisé par Shih-Ching Tsou, l'une de ses plus fidèles collaboratrices : non contente d'apparaître quelques fois devant sa caméra (dans Tangerine, The Florida Project et Red Rocket), elle est la productrice de cinq de ses films, dont Take Out qu'elle a co-réalisé à ses côtés en 2004, et auquel on a pas mal pensé en découvrant L'Histoire de Souleymane, dont le sujet était très proche.

Vingt ans plus tard, la cinéaste d'origine taïwanaise repasse à la réalisation, seule, avec ce qui aurait pu être son premier long métrage si le projet n'avait pas été jugé aussi ambitieux. Mais cela valait le coup d'attendre, car Left-Handed Girl nous offre sans aucun doute le personnage le plus mignon qu'il nous sera donné de voir pendant cette édition : la petite gauchère I-Jing jouée par Nina Ye, qui n'est pas sans rappeler Brooklynn Prince dans The Florida Project, grâce à son caractère ou ces plans qui la suivent quand elle court dans les allées d'un marché de Taipei, où se déroule le récit.
Une boule d'énergie bluffante de naturel qui donne beaucoup de son tempo à cette tragi-comédie aux embardées pop qui raconte comment une mère et ses deux filles débutent une nouvelle vie dans la capitale taïwanaise et tentent de maintenir leur équilibre familial tout en affirmant leur différence dans une société encore marquée par le poids des traditions patriarcales. Et un rôle avec des choses à jouer, tantôt drôles (souvent), tantôt tristes (à la fin notamment).
"Quand nous l'avons vue, nous avons immédiatement pensé que nous avions trouvé notre I-Jing"
Une perle très rare qui n'a, évidemment, pas été facile à trouver : "Je voulais faire un casting dans la rue pour trouver ma petite fille", nous explique la réalisatrice. "J'ai donc regardé entre 90 et 100 vidéos d'audition que les gens nous avaient envoyées, mais je n'ai trouvé personne à ce moment-là.", nous dit la réalisatrice depuis la Croisette. "Nous avons donc organisé un autre atelier et invité d'autres petites filles à venir travailler avec nous. Nous avions un coach d'acteur qui nous a aidés à trouver ce qu'il nous fallait pour ce rôle, mais nous n'avons pas plus réussi. Au final, c'est une agente commerciale qui nous a recommandé Nina, car elle avait tourné dans de nombreuses publicités quand elle était plus jeune. Et quand nous l'avons vue, nous avons immédiatement pensé que nous avions trouvé notre I-Jing."
"Je suis très différente de mon personnage", complète la principale intéressée, aujourd'hui âgée de 9 ans, qui nous raconte également le temps qu'elle a passé à jouer avec l'un de ses partenaires : l'adorable suricate GooGoo : "Je jouais à lui lancer des objets, comme on le fait avec des chiens ou des chats", ajoute-t-elle en riant. S'il possède un distributeur (Le Pacte, qui avait sorti Anora et Red Rocket, et c'était engagé sur ce film lorsque ce dernier avait été présenté à Cannes), Left-Handed Girl n'a pas encore de date de sortie en France. Mais sa jeune héroïne restera à coup sûr l'un des personnages les plus attachants de cette édition, et notre Palme de la mignonitude.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 16 mai 2025