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    "Nobody knows" : rencontre avec Kore-eda Hirokazu

    Allociné à rencontré le Japonais Kore-eda Hirokazu, réalisateur de "Nobody knows", le film qui a ému la Croisette cette année et a valu à un jeune acteur de 14 ans le Prix d'interprétation masculine.

    En mai dernier, Nobody knows avait eu le redoutable honneur d'ouvrir la compétition cannoise. Cette émouvante chronique, filmée de façon quasi-documentaire et pourtant pleine de poésie, avait cueilli des festivaliers réputés blasés. Quentin Tarantino lui-même n'y pas été insensible, puisque le Président du Jury du Festival de Cannes avait décerné son Prix d'interprétation à Yagira Yuya, comédien non-professionnel âgé de seulement 14 ans. Quatrième long métrage de Kore-Eda Hirokazu, après les remarqués Maborosi, After Life et Distance, le film relate la vie quotidienne de quatre enfants livrés à eux-mêmes après le départ de leur mère. Rencontre avec le cinéaste.

    AlloCiné : le film est inspiré d'un fait divers réel, qui secoua le Japon il y a quinze ans. Qu'est-ce qui, à l'époque, avait attiré votre attention dans cette histoire ?

    Hirokazu Kore-Eda : Ce qui m'avait étonné, c'est que personne ne s'était vraiment rendu compte de la situation de ces enfants. Il me semblait que ça en disait beaucoup sur Tokyo, la ville ou je suis née et où j'ai toujours vécu. A travers ce fait divers, je pouvais donc parler de cette ville que je connais bien. D'autre part, à l'époque où le fait divers a éclaté, la presse avait diabolisé la mère, et avait parlé de la vie de ces enfants comme d'un enfer. Or, ce qui m'avait frappé, c'est que la petite fille de 10 ans avait dit après-coup : "Mon frère aîné était gentil." Ca m'avait touché, et à partir de cette phrase, je me suis posé des questions. Je me suis dit que cela n'avait pas pu être un enfer en permanence : s'ils ont vécu comme ça pendant six mois, des relations très fortes ont dû se nouer : une solidarité, une complicité se sont sans doute créées. Nobody knows est aussi construit comme un film à suspense : le quotidien de ces enfants est semé d'embûches, et on observe comment chacun arrive, ou pas, à surmonter ces difficultés.

    Entre l'époque du fait divers et le tournage de votre film, quinze années se sont écoulées. Entre-temps, votre projet a certainement évolué...

    Si j'avais tourné le film il y a quinze ans, il aurait certainement été plus proche du fait divers. Au départ, je voulais faire un film quasi-documentaire. Peu à peu, j'ai voulu ajouter une dimension plus poétique. Le film s'est alors recentré sur le parcours initiatique d'un adolescent, ce qui lui donne peut-être une dimension plus universelle.

    Sur le plateau, comment avez-vous travaillé avec les enfants ?

    Le scénario était très précis, très écrit, mais je ne l'ai pas donné aux enfants. Je leur murmurais à l'oreille ce qu'ils devaient faire et dire. Certaines scènes sont improvisées (la séquence du parc, celles où ils mangent des nouilles instantanées), mais il y en a moins qu'on ne le pense. Durant le tournage, les enfants se sont rapidement appelés par les prénoms de leurs personnages : j'aurais pu les filmer pendant les pauses... On avait vraiment l'impression qu'ils étaient frères et soeurs. Certains ont changé au cours du tournage, en particulier l'adolescent qui joue Akira : au début il était assez renfermé, il ne parlait pas beaucoup, puis il a mûri, s'est affirmé.

    Aviez-vous des modèles en matière de films avec des enfants ?

    Non, même si Un temps pour vivre, un temps pour mourir de Hou Hsiao Hsien est pour moi une oeuvre de référence. J'aime beaucoup les films de François Truffaut ou de Ken Loach (Kes, par exemple), mais aucun ne m'a directement influencé. En tout cas, ce que j'ai retenu du tournage, c'est qu'il faut traiter les enfants comme tout le monde. Ce qui compte est la relation de confiance qu'on instaure avec eux. Ils ont très bien compris tout ce que je leur demandais de faire.

    Comment ont réagi les jeunes acteurs après avoir vu le film ?

    Ils l'ont tous aimé, mais ont réagi différemment. Ce qui m'a surtout frappé, c'est la réponse de celle qui interprète la petite Yuki. Elle m'a dit : "Vous avez tellement tourné que je me demandais si ça allait faire un film, bien construit... Et en le voyant, j'ai été rassurée". Cela dénote une certaine maturité.

    "Nobody knows" aborde un problème de société. Comment le film a-t-il été accueilli au Japon ?

    La démission parentale devient un problème quotidien au Japon. A la suite de la sortie du film, il y a eu pas mal d'émissions, auxquelles j'ai participé, sur le sujet. Beaucoup d'enseignants, de médecins, de travailleurs sociaux veulent faire des débats sur le film... Si le cinéma peut faire bouger les choses, tant mieux, mais je ne fais pas des films dans cet objectif. Mon intention n'était pas de dénoncer qui que ce soit. Avec ce film, j'aimerais surtout que les adultes se souviennent de leur propre enfance, qu'ils ont complètement oubliée, et qu'ainsi leur regard sur les enfants change.

    Le jeune Yagira Yuya, 14 ans, a été récompensé à Cannes pour sa prestation dans votre film. Le fait d'attribuer ce prix à un enfant est contesté par certains. Qu'en pensez-vous ?

    Je ne partage pas ce point de vue. Si un comédien est bon, il peut être primé, quel que soit son âge. Plus largement, je pense que le principe de la compétition est un peu absurde, puisqu'on doit comparer des films qui n'ont rien à voir les uns avec les autres.

    On se souvient que Yagira Yuya n'avait pas pu venir chercher son prix à Cannes car il devait passer des examens au Japon. Mais on ne connaît pas les résultats de ces examens...

    (sourire) Malheureusement, il a échoué...

    Recueilli par Julien Dokhan

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