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    "L'Homme sans âge" par Francis Ford Coppola

    AlloCiné a assisté à la conférence de presse donnée par le légendaire Francis Ford Coppola, à l'occasion de la sortie en salles le 14 novembre de son dernier très attendu "L'Homme sans âge". L'occasion pour le cinéaste, qui n'a pas fait de film depuis 1998, de revenir sur son parcours et ses choix artistiques. Rencontre événement.

    Une conférence de presse en compagnie du légendaire Francis Ford Coppola, cela ne se refuse pas. AlloCiné était donc présent pour la présentation de son dernier film, L'Homme sans âge, qui sort en salle le 14 novembre prochain. N'ayant plus rien tourné depuis L'Idéaliste en 1998, c'est peu dire que son dernier film est très attendu. Morceaux choisis.

    Dès votre arrivée en Roumanie, vous avez décidé de réaliser "L'homme sans âge" en ayant à l'esprit vos débuts cinématographiques. Est-ce cette crise artistique qui vous a permis de réaliser ce film ?

    Francis Ford Coppola : Je me sentais coincé, ou plus exactement plus vraiment à ma place dans l'industrie du cinéma. En fait, je ne savais plus où je me situais par rapport à elle. Je ne voulais plus faire de gros films de studio, qui pour moi étaient sans arrêt une sorte de répétition continuelle du même film. En même temps, je voulais trouver les moyens de faire des films d'avant-garde; des films plus personnels. Donc j'étais à la fois coincé et frustré. Et finalement, c'est grâce aux affaires que j'ai développé dans les vins [NDLR: le cinéaste est propriétaire-exploitant viticole dans la Napa Valley, aux Etats-Unis] que j'ai pu faire L'Homme sans âge.

    Vous aviez déjà abordé le thème du voyage dans le temps avec "Peggy Sue s'est mariée". Est-ce que cette thématique du temps vous tient particulièrement à coeur ?

    J'ai toujours senti que le cinéma était très à même à montrer la manipulation du temps. On peut revenir en arrière, aller en avant, et même arrêter le temps. Donc c'est toujours quelque chose qui m'a intéressé, mais dans un sens plus large. Je voulais aborder le thème de la conscience, qui est créatrice de la notion temporelle. Dans mes films précédents, il y avait bien sûr des films d'amour. Mais il y avait aussi des films où le concept du temps était déjà très présent. Je crois que mon intérêt pour cette question est même déjà visible dans des films comme Rusty James.

    L'un des thèmes centraux de "L'homme sans visage" est celui du langage. Quelles interrogations avez-vous justement sur le langage cinématographique ?

    Le gros défi sur ce film a aussi été d'apporter sa propre pierre à la discussion sur ce qu'est le langage cinématographique. Et bien sûr d'essayer à travers lui de cerner davantage la conscience interne, en quelque sorte. Contrairement aux livres, dans le cinéma, on est tout de suite beaucoup plus limité. On a du mal à montrer ce qui se passe dans la tête d'une personne. Donc il y a une frustration naissante du côté du metteur en scène, qui se demande "comment partager avec le public, avec la même souci de transparence que le roman, la connaissance intime de ce qui se passe dans le cerveau de l'autre ? " Bien sûr, il y a la méthode de la voix off. Vous avez également le talent immense de grands acteurs, qui arrivent à montrer ce qu'ils pensent grâce à leur gestes ou un regard. Il y a aussi l'utilisation de la métaphore, car tout film est avant tout poésie. Il y a encore aussi la façon de montrer un contexte. Si par exemple je passe immédiatement d'une expression à une scène qui montrera l'échoppe d'un boucher, je montrerai ce qui se passe dans le paysage mental de mon acteur. C'est un peu ce que disait Sergei Eisenstein dans son second livre, sur la difficulté de rendre compte de la perception intérieure et de la conscience intérieure. Dans mon film, j'ai donc été obligé en quelque sorte de transcender ce langage, puisqu'il est à la fois rêves et réalités. Comment alors trouver le moyen de montrer ce qui se passe ? Modestement, j'espère avoir un peu réussi, et montré ce qu'est la perception du point de vue d'un metteur en scène.

    Les acteurs du film ont un rôle extrêmement difficile. Comment les avez-vous choisis, notamment Tim Roth ? Y'a-t-il eu beaucoup d'essais ?

    Au départ, ce film est une co-production européenne. Et puis c'était aussi une coopération entre la Roumanie et la France. Donc en quelque sorte, les termes du contrat m'empêchaient d'aller voir du côté de l'Amérique, tant pour ses techniciens que pour ses acteurs. Je cherchais des acteurs capables de parler dès le départ anglais. Je cherchais surtout un acteur qui au fil des ans avait montré que son travail pouvait être impressionnant, mais surtout qui, quelque part, n'avait jamais eu "son" film. Un film qui le distingue par quelque chose de très précis.

    Et c'est vrai que Tim Roth appartient à cette catégorie. Pour dire vrai, j'avais en tête deux ou trois acteurs différents, dont lui. Et cela dit en passant, j'aurai pû utiliser un acteur Américain pour mon film si je l'avais vraiment voulu. Mais cela aurait été vouloir aller au-devant de gros soucis. Lorsque j'ai rencontré Tim, j'ai réellement été impressionné. Je m'attendais à voir débarquer le vilain, le bad guy, celui qui a toujours les rôles de salaud. J'ai rencontré quelqu'un de charmant, d'attentionné et de très intelligent. La question essentielle était : "comment le faire passer d'un âge jeune à un âge adulte ? ". Lorsque je lui ai demandé quelle était pour lui l'essence de la jeunesse et de la vieillesse, il m'a répondu en mimant avec sa chaise : "finalement, la différence entre être jeune et vieux, c'est ça !" [NDLR: Coppola mime alors une personne âgée essayant de s'extraire avec difficulté de son fauteuil].

    Après "L'homme sans âge", reviendrez-vous à des films plus grand spectacle ? Ou continuerez-vous à creuser l'intimité de ce genre de film ?

    Vous savez, je ne retournerai jamais au cinéma commercial. Dans ce système, je crois que l'on ne sait plus très bien où on en est. Les studios ne produisent plus rien du tout. Ils ne produisent même plus de drames. Tout ce qui les intéressent, ce sont des remakes, des formules toutes faites. Je crois que dans ce monde là, il n'y a pas de place pour un cinéaste comme moi. Et puis j'ai aussi très envie de financer mes propres films. Parce qu'au bout du compte, le décisionnaire ultime est celui qui finance.

    Le personnage du film rêve d'accomplir son oeuvre ultime. Est-ce que vous avez déjà le sentiment d'avoir réalisé votre chef-d'oeuvre ? Ou êtes-vous encore en quête de ce projet ultime ?

    Depuis ma jeunesse, j'ai toujours voulu faire "mon" film. Je le connais, mais je ne l'ai pas encore fait. Alors comment le décrire ? Je le vois avec une force de jeu des acteurs très importante. A l'image des films d'Elia Kazan, avec cette thématique tragique. Peut-être que j'appellerai ca un "drame poétique". J'espère en tout cas le réaliser dans les 5 prochaines années.

    Est-ce que ce film pourrait justement être Mégalopolis, sur lequel vous avez très longtemps travaillé ?

    Mégalopolis n'est pas "LE" film que je viens d'évoquer. C'était un film dans un genre totalement différent. Une sorte d'Opéra. Je crois qu'à l'époque, j'ai vraiment cru ce qu'on écrivait sur moi. C'est à dire que ma force était vraiment dans mon film; ces films énormes, coûteux, qui ressemblaient à des opéras. Je me suis rendu compte que Megalopolis exprimait cette idée un peu mégalomane de la race humaine qui avait le génie, le potentiel de créer une utopie, où chacun serait heureux et y aurait sa place. J'avais situé Megalopolis à Manhattan; donc déjà une thématique difficile. Et avec la tragédie du 11 septembre, c'était encore plus difficile. Mais à l'époque, je croyais vraiment en cette utopie, je croyais qu'elle était possible. Mais qu'on y arriverait peut-être dans 60 ans. Aujourd'hui, je n'ai rien perdu de cette croyance et de cet optimisme. Mais je crois que je suis en train de parler non pas d'une période de 60 ans, mais d'un minimum de trois siècles !

    Propos recueillis par Olivier Pallaruelo le 17 octobre 2007

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