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    "Nous, les vivants" : rencontre avec Roy Andersson

    Roy Andersson, cinéaste atypique et rare, revient avec "Nous, les vivants", sept ans après la révélation "Chansons du deuxième étage". Le Suédois, jovial et agréable, a répondu aux question d'AlloCiné.

    AlloCiné : "Monde de gloire" et "Chansons du deuxième étage" ont été tourné sans scénario ni découpage. Avez vous agi de la sorte sur "Nous, les vivants" ?

    Roy Andersson : Pour tous mes films je procède de la même manière. J'ai une trame, mais le scénario s'écrit au fur et à mesure du tournage. Pour Nous, les vivants, j'ai donc encore travaillé comme cela.

    Dans vos films, il y a souvent des séquences chantées. Encore plus dans "Nous, les vivants". La comédie musicale vous intéresse-t-elle ?

    Le fait est que je n'aime pas trop les comédies musicales ! (rires) Pour Nous, les vivants, j'étais d'humeur plus joyeuse et peut-être moins respectueuse pour le cinéma. Je veux dire que j'ai voulu montrer toutes les possibilités qu'offre le cinéma. Il y a le slapstick au début du film, les séquences chantées, mais aussi des parties plus graves. C'est un peu une manière pour moi de dire aux autres cinéastes : "Regardez ce que l'on peut faire !"

    Comme dans "Chansons du 2e étage", les instruments de musique tiennent une place importante dans "Nous, les vivants"...

    Je trouve qu'il y a un côté humaniste, très touchant, très infantile même, dans le fait que l'Etre humain a inventé ces énormes instruments comme le grand tuba, ces énormes tambours, etc... C'est très touchant et ils trouvent une place naturelle dans mes films. Ils sont vecteurs d'émotions.

    Justement, "Nous, les vivants" est parsemé de séquences oniriques. Les personnages eux-mêmes évoluent dans une sorte de songe. Le film est-il un film de rêveur, de grand enfant ?

    On ne veut pas l'admettre, mais nous sommes tous de grands enfants. Je suis donc tout à fait d'accord (rires).

    Vos films décrivent des situations désenchantées, signe d'une certaine déliquescence de la société arrivée à un stade ultime. Malgré cette ambiance de fin du monde, on sort du film remplit d'espoir...

    On préfère toujours voir les gens heureux, c'est certain. Mais on y perdrait tout de suite, dans un film comme celui-ci, en profondeur. Il ne faut pas cacher ce qui empêche les gens d'être joyeux, expansifs, et réfléchir sur pourquoi nous ne sommes pas ce que nous aimerions être.

    A certains moments, les personnages de "Nous, les vivants" se tournent et s'adressent directement à la caméra. Ce procédé a-t-il un sens particulier pour vous ?

    J'ai fait cela une première fois dans mon court-métrage Monde de gloire. Je trouve ce procédé très intéressant. C'est l'idée que la caméra observe les personnages mais que ceux-ci se sentent finalement observés. A partir de ce moment-là, ils se retrouvent un peu obligés de se tourner vers la chose qui les observe pour s'expliquer : "Pourquoi est-ce que je vis ça ?", "Pourquoi je suis dans cette situation ?" Par la suite, c'est devenu une sorte de dialogue entre les personnages et la caméra. Dans Nous, les vivants, il y a plusieurs scènes dans ce style. C'est surprenant au début mais à mesure que le film avance, les spectateurs s'habituent à ce contact direct. Je pense que c'est une astuce assez rare au cinéma.

    Vos tournez exclusivement en plan-séquence, avec un style très singulier. Comment le définireriez-vous ?

    Il est difficile de définir soi-même son style. Mais je dois bien avouer que je me sens assez seul dans ma manière de faire du cinéma. Autant je suis fier de cette singularité, autant je me sens également perdu. Cependant, je suis très influencé par la peinture. En peinture, en littérature aussi, il y a toujours des oeuvres vers lesquelles on peut se retourner. Dans l'histoire du cinéma, je pense qu'il y a peu d'oeuvres pour lesquelles on peut dire ça. J'ai une ambition de faire un cinéma vers lequel, justement, on pourra se retourner.

    Et vous, vers quelles oeuvres vous retournez-vous ?

    Il y a Luis Buñuel ou encore Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica. La vague des films noirs en France. J'ai également beaucoup d'admiration pour Stanley Kubrick et en particulier Barry Lyndon. Laurel et Hardy sont aussi une grande source d'inspiration. Ils l'ont notamment été pour Samuel Beckett qui est lui-même une vraie source d'inspiration pour moi. Je suis aussi très influencé par Federico Fellini, Amarcord notamment.

    En regardant vos films, on pense également à Jacques Tati...

    Oui ! Tati ! J'ai une affection particulière pour Playtime. Ce qui m'intéresse particulièrement chez Laurel et Hardy, mais aussi chez Chaplin ou Buster Keaton, c'est que se sont souvent des personnages qui essayent de s'élever socialement mais qui échouent. Je me sens très fortement attaché à ces personnages-là, à ces histoires.

    Il n'y a pas une structure dramatique précise et classique dans vos films. Avez-vous abandonné l'idée d'une narration classique, au sens ou on l'entend habituellement ?

    Dans la musique, les compositeurs comme Beethoven, Mozart avaient une structure classique. Ce qui me paraît le plus intéressant, ce sont ceux qui sont venus après et qui ont un peu bouleversé tout cela. Je pense à Mahler, Dvorak, Chostakovitch. Il me semble que c'est la même chose pour le cinéma. Le cinéma classique me paraît fini, un peu vide, en tout cas trop banal et moins intéressant.

    Propos recueillis par Benoît Thevenin à Paris, le 13 novembre 2007

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