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    "Fish Tank" : rencontre avec Andrea Arnold

    A l'occasion de la sortie ce mercredi de "Fish Tank", Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, AlloCiné a rencontré sa réalisatrice Andrea Arnold.

    AlloCiné : Vous dites que tous vos films partent d'une image. Quelle image a inspirée "Fish Tank" ?

    Andrea Arnold : C'était l'image d'une fille très énervée, elle faisait quelque chose d'assez fort, et j'ai ajouté un contexte, la raison pour laquelle elle faisait ça. Puis j'ai commencé à écrire autour de cette image. Par exemple, où est-elle ? Elle est quelque part, dans un endroit où elle n'a pas vécu, et pourquoi y est-elle ? Pourquoi fait-elle ça ? J'ai tenté de trouver qui elle était, et pourquoi elle faisait ça. Et c'est venu. Dans un sens, une image c'est bien, ça vous restreint, vous avez un genre de puzzle à compléter. Ça m'a plu. Il y a surement une ou deux autres images avec lesquelles le film est lié. D'habitude, il n'y en a qu'une. Je le ressent comme un guide, qui me dit ce que je dois faire, un genre de spectre comme, je sais que ça paraît dingue, mais comme une voix dans ma tête.

    AlloCiné : "Fish Tank", c'est l'histoire de Mia, mais aussi celle d'une famille, de trois femmes. Comment avez-vous choisi vos actrices ?

    De manière assez instinctive, je pense. Par exemple Kierston Wareing, qui était dans It's a Free World, le film de Ken Loach, n'avait pas fait grand chose avant. Et quand j'ai vu le film, elle y était vraiment géniale. Au départ, je pensais qu'elle n'était pas la bonne personne pour Fish Tank, je la trouvais trop glamour et l'image que j'avais de la mère dans Fish Tank était celle de quelqu'un de plus dur. Vous pouviez voir son passé sur son visage, la vie qu'elle avait eue s'inscrivait dans ses traits. Mais je l'ai tout même rencontrée, et dès que je l'ai vue, je me suis dit : elle est parfaite ! C'est juste qu'elle proposait autre chose que ce que j'avais à l'esprit, donc c'est bien d'être ouvert à ce niveau-là, vous ne savez pas forcément si ce qui vous frappe en premier lieu va être mieux que ce que vous avez imaginé. Je pense que le cas de Kierston est vraiment intéressant parce que vous avez des idées arrêtées sur ce que vous voulez et puis vous rencontrez quelqu'un, et ça change tout.

    AlloCiné : Vous n'avez donc pas écrit le scénario en pensant à une actrice en particulier ?

    Non, non. Je n'écris jamais en pensant à un acteur, jamais. Je pense aux trucs qu'il faut que j'y mette, vous savez, comme quand on se dit : "Tiens là, je vais mettre un indice..." Je crois que c'est la même démarche que le coup de l'image. Au moins, vous pouvez partir de quelque chose, de quelque part. Je comprends pourquoi d'autres le font parce qu'au moins on peut partir de ça. Mais je ne fait jamais ça. J'essaie toujours de trouver mon univers. Après, je commence à penser aux actrices.

    AlloCiné : Beaucoup de scènes difficiles dans "Fish Tank" se passent de mots. Et la plupart du temps, quand ils s'adressent la parole, les personnages s'insultent. Est-ce une manière de dire que les mots ne peuvent pas tout exprimer ?

    Pour moi, le cinéma, ce ne sont pas les mots, ce sont les images. Je pense que le principal est dans les non-dits. Ce que les gens disent, d'un côté c'est important, mais d'un autre, pas tant que ça. Les mots, c'est surtout du bruit. Je sais que les mots peuvent beaucoup compter dans la vie, ce que quelqu'un vous dit peut être très important, ça peut signifier énormément, mais en fin de compte, ce sont les actions des gens qui sont les plus parlantes, qui en disent le plus. Quelqu'un peut vous dire qu'il vous aime et la seconde d'après aller draguer votre meilleure amie, alors qu'un regard aurait exprimé plus. Je pense que c'est plus facile de comprendre qui sont les gens en les regardant agir plutôt qu'en les écoutant parler. Je suppose que pour moi, c'est ça, la vie.

    AlloCiné : Pouvez vous nous expliquer le titre "Fish Tank" ?

    Oui, je pourrais, mais je préfère que les gens y réfléchissent par eux-mêmes. Bon, en un sens, ça ne vous explique pas le titre, mais je peux vous dire que Fish Tank, c'est un peu une métaphore du cinéma, c'est une petite boite pleine de vie. Vous regardez tout ce qui s'y passe... J'ai pensé à ça après. Le titre peut avoir beaucoup de significations différentes. J'aimerais que les gens trouvent la leur. Si je vous donne une réponse, ce sera un truc défini, posé. Je suis désolée de ne pas vous répondre clairement.

    AlloCiné : Parlons du cheval. C'est quasiment un personnage du film, il y apporte une touche absurde. Est-ce la métaphore de quelque chose ?

    En tout cas, je n'en était pas consciente du tout. Quand j'écrivais, quoi que Mia fasse, elle revenait toujours à ce cheval. Le cheval devait être là, peu importe ce que j'écrivais, peu importe où elle le trouvait. Quand j'ai fini le tournage et que je faisais le montage, j'ai continué de rêver de ce cheval. Et je me disais : "Mais pourquoi j'en rêve ?" Alors j'ai fait des recherches. En fait, aussi curieux que ce puisse être, c'est une sorte de cheval "psychologique". Freud disait qu'en plus de représenter une forme de sexualité, le cheval représente aussi la part sombre du père. J'ai trouvé ça hallucinant, parce qu'en un sens, Connor est une figure paternelle, mais il ne se comporte pas tout à fait en tant que tel, donc je crois que c'est plus ou moins une manifestation du subconscient. Je n'y connais rien, je n'ai pas étudié ça mais j'ai trouvé ça intéressant de l'avoir mis là et d'avoir compris pourquoi après. Il y a beaucoup d'animaux dans mes films, donc quand ils apparaissent dans mon esprit, je suis toujours très contente de les voir. Ils me paraissent fondamentaux, mais je ne comprends pas ce qu'ils fichent là !

    AlloCiné : Avec "Red Road", récompensé là-bas, vos deux courts métrages "Dog" et "Milk", et donc le Prix du Jury pour "Fish Tank", Cannes est un peu comme une deuxième maison pour vous, non ?

    La première fois que votre film est présenté à Cannes, vous êtes complètement dans votre truc, c'est fou, vous êtes très occupé. Cette fois, je me suis dit : "Je vais pouvoir regarder, en profiter." Mais c'était tout autant la folie... Vous savez, je n'aurais jamais pensé retourner à Cannes, être sélectionnée à nouveau. Il n'y a aucun autre endroit sur Terre où vous voudriez plus que votre film soit montré pour la première fois. Je me suis sentie privilégiée, chanceuse et vous savez, c'est quelque chose quand vous faites un film, la projection cannoise ! Je ne sais pas, pour moi il n'y a pas beaucoup d'endroits qui mettent en compétition autant de films venant du monde entier. Donc je les remercie.

    Propos recueillis par Judith Godinot à Paris le 1er septembre 2009

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