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    Interview : Les Contes en or de Cristian Mungiu

    Nous n’avions plus entendu parlé de Cristian Mungiu depuis sa Palme d’or en 2007 pour "4 mois, 3 semaines et 2 jours". Il revient en grande forme avec le film à sketchs "Contes de l’âge d’or", un constat original des dernières années du régime de Ceaucescu.

    L’âge d’or est le nom donné au dernières années du régime du dictateur Ceaucescu. D’où vient exactement ce titre ?

    C'est la dicature communiste qui a nommé ainsi cette période pour les besoins de la propagande. Dans les dernières années de la dictature Ceaucescu, le culte de la personnalité était omniprésent. L'objectif était de créer par tous les moyens possible de nouveaux modèles permettant de montrer au monde entier la vie soi-disant parfaite que Ceaucescu avait su créer. « L’âge d’Or » résume ses dernières années de pouvoir. L’économie était à cette époque pratiquement en train de s’écrouler. Dans les années 70, Ceaucescu avait eu l’idée étrange de rembourser la dette extérieure, ce qui a provoqué un vrai désastre. Résultat : dans les années 80, il n’y avait plus d’argent pour aucune industrie, provoquant pauvreté et famin. Ce titre est donc ironique.

    Vous-même, comment avez-vous vécu cette période ?

    Les films ne retranscrivent jamais la réalité. Cette période était beaucoup plus difficile pour nos parents que pour nous. J’avais 21 ans quand le communisme s’est effondré et la responsabilité quant à la recherche de nourriture, de travail et d’argent leur revenait. Tous les proviennent de « légendes urbaines », des histoires qui circulaient à cette époque mais que je n’ai pas vécues. L’histoire du cochon provient par exemple d’un magazine que je lisais et où il y avait une rubrique intitulée : « Ne faites pas comme eux ». Ce qui m’a le plus intéressé était le côté absurde de ces différentes histoires.

    On a reproché au cinéma roumain de faire trop de films « pour festival ». Qu’avez-vous souhaité faire avec "Contes de l’âge d’or" ?

    C’est un commentaire que j’ai en effet souvent entendu de la part de simples spectateurs roumains. Pour la majorité d'entre eux, nous faisons des films « légèrement compliqués ». Ils ont une vision assez simpliste du cinéma car ils regardent beaucoup la télévision et tout doit être à chaque fois clair et précis. Le cinéma est avant tout un divertissement pour eux. Avec ce film, j'ai souhaité me rapprocher le plus possible du grand public, grâce notamment à l'humour.

    Peut-on parler de nostalgie quand l’on se réfère à cette période ?

    Bien sûr mais ce n'est pas celle du communisme. Elle s’applique aux gens qui avaient 20 ans à cette époque. S’il y a autant de films qui se passent à cette époque, c’est parce que nous souhaitons nous rappeler de nos 20 ans. Il serait très difficile de regarder aujourd'hui les films tournés juste après la chute du communisme car il ne s’agissait pas vraiment de cinéma. Juste un moyen d’évoquer ce régime avec des commentaires généralement plats.

    Que pensez-vous de la phrase de Georges Marchais « Le bilan des pays communistes est globalement positif », ajoutée sur l’affiche française ?

    Je trouve qu'elle se marie très bien avec l’humour du film. Pour les personnes qui n’ont jamais connu le communisme, croyez moi, il est difficile de se rendre compte de cette période.

    On pourrait presque parler aujourd’hui de l’âge d’or du cinéma roumain avec l’apparition d’une « nouvelle vague » .

    Je ne pense pas que l’on puisse parler de Nouvelle Vague. Si c’était le cas, cela voudrait dire qu’il y avait une « ancienne vague ». Ce n’est pas vraiment un concept pour moi. En revanche, il est vrai que nous avons tous le même âge (entre 35 et 45 ans), nous avons tous été découverts dans divers festivals et essentiellement à Cannes. On pourrait peut-être parler de courant minimaliste dans le sens où nous évoquons tous des épisodes de la vie courante toute en gardant une certaine modestie cinématographique. Mais ça ne veut pas dire qu’il y a un manifeste ou un message. Il s’agit avant tout d’un terme employé par la presse.

    Etes-vous tout de même en contact avec ces autres réalisateurs ? Travaillez-vous parfois ensemble ?

    Oui, cela arrive. J’ai par exemple relu le dernier scénario de Corneliu Porumboiu en lui faisant part de mon avis, puis j’ai vu son film en salle de montage. J’ai aussi lu le script de Radu Munteanu et je l’ai aidé à compléter son budget. Nous nous estimons, et dès que nous le pouvons, nous essayons d’agir en tant que groupe. La seule chose que l’on n’aime pas trop, c'est qu’on associe nos films. A Cannes en 2007 par exemple lorsque j’ai reçu la Palme d’Or, il y avait un autre film roumain, California Dreamin' d’un genre totalement différent.

    Comment définiriez-vous le cinéma Roumain au public français ?

    C'est un cinéma vivant, honnête, qui montre qu’il existe une alternative au cinéma américain rempli de clichés.

    Quel impact a eu votre Palme d’Or en Roumaine ?

    Elle a eu beaucoup d’impact sur la carrière du film. Il a été numéro un au box-office, ce qui était assez improbable vu son sujet, mais il a aussi créé une certaine confusion. Ce film avait pour objectif de créer une polémique, un débat. La Palme d’Or a entraîné l’inverse. Tout le monde était si content qu’il remporte un tel prix qu’il est devenu Le film à voir. On en a donc oublié son objectif premier : créer la polémique. Le film n’a donc pas eu l’impact que j’aurais souhaité. La situation cinématographique en Roumaine n’est pas si dorée que ça. Il ne reste que très peu d’écrans, environ 80 pour 20 millions d’habitants. Les statistiques disent même qu’un roumain va en moyenne voir un film tous les 10 ans ! La fréquentation des salles a chuté de façon considérable ces dernières années. Nous n’avons pas de cinéma « indépendant » comme en France avec le circuit Art et Essai. On espère donc que le cinéma roumain continuera à exister à travers nos efforts mutuels.

    Est-il difficile de financer un film en roumanie ?

    C’est une bataille constante. La taxe qui permettait de financer le cinéma a été supprimée il y a environ un an. Un autre point commun entre entre nous est que nous produisons nos films nous-mêmes. Ca ne rend pas la tâche facile puisque nous sommes avant tout cinéastes et non producteurs. Nous devons faire pression, devenir des lobbyistes... Le CNC roumain ne donne pas assez d’argent pour financer de bout en bout un film. Il faut donc en trouver ailleurs mais la crise économique a été foudroyante. La seule solution est donc de se lancer dans les coproductions mais cela prene beaucoup de temps. Ce qui reste cependant le plus difficile en Roumaine est de sortir le film sur les écrans et qu’il y reste un certain temps.

    Les Roumains viennent de réélire le même président. Est-ce que cela va changer quelque chose pour le cinéma ?

    Je ne sais pas. On espère très souvent que l’administration va comprendre notre situation. Mais notre pays est vraiment pauvre et la culture est souvent la dernière chose dont on se préoccupe. Aujourd’hui, nous avons juste besoin de la promulgation de nouvelles lois qui nous permettrait d’avancer dans nos projets. Mais il est difficile d'être optimiste...

    Votre prochain projet ?

    D’abord la deuxième partie des Contes de l’âge d’or. Je produis aussi des films dont un documentaire sur l’intégration des Roumains en Union Européenne à travers les yeux d’un berger. Ce film me tient très à cœur, on y voit beaucoup de moutons et d’animaux en tous genres. Je produis aussi deux films d'auteurs qui ont réalisé un segment des Contes de l'âge d'or et je dois bien sûr passer à mon prochain projet après 4 mois, 3 semaines, 2 jours. Il est en cours d’écriture et ne se passera pas cette fois-ci durant la période du communisme.

    Propos receuillis à Paris le 8 décembre 2009 par Edouard Brane

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