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    Sébastien Lifshitz et Yannick Renier : Cap Plein Sud !

    A l'occasion de la sortie de son film "Plein Sud", le réalisateur Sébastien Lifshitz revient sur l'importance du cinéma américain et sur l'influence de son esthétique à travers le film. Quant à Yannick Renier, acteur principal du film, il livre sa vision du métier de comédien. Rencontres...

    Allociné : Quelles ont été les influences de Plein Sud ?

    Sébastien Lifshitz : C’est difficile d’aborder Plein sud directement sur des références par rapport aux films ou aux acteurs qui m’ont influencé. En tout cas, la première fois que j’ai vu Yannick Renier, il m’a tout de suite fait penser à un acteur américain. Par son charisme, son physique, son corps très sec, son regard affirmé et très perçant, il me faisait un peu penser à Clint Eastwood jeune, notamment dans les films de Sergio Leone. Pour moi, Yannick possède ce genre de physique-là. D’ailleurs durant le tournage, je lui ai demandé d’avoir très peu d’expressions : son visage se présente vraiment comme un masque. Les très rares expressions qu’il a dans le film sont là pour lui donner une présence physique directe, brutale, sans psychologie. Je voulais que, par sa froideur et sa mise à distance, le présent du personnage fasse contre-point avec son passé, où on le voit dans des situations chargées d’affects et d’émotions. D’où un effet de collage qui fonctionne dans la confrontation du passé avec le présent, et qui peut rappeler certaines attitudes de cow-boy.

    Y a-t-il un film qui vous a marqué en particulier ?

    Il y a justement un western de Clint Eastwood que j’aime beaucoup et qui a un rapport direct avec Plein sud, c’est Josey Wales hors la loi. Le film s’ouvre sur un souvenir, où le héros voit sa famille se faire massacrer par des criminels, et toute la suite du récit fonctionne sur le thème de la vengeance, sur l’image du cavalier solitaire qui, en chemin, va progressivement s'entourer de compagnons de route, même s'il a avant tout envie d’être seul. Pour moi, le personnage de Sam, joué par Yannick Renier, est exactement dans la même situation : il vient de recevoir une lettre de sa mère qu’il n’a pas vu depuis 25 ans et qu’il tient pour responsable de la destruction de sa famille, et cette lettre vient raviver toute la rage et la haine qu’il ressent pour elle. Il se met donc en route pour aller la retrouver et recueille au fil du voyage quelques auto-stoppeurs… C’est exactement la même trame que celle du western d’Eastwood.

    D’où vient ce penchant très américain quant à la façon de traiter le récit ?

    Il me semble que cette esthétique américaine, revendiquée dans le film, fonctionne constamment sur cet effet de collage dont j’ai parlé. On est quand même dans une histoire familiale très française, très intimiste… Mais, tout cela est comme gangrené de l’intérieur par des éléments typiquement américains : le road movie, une vieille Ford pourrie qui fait des kilomètres sous le soleil… Et puis il y a aussi la beauté des corps, le choix d’un casting qui, contrairement à un certain réalisme social, convoque des types beaucoup plus américains. Pour les lieux traversés, c’est la même chose. Il n’y a aucun repère de contemporanéité : ce ne sont que des terrains vagues, des routes, une plage… L’espace porte en lui une dimension presque atemporelle. Tout ça est fait pour ramener le film à quelque chose d’essentiel, d’atemporel, à savoir cette histoire très intime, cette bulle d’affects et de sentiments lâchés sur la route à travers le personnage de Sam (Yannick Renier). Or, très souvent dans le cinéma américain, on rencontre cette idée qui consiste à ne pas se rattacher à un contexte social : c’est notamment vrai pour le western, genre dans lequel les histoires ont à voir avec la conquête des territoires états-uniens, mais aussi parfois avec la tragédie familiale…

    Et comme bien souvent dans le cinéma américain, les personnages de Plein Sud sont davantage des stéréotypes…

    Tout à fait ! La part de stéréotypes qu’il y a dans le film est totalement voulue et assumée. Et en effet, cela fonctionne comme dans le cinéma américain. C’est d’ailleurs pour ces mêmes raisons que certains critiques auront probablement du mal avec ce film ou seront étonnés, car c’est quelque chose qu’on n’a pas l’habitude de voir dans un film français : le fait de travailler sur la figure, jouer avec le stéréotype tout en l’assumant pleinement.

    Egalement à travers le personnage incarné par Léa Seydoux…

    Exactement ! On peut en effet envisager ce personnage comme une véritable "Lolita", ainsi que toute la mythologie qui va avec. Lorsqu’on parlait du scénario et du rôle avec Léa Seydoux, c’est clairement cette figure qui revenait sans cesse. Léa a dit d’ailleurs que c’était une "Lolita de prisunic", avec un côté gamine, insolente, très sexuée. Ce qui est amusant, c’est que Léa Seydoux sortait du tournage de Lourdes de Jessica Hausner, où elle campait une bonne sœur quasi-mutique. Je pense alors que son rôle dans Plein sud a opéré pour elle comme une sorte de total défoulement, elle a dû aimer incarner cette Lolita.

    Au-delà des personnages, il y a aussi les motifs que vous privilégiez, et qui peuvent faire référence au cinéma américain comme le revolver…

    Oui, d’une certaine manière c’est presque trop évident : dès qu’on met un revolver dans un film, cela renvoie tout de suite à toute une mythologie développée par le cinéma américain. C’est vrai, j’avais conscience de cela mais, en introduisant un revolver dans le récit du film, je voulais d’abord créer une ligne de tension permanente, une sorte de menace diffuse. Les tentations peuvent alors être assez grandes autour de cet objet, que j’utilise comme un motif, certes, mais qui distille également un peu plus de danger au sein de l’histoire.

    Au sujet du générique de début, on a aussi cette ambiance pop très américaine avec la musique, ces caractères jaunes qui prennent tout l’écran, une scène de dance très sexy… On penserait presque à Tarantino…

    Oui c’est vrai. J’adore la scène de lap dance dans Boulevard de la mort, où la fille dans le bar offre ce show au criminel pour l’exciter… Le générique de Plein sud peut effectivement faire penser à un lap dance puisque Léa entame une danse rien que pour le personnage de Yannick, pour le séduire, pour le provoquer. Il y a une autre anecdote sur ce générique : la monteuse Stéphanie Mahet avait fait un premier montage de la danse de Léa, construit comme un clip, une sorte de compilation ultra-découpée des moments les plus efficaces et les plus provocants. J’ai absolument détesté ce montage, je préférais vraiment travailler à partir du plan-séquence originel. Et cela m’était égal qu’il y ait des creux ou des temps morts, puisque le but de la scène n’était pas de montrer la performance, mais plutôt de montrer à la fois les moments de faiblesse et le côté naturel de la danseuse. La séquence a finalement été construite à partir de deux plans séquences, avec simplement entre les deux un insert sur Yannick regardant Léa danser. D’ailleurs, le choix d’apposer le générique sur ces images vient tout simplement du fait que la scène dure deux minutes. Or si ces deux minutes étaient apparues sans générique, cela aurait été complaisant de donner une telle durée à cette scène de danse, sans autre information que ce qu’elle est censé dire.

    Quels autres choix purement esthétiques servent cette dimension « américaine » du film ?

    La photographie surtout, qui à la fois par le format Scope, l’affirmation et la saturation des couleurs, le contraste de l’image, peut donner le sentiment d’une photographie américaine beaucoup plus que française. Je ne dis pas que la photographie française est en général plus terne, mais elle est en tout cas beaucoup plus neutre. Ce que les réalisateurs français et leur chef opérateur tentent souvent de faire, c’est de ramener l’image à un état de désaturation à tous les niveaux. Pour ma part, j’ai fait exactement l’inverse.

    Au-delà de ces références américaines qui ont pu nourrir la réalisation de Plein Sud, avez-vous d’autres souvenirs marquants dans votre vie de cinéphile ?

    Pour Plein sud, l’idée de transposer une certaine imagerie américaine à l’intérieur d’un récit français était tout à fait consciente et désirée depuis le départ, mais c’est probablement de manière inconsciente que cette idée a été dictée par une multitude de films… Il y en a tellement que j’aurais vraiment beaucoup de mal à les citer ! En tout cas, en ce moment, je redécouvre les films d’Alan J. Pakula, un cinéaste un peu mal aimé, peu connu, qui a fait beaucoup de films de commande. Klute par exemple est un film magnifique, mais il y a aussi A cause d'un assassinat avec Warren Beatty, qui regorge de moments forts. Je pense aussi à Sidney Lumet, qui a certes fait les grands films qu’on connaît, mais qui en a réalisé beaucoup d’autres moins célèbres. Récemment, j’ai également revu un film de Sydney Pollack, L' Ombre d'un soupçon avec Harrison Ford : un film de procès très classique, à l’américaine, mais vraiment pas mal ! Je trouve cela intéressant de revoir ce cinéma-là.

    Acteur pricipal du film, Yannick Renier se confie et revient notamment sur son désir de cinéma et sa vision du métier.

    Allociné : Quel est votre premier souvenir de spectateur ?

    Yannick Renier : Je me souviens qu'à sa sortie, mon père m’avait emmené voir L'Empire contre-attaque, en version originale sous-titrée. J’étais vraiment tout jeune à l’époque ! C’est vraiment ma découverte du cinéma.

    Y a-t-il eu un événement, un film, un artiste qui vous a donné envie de devenir comédien ?

    Je vis à Bruxelles, et quand j’avais 17-18 ans, je suis allé voir un spectacle d’Yves Hunstad, un artiste belge qui conçoit beaucoup de "seuls en scène". Je faisais déjà du théâtre depuis un moment, mais c’est quelqu’un qui dégageait une telle communication avec la salle qu’il m’a vraiment donné envie d’être sur scène. Cela dit, comme spectateur, le plaisir que j’ai à regarder un film ou à voir une pièce de théâtre est très différent de celui que j’ai à jouer. Parfois, en regardant un film, on se dit : "Wouah, ça doit être génial de jouer dans un film pareil !", mais dans d’autres cas on peut avoir beaucoup de plaisir à regarder un film sans penser quoique ce soit par rapport à son statut d’acteur. Ce sont deux choses différentes.

    Quelle réaction avez-vous eu la première fois que vous vous êtes vu à l’écran ?

    A vrai dire, je ne m’en souviens plus très bien. C’est comme lorsqu’on voit l’un de ses proches à l’écran : il y a, selon moi, une impossibilité de suivre une histoire, on est face à soi-même et on se forge alors une suite de critiques, on ne repère que des détails… On se dit : "Ce n’est pas possible, je n’ai pas cette voix-là, je n’ai pas cette tête-là !" Si ce n’est pas dans le cadre du travail, par exemple lorsqu’on doit revoir une prise dans laquelle on joue, c’est difficile de faire un film et de le revoir dans son ensemble sans s’attacher à des détails. Cela exige d’avoir un regard particulier, un certain recul.

    Comment vous inspirez-vous ? Y a-t-il des acteurs, de votre génération ou d’autres, qui vous inspirent ?

    Je suis proche de certains comédiens de ma génération que j’ai pu rencontrer et que j’apprécie par ailleurs. Mais je me sens également très proche d’acteurs qui ne sont pas de ma génération, et ce sont eux qui m’inspirent le plus, particulièrement à travers leur rencontre sur un plateau. Voir des comédiens dans un film, c’est en tout cas une toute autre forme d’inspiration que celle qui consiste à observer les gens travailler "en direct". Pour moi au final, l’inspiration se fait avant tout à travers des individus, toutes générations confondues : voir comment quelqu’un travaille, voir quelles sont ses méthodes de travail, voir comment il aborde un texte, comment il envisage le corps…

    Dans Plein Sud, la musique est un élément essentiel. Est-ce que la musique peut vous aider à travailler un rôle ? Y a-t-il une chanson, une musique ou un style de musique qui vous inspire ?

    Bien sûr ! Je faisais déjà ça avec le théâtre, mais je le faisais plutôt pour essayer de leurrer mon trac et de penser à autre chose. Pour moi, l’arrivée des lecteurs mp3 a été quelque chose de génial car j’ai enfin pu avoir une prise sur la musique et la façon dont un morceau pouvait me mettre en tension ou me mettre dans un état émotionnel particulier… Pour travailler certains films, certaines scènes, c’est un super outil ! Par exemple pour Plein sud, ma playlist était de style assez rock, un peu violent, très américain en tout cas. Lors d’un autre tournage récemment, j’écoutais 16 Horsepower, un groupe américain originaire de Denver. De manière générale, la musique que j’écoute crée un lien entre l’imaginaire qu’elle suscite en moi et le personnage que j’incarne. Et puis il y a des tournages pour lesquels je n’écoute pas du tout de musique, tout simplement parce qu’un certain état d’esprit l’exige.

    Quel est le conseil le plus précieux qu’on vous a donné ?

    "Respire…" C’est ce qu’on m’a dit une fois et c’est ce qui revient tout le temps. Je pense que dans ce métier, la chose essentielle c’est de respirer. A partir du moment où il n’y a pas de souffle, il n’y a pas de vie. C’est une base.

    Avez-vous déjà pensé à passer derrière la caméra ?

    Le métier de comédien est passionnant, mais à la longue, il se peut qu’on éprouve une certaine frustration à être seulement l’interprète d’une parole, d’une idée, de la vision d’un réalisateur, d’un metteur en scène ou d’un auteur. Et c’est vrai que parfois, j’aimerais bien être l’initiateur ou le créateur d’un projet. Mais l’univers du cinéma est encore pour moi un apprentissage, donc je ne me vois pas dès maintenant passer derrière la caméra. En revanche, avec mon frère (Jérémie Renier), nous écrivons en ce moment un scénario que Jérémie projette de réaliser.

    Propos recueillis le 14 décembre 2009 par Sébastien Cléro

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