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    Mystères à Hollywood : quand l'envers du décor devient sordide...
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Si Hollywood est une machine à créer du rêve, l'envers du décor et parfois peu reluisant. Voire même carrément sordide, avec son lot d'affaires parfois criminelles non résolues. Plongée dans les bas-fonds de la cité des anges...

    Thomas H. Ince : croisière pour un cadavre

    Qui était-il ?

    Né en 1882 et issu d'une famille d'acteurs de théâtre, Thomas H. Ince est considéré comme le père des westerns. Producteur, scénariste, réalisateur, c'est l'un des pionniers du cinéma américain, auteur de plus de 600 films. Il a notamment créé avec D.W. Griffith et Mack Sennett la Triangle Motion Picture Company, et a construit ses propres studios à Culver City près de Los Angeles, qui deviendront plus tard le siège de la Metro-Goldwyn-Mayer. A l'époque du drame, Ince est en pleine négociation avec William Randolph Hearst. Ce dernier avait en effet créé la Cosmopolitan Pictures, et carressait alors l'espoir d'installer la Cosmopolitan au sein du studio de Culver City fondé par Ince.

    L'affaire

    Le 15 novembre 1924, le Yacht du magnat de la Presse Randolph Hearst, l'Oneida, ainsi qu'une quinzaine d'autre personnes, dont Charlie Chaplin, part pour une croisière à destination de San Diego. Thomas Ince rate l'embarquement, car il doit assister à la première de sa nouvelle production, The Mirage. Il ne monte à bord que le lendemain. Trois jours après, on débarque Thomas Ince, qui décède le 19 novembre. La version officielle est "crise cardiaque dûe à une indigestion". En somme, il aurait un peu trop profité des largesses alimentaires de son hôte. Et accessoirement du champagne, qui coulait à flot sur le Yacht. Cruelle ironie lorsque l'on sait que Thomas Ince était l'invité d'honneur de cette folle croisière, pour son quarante-troisième anniversaire...

    Les théories

    Evidemment, avec un baron lugubre de la Presse comme William Randolph Hearst, il était toujours possible de remanier les faits selon ses souhaits, tant la mainmise sur les médias de l'intéressé était importante. En fait, Hearst faisait tellement peur que même ses adversaires n'osaient pas l'attaquer frontalement...L'ennui, c'est que des témoins, dont le propre secrétaire de Chaplin, Toraichi Kono, virent un impact de balle sur la tête de Ince au moment où il fut débarqué de l'Oneida...

    Tireur émérite, Hearst conservait à bord de son Yacht un revolver orné de diamants; il prenait parfois plaisir à surprendre ses invités en abattant une mouette d'un coup de feu sans crier gare.

    La rumeur veut que la maîtresse de Randolph Hearst, l'actrice Marion Davies, entretenait une liaison avec Charlie Chaplin. Jaloux et extrêmement suspicieux des attentions que la gente masculine pouvait avoir à l'égard de sa maîtresse, Hearst avait décidé d'inviter Chaplin pour qu'il puisse observer son comportement.

    Hearst les aurait finalement surpris en flagrant délit sur le pont inférieur de son Yacht un soir après le dîner. Il se serait alors emparé de son revolver pour tirer sur Chaplin. Les cris de Davies dans la dispute qui s'ensuivit auraient alertés Thomas Ince, qui se serait précipité hors de sa cabine, récoltant au passage la balle fatale qui ne lui était pas destinée en tentant de s'interposer. "Au m-m-m-m-m--euuuuurtre !!!" aurait alors hurlé Marion Davies, avec son célèbre bégaiement.

    Bien entendu, les récits divergent en fonction des protagonistes. Chaplin affirme par exemple dans son autobiographie qu'il ne se trouvait pas sur le Yacht de Hearst lorsque le drame survint. Davies, elle, nia catégoriquement que Chaplin se trouvait à bord...D'autres versions accréditent l'idée que Hearst aurait confondu Chaplin avec Thomas Ince dans le noir, tandis que la nuit enveloppait le navire. Une troisième version fait état d'une dispute entre personnes non identifiées sur le pont du bateau, jusqu'à ce qu'un coup de feu parte et n'arrive malencontreusement dans la cabine de Thomas Ince, le touchant mortellement; une hypothèse totalement invraisembable qui a en outre le "mérite" de ne mouiller personne dans l'affaire...

    Quoi qu'il en soit, aucune enquête officielle n'a été menée sur la mort de Thomas Ince. Les recherches prirent fin avant que le moindre passager du Yacht ait été interrogé. Le procureur de San Diego, un certain Chester Kemply, classa l'affaire. "J'ai ouvert une enquête suite à de nombreuses rumeurs rapportées dans mon service au sujet de cette affaire, et les ai examinées jusqu'à ce jour dans le but de m'en débarrasser définitivement. Cette histoire de beuverie à bord d'un Yacht ne sera pas approfondie [...]" déclara-t-il. Et d'ajouter : "après avoir interrogé le médecin et l'infirmière qui se trouvaient auprès de Mr Ince, je suis convaincu que les causes de son décès sont naturelles". Avec un trou béant dans le crâne, donc.

    Les obsèques de Thomas Ince eurent lieu à Hollywood le 21 novembre en présence de sa famille, de Marion Davies, Charlie Chaplin, Mary Pickford, Douglas Fairbanks et Harold Lloyd. Quel invité de marque manquait à l'appel ? Tout juste, William Randolph Hearst. Le corps de Ince fut immédiatement incinéré à la demande de sa veuve, empêchant de facto toute investigation ultérieure sur le corps de son défunt mari. De toute façon, ce n'était pas à l'ordre du jour.

    Le cinéaste D.W. Griffith résuma ainsi l'affaire quelques temps après : "Tout ce que vous avez à faire pour voir Hearst blêmir est de mentionner le nom de Ince. Tout est louche dans cette affaire, mais Hearst est intouchable". Et il avait raison.

    Avec un sens cruel et tragique de la formule, le Yacht de Hearst, l'Oneida, fut bientôt surnommé par le tout Hollywood William Randolph's Hearse : le corbillard de William Randolph.

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