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    Debra Granik (Leave No Trace) : "dans tout film de fiction j'ajoute des éléments que j'ai observé comme documentariste"

    AlloCiné a pu rencontrer la réalisatrice Debra Granik pour son nouveau long métrage de fiction, "Leave No Trace", tourné huit ans après "Winter's Bone", qui avait révélé Jennifer Lawrence.

    Condor Distribution

    AlloCiné : Ce projet vous a été apporté par deux producteurs, qu'avez-vous trouvé attirant dans cette histoire originellement signée par le romancier Peter Rock ?

    Debra Granik : (...) J'aime l'idée qu'il faut se demander "de quoi avons-nous besoin ?" plutôt que "que voulons nous ?" La société de consommation nous empêche de trancher cette question. Or quel enfant connaît la différence entre le besoin et l'envie ? On ne nous l'apprend pas. On nous apprend à vouloir toujours plus : un iPhone 8, 9, 10 ! (...) La société de consommation c'est être une gerbille dans sa roue et oublier ce dont nous avons besoin. [Peter Rock] s'interrogeait sur ses questions, j'adorais ça !

    [Le personnage du père] est aussi un philosophe de la classe ouvrière. Il était hanté et a vu des choses terribles, a connu ce que c'est d'être en danger permanent, ce qui ne lui laissait que peu de temps pour les bonnes choses, dont sa fille qui l'aide.

    Elle est son ancre.

    Absolument. Tous ces thèmes étaient intéressants et pertinents pour ma perception de la vie dans l'Amérique contemporaine.

    Vous parliez du personnage du père traumatisé... Avant votre film, Ben Foster avait joué un soldat en PTSD dans "The Messenger", c'est aussi pour cela qu'il était parfait pour le rôle ?

    Je savais qu'il avait des atouts. Il avait eu des conversations, avait mis son énergie créative personnelle pour enquêter et tenter de comprendre [ce phénomène]. Il a beaucoup apporté au film par ce biais-là.

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    Et ce n'est pas la première fois que vous explorez ce thème du PTSD, vous y avez consacré votre documentaire "Stray Dogs". Pourquoi pensez-vous qu'il est important d'en parler et de le montrer ?

    Je pense que c'est l'une des meilleures façons de représenter l'humanité. Ce que nous faisons et qui cause beaucoup de peine à nous-mêmes comme aux autres à moins d'être à un niveau psychiatrique et de ne plus rien sentir. (...) Je suis touchée et impressionnée par le fait que des gens soient obligés de passer par ces moments, de lutter et de vivre avec pendant des années en sachant que les pilules n'y changeront rien.(...) Je suis aussi captivée par la croissance post-traumatique, ce qui s'ouvre pour une personne lorsqu'elle doit répondre à certaines questions.

    Le personnage de Ben Foster est complètement brisé, il vit à la marge de la société, et c'est un sujet que vous aviez déjà abordé dans "Winter's Bone". Il semble qu'il soit de plus en plus difficile de vivre de cette façon, est-ce que cela vous inquiète et vouliez-vous parler de ce phénomène ?

    C'est un fait que beaucoup de gens qui vivent à la marge se suicident avec des opiacés ou de la méth, s'annihilent avec ces substances. Chaque fois qu'il y a un cycle croissant d'usage de drogues léthales, c'est que les gens sont très déprimés, ont perdu la foi. Ils sont blessés, quelque chose ne leur donne plus la force de continuer, qu'ils soient sobres ou non. (...) Il y a des hommes d'affaires dont je me demande comment ils arrivent à dormir. Eux aussi ont dû annihiler leurs sentiments pour ne plus prêter attention aux sentiments des autres. On sait que quelque chose ne va pas lorsqu'on attend neuf niveaux de classement dans les avions : Platinium Gold, Double Gold etc. Quelque chose s'est donc très mal passé. Je suis fascinée par les survivants, comment ils obtiennent ce dont ils ont besoin. Car je veux qu'ils l'obtiennent.

    Vos deux acteurs se sont entraînés avec Nicole Apelian à survivre en forêt, comment cela s'est-il déroulé ?

    Nicole a été magistrale. Elle a pensé aux choses qu'ils pourraient apprendre et pratiquer à l'écran, notamment le maniement de couteaux très aiguisés, comment allumer un feu. Ils connaîtraient les plantes, sauraient si elles sont comestibles ou non (...), où trouver de l'eau, presser de la mousse pour en obtenir de l'eau potable. Nous ignorions tout cela. Cela ajoutait de l'excitation, ils savaient vraiment allumer un feu sans l'aide de la production !

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    J'étais complètement dedans lors de ces scènes. Vous avez plusieurs fois déclaré que votre cinéma était de faire du "réalisme social", je voulais que vous développiez ce que vous entendez par là.

    Ce que je veux dire c'est que nos vies, la vie de gens ordinaires (...) n'est pas celle de James Bond. Je n'ai jamais vu James Bond devoir se soucier de payer son loyer ! (...) Ce ne sont pas des histoires de gens posés près d'une piscine, ce n'est pas le glamour du Hollywood d'antan. Ces gens ne résolvent pas leurs problèmes à coups de fusil et ne portent pas de maquillage.

    Merci de montrer ces gens-là.

    Vous savez, dans toutes les sphères culturelles, il y a besoin de diviser le travail, on ne peut pas tous raconter la même histoire. Appelez ces films comme vous voulez : des "indies", des "films à petits budgets", mais il faut qu'un groupe de cinéastes de chaque pays parlent des gens de la vie de tous les jours. C'est comme dans le journal, vous avez les couvertures avec les questions de géopolitique et certaines histoires concernent davantage... Par exemple une foire agricole où les poulets sont en bonne santé (rires) ! (...) Ou comment se rend-on à son travail sans devenir folle ? Il y a aussi des histoires intéressantes.

    Vous vous êtes essayé à la fiction et au documentaire, seriez-vous intéressée par l'idée de mixer ces deux genres ?

    Bien sûr ! Dans tout film de fiction j'ajoute des éléments que j'ai observé comme documentariste. Vous assistez à des choses dans la vie réelle et vous demandez aux gens de venir les reproduire dans votre film.

    Comment Thomasin McKenzie et Ben Foster ont-ils noué des liens ? Y a-t-il eu beaucoup de répétitions pour créer cet osmose ? L'entraînement avec Nicole Apelian a-t-il été déterminant ?

    Sans aucun doute. L'entraînement leur a donné le temps de se connaître pendant deux jours loin de l'équipe. Finalement ils répétaient eux-mêmes, je n'avais même pas besoin d'être là, ce qui m'arrangeait ! C'était idéal et j'espère que j'aurais cette configuration pour tous les films que je vais faire dans le futur.

    "Leave No Trace", actuellement en salle :

     

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