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    Un Peuple et son roi : pour Pierre Schoeller, "la clef de mon film réside dans sa justesse historique"

    Après "L’Exercice de l’Etat" et "Versailles", Pierre Schoeller dévoile son nouveau long métrage ambitieux : "Un Peuple et son roi", qui revient sur la Révolution Française, de la prise de la Bastille à la décapitation de Louis XVI.

    Diaphana Distribution

    AlloCiné : D’Abel Gance dans son Napoléon à Robert Enrico dans son film-fleuve, la Révolution française a déjà été souvent mise en scène au cinéma. Que vouliez-vous apporter ?

    Pierre Schoeller : Les précédents films sur la Révolution sont en quelque sorte des relais officiels de l’Histoire. Pas le mien. Mon film n’a pas l’ambition d’une grande fresque qui couvrirait l’ensemble des événements et toutes les dimensions de la Révolution. Il est plus intime, plus ramassé, même s’il y a du souffle. Visuellement, j’ai toujours pensé que le film devait être assez simple, comme si le cinéma ou la photographie étaient nés cinquante ans avant. Comme si Jules Michelet au lieu d’être historien était un cinéaste, et que les premiers appareils de prise de vue étaient apparus pendant la Révolution. Il aurait fait un cinéma assez simple. D’ailleurs, c’est intéressant : l’exécution de Robespierre et celle de Louis XVI ont fait l’objet de reconstitution cinématographique dès 1902 ! D’autre part, la clef de mon film réside dans sa justesse historique. Il donne la sensation de faire vivre des moments que nous n’avons pas connus. Les accouchements, les chants des lavandières… On déborde du cadre de la Révolution. Même dans l’Assemblée, avec tout l’habillage sonore, les grincements de parquet, etc. C’est vraiment un film sur la vie, traversée de rencontres, de morts, de destins.

    Vous avez réuni une des plus belles distributions de l’année, de Gaspard Ulliel à Laurent Lafitte en passant pas Adèle HaenelCéline Sallette et Olivier Gourmet. N’avez-vous pas peur que ça "glamourise" trop la Révolution française que vous filmez ?

    Ça serait le cas s’il n’y avait qu’eux à l’écran. Mais ils sont au milieu de tous les autres. Quand vous venez d’un public tout simple, pas particulièrement renseigné sur le cinéma, vous ne savez pas qui est Adèle Haenel. C’est un truc de cinéphile, ça. C’est juste un effet de milieu. D’autant qu’il y a cent comédiens dans le film ! Si je me suis tourné vers Gaspard Ulliel, par exemple, c’est que, pour moi, c’était la meilleure incarnation de Basile, tel que je l’ai écrit. Adèle Haenel, ça me semblait évident : c’est une comédienne à la fois extrêmement sensible, une actrice douée et une bonne personne. C’était fondamental pour avoir un personnage féminin qui traverse la Révolution. Le cinéma, c’est aussi des comédiens, des visages célèbres. Moi, j’avais envie de les filmer, et même sur deux films !

    Jérôme Prébois

    En effet, vous avez déjà une suite en tête...

    Pour cela il faut que l’accueil du film se passe très bien. Si c’est le cas, on enchaînera sur la suite des événements : La Terreur. Je ne sais pas quelle période ça couvrirait. C’est un assez gros chantier. J’ai quelques éléments narratifs sur mes personnages, mais je ne peux pas dire que le scénario soit totalement posé.

    Quand on filme la Révolution française, on a forcément du mal à recréer la foule nécessaire. Comment avez-vous procédé ?

    J’ai regardé pas mal de films avec des foules. Celui qui m’a donné une clef, c’est Les Sept Samouraïs. C’est simple : un village fait appel à sept samouraïs pour les débarrasser de brigands violents. Le film raconte vraiment une communauté et Kurosawa la filme. Il se débrouille avec une cinquantaine de villageois. Il n’y en a pas mille, mais néanmoins, on a déjà la sensation d’une communauté. Ce qui compte, c’est à la fois d’obtenir des individus et que ces cinquante-là soient différents. Nos figurants revenaient souvent de scène en scène. A force, ils habitent le film. Il faut leur donner des actions de jeu. Ça compte beaucoup. A partir de là, ce qui se passe entre le comédien principal, le comédien secondaire, le comédien plus épisodique et la figuration doit être constamment en mouvement, au premier comme au second plan. Ce sont aussi des choses qu’on garde en tête au montage. Si la communauté ne vit qu’en arrière-plan, c’est qu’elle n’existe pas. Pendant la marche des femmes, à l’Assemblée, au jugement du roi, à l’exécution, il faut des gros plans sur des figurants ou des visages moins connus. C’est fondamental car ça joue aussi sur les comédiens principaux.

    J’avais besoin de me confronter à un moment de vie où l’espoir était permis, l’enthousiasme aussi, où l’invention politique, le débat, la discussion étaient les bienvenus.

    Votre film veut contextualiser l’événement le plus galvaudé de l’histoire de France, non ? La Révolution française, ça sonne tout de suite comme une leçon de classe…

    Ça sonne comme une leçon de classe, un événement violent ou un moment délirant de la politique française. Je sais que ce n’est pas vrai : c’est la Révolution qui nous a fondés. Là, avec ce film, vous n’avez que les trois premières années de l’événement. Si je fais le deuxième film – qui sera sûrement très différent – il faudra les relier l’un à l’autre. Mais dès le premier vous êtes conviés à assister aux premiers temps de la Révolution qui sont riches, complexes, intenses. Mais vous avez raison : j’avais besoin de me confronter à un moment de vie où l’espoir était permis, l’enthousiasme aussi, où l’invention politique, le débat, la discussion étaient les bienvenus. Ça ouvre des perspectives. D’où ces métaphores de lumières, la place de la sensualité dans le film, la diversité des regards, des âges… La Révolution mérite qu’on la sorte des pages de ces livres d’histoire dans lesquelles elle est trop figée.

    Jérôme Prébois

    C’est difficile d’esquiver la dimension pédagogique. Votre film contient quand même son lot de dates et de noms qui s’affichent à l’écran…

    Les dates et les intertitres sont venus pendant le montage. Tantôt il y en avait trop, tantôt pas assez. Ce chapitrage permet d’isoler des moments dramatiques et de rappeler des enjeux à long terme. On couvre tout de même trois ans. Si on ne rappelle pas où on se situe, on va vite perdre le spectateur. Pendant le procès du roi, on affiche les noms des orateurs parce qu’ils sont nombreux et ils s’expriment devant l’Histoire. C’est une manière de leur rendre hommage. Etrangement, c’est une des scènes qui marquent le plus alors qu’elle est très simple dans son dispositif, et on ne me dit jamais qu’elle est pédagogique. Ce film a plusieurs lectures possibles. Evidemment, quand vous faites un film historique, vous donnez une représentation de Robespierre. Vous donnez une image au roi et à son exécution. Quand les députés apportent la constitution au roi pour qu’il la signe, on invente bien sûr une image de l’histoire.

    Plusieurs générations ont appris dans leurs manuels que Louis XVI a été victime de cette Révolution et que sa mise à mort n’était pas justifiée. Ce n’est pas du tout ce que dit votre film.

    Ce roi a trahi sa Nation suffisamment pour qu’il mérite sa peine. Après se pose la question de la peine de mort ou du bannissement, mais la culpabilité du roi est indiscutable. Ce n’est pas parce que les Révolutionnaires l’ont poussé à bout. Il complote pendant des années à des moments très précis contre la Nation et contre son pays. Il complote peut-être selon lui pour sauver son peuple de la Révolution, mais il complote contre les gouvernants, contre l’Assemblée et contre une partie du peuple. Ce qui est intéressant, c’est de partir d’un roi qui est dans un premier temps de la Révolution glorifié dès qu’il approuve le cours des choses. Mais un décalage se crée, se creuse et devient un abîme dans lequel le roi est perdu parce qu’il ne suit plus le changement. C’est l’histoire d’un peuple qui bouge, qui évolue, qui se transforme et d’un roi qui n’arrive plus à le suivre.

    Après L’Exercice de l’Etat, un casting impressionnant pour Un peuple et son roi de Pierre Schoeller

    À partir de là, plus personne n’a été à l’abri de la guillotine pendant de longues années, non ?

    La contre-Révolution a existé très tôt. Ce qui se passe, c’est que les monarchies voisines veulent faire la cour à la France révolutionnaire et faire la peau à cette république. Le pays est confronté à une guerre civile parce que la Révolution est attaquée de l’intérieur. Cela dit, les victimes jugées et condamnées de la Terreur sont moins nombreuses que les victimes de la nuit de la Saint-Barthélémy. Les rivières de sang de l’époque se font surtout dans la guerre civile et dans les conflits contre les puissances étrangères.

    Et, vous-mêmes, faites-vous plutôt confiance à la révolution ou au progrès ?

    Je ne suis pas tellement pour l’ordre établi. Je n’aime pas ce qui ne bouge pas, le conformisme. Il y a un mouvement, dans la vie, dans le cours des choses. Dès que je sens que ça se gèle, ça me met mal l’aise.

    Alors on fait table rase et on repart à zéro ?

    La Révolution, ce n’est pas faire table rase. C’est faire bouger la montagne. C’est qu’à nouveau, la montagne se déplace et se redéfinisse. Oui, je suis plutôt révolutionnaire. Aurais-je voté la mort de ce roi? Y aura-t-il une révolution demain ? Ça dépasse mes compétences de cinéaste. La Révolution française a fondé notre régime politique – du moins en grande partie. Une autre, demain, sous-entendrait une redéfinition de ce régime. Sans savoir ce que ça donnerait, tout comme les Révolutionnaires de 1789 n’avaient pas idée de ce qu’allait devenir la politique de leur pays. Le projet républicain est venu plus tard. Nous, ce qu’on sait de cette Révolution aujourd’hui, à travers nos études, c’est un peu comme une voiture compressée par César. Tout est remis dans un bloc, sans voir que si vous le dépliez, vous découvrez autre chose. Mon film ne cherche pas à faire l’éloge de cette Révolution, mais à lui redonner des perspectives, de l’humain. Cette présence des femmes, par exemple. C’est important.

    Ce qui m’a intéressé, c’est de montrer que ces femmes avaient une sensibilité politique.

    Votre film résonne avec la libération de la parole des femmes, aujourd’hui. L’aviez-vous anticipé ?

    Non. Je l’ai écrit il y a six ans, dans un autre contexte. Le mouvement #MeToo, traduit une vraie prise de conscience, une exigence d’égalité. Mais ce n’est pas forcément ce que j’avais en tête. Ce qui m’a intéressé, c’est de montrer que ces femmes avaient une sensibilité politique. Et, si elles l’avaient, c’est qu’elles y étaient exposées dans leur vie de tous les jours, par le prix de la farine, le prix du savon, le prix du café… C’était de jeunes ouvrières qui travaillaient, exposées à la précarité. Le film montre de magnifiques femmes combattantes, mais n’est pas un relais du mouvement #MeToo.

    Votre dernier long métrage pour le cinéma, L’Exercice de l’Etat, s’intéressait aussi à la vie politique. La question semble vous préoccuper !

    Ça ne va pas durer ! (Rires) Ce sont des continuités de préoccupations, d’obsessions. C’est aussi une manière d’actualiser le cinéma. Beaucoup de gens me disent que c’est un film qui parle d’aujourd’hui.  

    Jérôme Prébois

    Vous trouvez que le cinéma français manque d’ambition politique ?

    Pas tant que ça : 120 Battements par minute, c’est un vrai film politique. Mais je dirais plutôt que ça ne va pas de soi, dans le cinéma français, d’aller filmer le temps présent. Je ne sais pas si le public est satisfait de la manière dont on représente la jeunesse française actuelle, par exemple. Se reconnaît-elle dans ces films, cette jeunesse ? J’ai des sentiments contradictoires, au sujet du cinéma français d’aujourd’hui. Mais je ne vois pas tout. La politique existe chez Laurent Cantet, chez Céline Sciamma, ou chez Bertrand Bonello... Mais c’est un cinéma qui a du mal à exister. Si on veut parler au sens plus large, il suffit de regarder l’offre d’un multiplexe, avec certaines comédies qui sont à mes yeux définitivement réactionnaires. Sous prétexte qu’il s’agit d’une comédie, pourtant, ça passe.

    Guillaume Depardieu nous a quittés il y a dix ans. Il jouait devant votre caméra dans Versailles. Pouvez-vous nous parler de lui ?

    C’est un vide, une absence. C’était un artiste, Guillaume, un vrai. Ils ne sont pas si nombreux. Il y a Patrick Dewaere ou Michel Piccoli. C’était quelqu’un de ce niveau-là. Son absence est d’autant plus marquante. Ce fut une vraie rencontre pour moi. Dix ans ! C’était hier, pour moi. Quand je l’ai rencontré pour Versailles, il m’a dit tout de suite : "Ne me pose pas la question. Je ferai le film."

    Avez-vous d’autres projets que cette éventuelle suite sur la Terreur ?

    Il faudra voir si on continue cette histoire et dans quelles conditions. J’attends. J’ai mis tout en stand-by et je savoure la sortie du film.

    La bande annonce d'Un Peuple et son roi

     

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