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    Ces faits historiques qui inspirent Game of Thrones : le funeste sort de Joffrey
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    George R.R. Martin, l'auteur de "Game of Thrones", est un amoureux transi de la période du Moyen-Âge, s'inspirant de nombreux éléments factuels de cette période pour nourrir son imaginaire débridé. Exemple avec l'empoisonnement de Joffrey !

    Empoisonnements multiples, massacres et autres atroces séances de sévices, humiliations, lutte à mort entre clans familiaux, vengeances implacables... Bienvenue dans l'univers de George R.R. Martin, le vénéré créateur de Game of Thrones !  L'auteur, qui affirmait dans une interview donnée à la chaîne CBC en mars 2012 "prendre la fantasy épique dans la tradition de Tolkien […], et la combiner avec un genre réaliste", a largement nourri son oeuvre et bien entendu la série culte de HBO, en empruntant de nombreux éléments ou événements factuels qui se sont déroulés au Moyen-Âge, sa période de prédilection. A ce titre, un de ses modèles est le cycle des Rois Maudits de Maurice Druon, composé de sept tomes écrits entre 1955 et 1977 et qui fut merveilleusement adapté à la TV en 1973. "Voilà l'histoire originale de Game of Thrones" a même lâché Martin, en évoquant la saga fleuve de Druon, dont les premiers tomes ont été réédités en Grande-Bretagne en 2013, à la grande joie de Martin

    Martin qui développe d'ailleurs une vision très sombre du Moyen-Âge. "Les mauvais auteurs [de fantasy] s’inspirent des structures sociales du Moyen âge […] mais ils ne semblent pas réaliser ce que cela signifie. Ils écrivent des scènes dans lesquelles la jeune paysanne courageuse gronde le méchant prince" expliquait George R.R. Martin dans une interview au Times Entertainment en avril 2011. "[Dans la réalité] Le méchant prince l’aurait violée. Il l’aurait mise aux fers et aurait ordonné qu’on lui jette des ordures dessus. Je veux dire que la structure sociale dans des endroits comme ceux-là était dure. Elles avaient des conséquences. Et les gens étaient élevés depuis l’enfance à connaître […] les devoirs et les privilèges de leur classe. C’était toujours une source de tensions lorsque quelqu’un sortait de sa condition. Et j’ai essayé de refléter cela" précisait l'auteur.

    Si les propos du romancier méritent quelques vraies nuances - l'oppression sociale au Moyen-Âge étant bien plus subtile que ce qu'il laisse entendre-, il ne s'agit toutefois pas ici de développer l'aspect réaliste ou non de son approche dans sa saga. Mais de remettre régulièrement en perspective historique certains faits et / ou éléments empruntés à cette période du Moyen-Âge, dans une série de papiers publiés régulièrement sur le site.

    Après avoir évoqué la fameuse marche de la honte de Cerseï Lannister vue dans le 10e épisode de la saison 5, nous avons encore un peu remonté la chronologie de la série pour nous arrêter au 9e épisode de la saison 3, lorsque nous avons évoqué les sinistres Noces pourpres, inspiré par Le Dîner noir, un sanglant événement survenu dans l'Ecosse du XVe siècle.

    Justice divine ou empoisonnement ?

    Cette fois-ci, nous faisons halte à l'épisode 2 de la saison 4, baptisé Le Lion et la rose. Un épisode au cours duquel le tyrannique, cruel et dégénéré jeune roi Joffrey (Jack Gleeson) humilie devant tous les convives son oncle Tyrion au cours du banquet offert en l'honneur de son mariage avec Margaery Tyrell (Natalie Dormer). La cérémonie vire alors au drame lorsque Joffrey est pris de terribles convulsions et étouffe, après avoir ingéré une généreuse part de gâteau et du vin, qui se révèle être empoisonné. Et alors qu'il rend son dernier souffle dans les bras de sa mère éplorée, le coupable idéal est déjà tout trouvé : Tyrion... Dire que les fans de la série ont jubilé à la mort de ce despote relève de l'euphémisme, tant celui-ci s'est révélé particulièrement sadique et cruel, notamment envers la famille Stark...

    Ci-dessous, l'agonie du roitelet en question, à savourer comme il se doit...

    Pour cette séquence, l'écrivain est notamment allé chercher un peu l'inspiration dans la mort d'un prince dénommé Eustache IV de Boulogne, lors d'une autre guerre civile anglaise, très lointaine, que l'on a appelé Anarchie, qui s'est déroulée entre 1135 et 1153. C'est d'ailleurs cette période qui sert aussi de trame de fond à l'oeuvre monumentale de Ken Follett, Les Piliers de la Terre. "Eustache s'est étouffé à mort au cours d'un banquet" lâchait Martin dans l'interview. "Des centaines d'années plus tard, les gens débattent toujours : s'est-il simplement étouffé ou a-t-il été empoisonné ? Le fait est qu'en supprimant Eustache, cela apportait enfin la paix qui a mis fin à la guerre civile. La mort d'Eustache a été acceptée [comme accidentelle], et je pense que c'est exactement ce qu'espéraient les assassins. Dans Game of Thrones, tout le royaume est témoin du spectacle de Joffrey s'étouffant à mort après avoir avalé un morceau de gâteau. Mais ce que les assassins n'ont pas prévu, c'est que Cersei soupçonne immédiatement qu'il s'agit d'un meurtre. Elle n'est pas trompée une seule seconde là-dessus".

    Pour revenir un peu à la référence historique de George R.R. Martin, à la mort du roi Henri Ier d'Angleterre, en 1135, un certain Étienne de Blois, un des petits-fils du fameux Guillaume le Conquérant, s'empare du trône aux dépens de l'héritière légitime et désignée, Mathilde l'Emperesse, la fille du défunt roi. Durant 19 ans, les deux se déchirent, en faisant naturellement jouer le système des alliances entre les duchés et les vassaux. Epuisés par cette lutte sans merci, les deux camps entament des négociations de paix en 1153. Mais le fils d'Etienne de Blois, Eustache IV de Boulogne donc, ne l'entend pas ainsi. Il faut dire aussi que lors d'un conseil tenu à Londres le 6 avril 1152, Étienne de Blois avait demandé aux barons de reconnaître Eustache comme leur prochain roi et de lui rendre hommage. Il essaya même de le faire couronner de son vivant, mais ses relations avec le clergé s'étaient tellement dégradées au cours des années de guerre civile qu'il rencontra une vive opposition. De fait, on comprend mieux aussi l'intérêt tout personnel d'Eustache IV à s'opposer à cette paix négociée, voyant logiquement la couronne lui échapper...

    Au siège de Wallingford en juillet 1153, en apprenant que son père et le duc de Normandie Henri Plantagenêt ont négocié un cessez-le-feu, il entre dans une colère noire après son père et quitte la cour, se repliant début août 1153 vers l'abbaye de Bury Saint Edmond (située dans le comté de Suffolk) qui fut un des plus puissants lieux monastiques d'Angleterre. Un des plus révérés aussi, lieu de pèlerinage, depuis que le monastère accueillait en son sein les reliques du roi-martyr Edmond d'Est-Anglie depuis le Xe siècle, dernier roi d'Est-Anglie avant la conquête de ce royaume par les Vikings.

    Les moines accueillent Eustache IV avec un faste dû à son rang, en lui offrant notamment un superbe dîner. Le comte, lui, n'a qu'une idée en tête : remplir ses caisses vides pour payer ses soldats, qui sont de surcroît frustrés par une campagne militaire terminée prématurément. Eustache sollicite donc les moines pour les fonds, mais ces derniers refusent d'accéder à sa demande. Le comte ordonne alors de piller de fond en comble le monastère et ses richesses. Un crime terrible.

    De retour dans son château situé à Cambridge, Eustache IV dîne copieusement au cours d'un banquet, avec de la nourriture pillée du monastère. Mais dès les premières bouchées, il s'effondre et étouffe à mort, tout comme Joffrey dans la série. Selon certains récits, il serait mort immédiatement; d'autres expliquant que son agonie dura une semaine, avant d'expirer. Dans un cas comme dans l'autre, il n'en fallait pas plus aux moines pour voir dans cette mort rien de moins qu'une punition divine, ou du moins un juste châtiment administré par Saint Edmond lui-même, à la hauteur du crime qu'Eustache avait commis. L'autre argument, plus rationnel bien qu'aucune preuve n'ai pu être apportée, est qu'il aurait été empoisonné; le timing de sa mort étant un peu trop idéal : son décès met fin à toute contestation des négocations de paix. Eustache IV encore vivant, cette dernière n'aurait certainement pas vu le jour...

    In fine, on pourra signaler un autre exemple intéressant comme potentielle source d'inspiration pour George R.R. Martin concernant la manière dont meurt Joffrey mais dont il n'a pas parlé, et qui est évoquée par les plus curieux. Le poison ingéré par Joffrey provoque chez lui un épistaxis, plus communément un saignement du nez, bien visible dans les images ci-dessus. De quoi rappeler une mort célèbre, celle du fameux conquérant Attila le Hun. Attila meurt début 453 de façon soudaine et inattendue dans son sommeil, étouffé semble-t-il par un saignement de nez durant sa nuit de noces. Très rapidement, les rumeurs d'assassinat par sa nouvelle épouse, soit par empoisonnement, soit par étouffement, ont fait surface. Mais l'hypothèse généralement retenue est une apoplexie due à l'excès d'alcool durant la noce. Une mort qui aurait certainement manqué de panache pour le tyran Joffrey, qu'on est pas fâché de voir souffrir avant de rendre l'âme...

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