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    ZeroZeroZero : l'auteur de Gomorra évoque sa série sur le trafic de cocaïne
    Vincent Formica
    Vincent Formica
    -Journaliste cinéma
    Bercé dès son plus jeune âge par le cinéma du Nouvel Hollywood, Vincent découvre très tôt les œuvres de Martin Scorsese, Coppola, De Palma ou Steven Spielberg. Grâce à ces parrains du cinéma, il va apprendre à aimer profondément le 7ème art, se forgeant une cinéphilie éclectique.

    Après avoir créé la cultissime série Gomorra, Roberto Saviano et Stefano Sollima se retrouvent pour ZeroZeroZero. Cette fois, les auteurs nous proposent une vertigineuse plongée dans le businesse de la cocaïne.

    2018 – 2019 Cattleya Srl - Bartlebyfilm Srl

    ZeroZeroZero, nouvelle série créée par Stefano Sollima, Leonardo Fasoli et Mauricio Katz, est disponible depuis le 9 mars sur myCanal. Le show propose une immersion dans les arcanes du marché mondial de la cocaïne, depuis sa fabrication, jusqu’à la livraison finale sur les lieux de consommation.

    Tout comme Gomorra, la série est basée sur un livre écrit par Roberto Saviano, sulfureux auteur italien dont la tête est mise à prix par la mafia. Nous avons pu rencontrer l'écrivain, qui vit depuis plusieurs années sous protection policière à cause des nombreuses menaces de mort qui pèsent sur sa personne. Accompagné du réalisateur Stefano Sollima (Suburra, Sicario 2) et du producteur Riccardo Tozzi, Saviano a répondu à nos questions autour de ZeroZeroZero.

    Roberto Saviano, est-ce que, en écrivant votre livre, vous vous attendiez à ce qu'il soit adapté plus tard en série ?

    Roberto Saviano : Oui, j'écris des livres pour que Stefano Sollima puisse faire des séries (rires). 

    Il a fallu faire des choix pour l'adaptation, notamment par rapport à la violence, comment sentez-vous le dosage de cette dernière entre le livre et la série ?

    Roberto Saviano : C'est une phénoménologie de la violence ; c'est à dire que c'est authentique et brutal. Mais c'est aussi une étude précise de la violence. Par exemple, en ce qui concerne le Mexique, ça aurait été très facile de verser dans le sanguinaire, de faire une boucherie. Mais tout a été construit sur la base d'une technique qui permet au spectateur de percevoir immédiatement la situation avec un point de vue très juste. C'est mon obsession depuis toujours. C'était déjà le cas de Gomorra, avec aussi Stefano Sollima à la baguette. Il faut garder ce regard hyper réaliste.

    Stefano Sollima, comment avez-vous appréhendé la violence ?

    Stefano Sollima : C'est un élément qui permet de raconter l'histoire. Cela fait partie de la réalité que l'on veut mettre en scène. D'un point de vue morale, il ne serait pas bien de ne pas la prendre en compte. Il faut raconter cette violence. On ne peut pas en faire abstraction juste parce que ça nous irrite. La violence est un élément cinématographique, il faut qu'elle soit utile pour ce que l'on veut raconter des personnages. 

    Le livre de Roberto Saviano est une enquête dense, qu'est-ce qu'il a fallu changer, enlever, transformer... ?

    SS : Le livre est une enquête journalistique et n'a pas une forme de narration précise. Evidemment, il a fallu faire des choix et mettre en lumière les différents thèmes du mieux possible. Je pouvais bien sûr trahir la forme du roman en faisant des choix mais je ne pouvais pas trahir son âme, le sens de cette oeuvre.

    C'est un travail que vous avez fait avec Roberto Saviano ? 

    SS : Nous sommes partis de cette idée : raconter le trafic de drogue et l'effet qu'il a sur le monde. Le projet était plutôt très ambitieux. Nous avons très vite choisi d'y inclure l'idée du voyage. C'était un processus très long car nous devions faire très attention à être le plus proche de la réalité possible, celle racontée dans le livre de Roberto. C'est un travail qui nous a pris plusieurs années. Quant à ce qui n'est pas dans le livre, nous avons fait des recherches approfondies sur place ; nous avons voyagé dans tous les lieux que l'on voit dans la série.

    Roberto Saviano, quelle est pour vous la différence entre écrire pour une série et écrire pour le cinéma ?

    RS : Belle question. Le roman possède une forme bien plus proche de la série que d'un film, notamment pour des raisons de durée, compte-tenu de la densité du récit. Quand on a 300-400 pages de livre, on peut raconter énormément de choses. En même temps, selon moi, une série ne doit pas être seulement du divertissement, ce qui peut être très bien par ailleurs, mais pour moi elle doit aussi raconter les dynamiques de la vérité. Dans le projet que nous avons fait ensemble, nous avons réussi à obtenir ce résultat. Dans ZeroZeroZero, on a vraiment la sensation de regarder le capitalisme droit dans les yeux.

    Riccardo Tozzi, producteur : J'ajouterais qu'en Italie, on essaye d'écrire les séries un peu à la manière du cinéma. Ce sont des séries très cinématographiques. Au niveau de l'écriture, je ne crois pas qu'il y ait une très grande différence au niveau du style. C'est aussi le cas au niveau de l'image, il y a une construction qui est très semblable à celle du cinéma. Il n'y a pas une séparation si nette.

    D'après une déclaration de l'ONU, les liquidités du système financier européen ont été remplacées par des fonds illégaux. La crise économique a été surmontée grâce à la présence de liquidités provenant de recettes issues du trafic de drogue.

    Roberto, comment avez-vous pu faire une enquête aussi approfondie tout en étant sous protection policière permanente ?

    En réalité, ce qui s'est passé avec ZeroZeroZero, c'est que j'ai eu plus d'informations que quand j'ai écrit Gomorra. La renommée que m'a donné le premier livre m'a permis d'avoir accès à beaucoup d'informations, d'écoutes, de communications... J'ai pu réunir une énorme quantité de récits, d'histoires, sur le trafic de stupéfiants, c'était immense. Si je n'avais pas publié ça, je serais devenu fou car j'avais une masse d'informations.

    J'en parlais avec Riccardo Tozzi [producteur] et il m'a dit : "Si tu ne t'arrêtes pas, cette histoire va te dévorer vivant. Tu dois imaginer que tu as entre les mains une histoire qui te permet d'ouvrir toutes les portes, des investissements au blanchiment, de Paris à Bangkok." Quand on commence à s'engager sur la voie du trafic de drogue, on est sur une autoroute. C'est l'autoroute principale de l'économie, comme pour le pétrole. Ce sont des marchandises mondiales.

    D'après une déclaration de l'ONU, les liquidités du système financier européen ont été remplacées par des fonds illégaux. La crise économique a été surmontée grâce à la présence de liquidités provenant de recettes issues du trafic de drogue. La masse d'argent générée, pas seulement de la cocaïne mais aussi de l'héroïne et d'autres types de drogues, est un bien auquel l'économie ne peut pas renoncer. C'est ça le grand paradoxe. Plus tu vas mal, moins t'as d'argent, et plus tu te drogues. C'est un marché qui ne connaît pas de crise.

    L'investissement du blanchiment se retrouve du coup partout, même dans le secteur de la santé, de l'éducation... ?

    Si je peux donner une idée des investissements qui sont réalisés, je dirais que l'argent va surtout dans la construction, les travaux publics, la distribution du pétrole, les centres commerciaux, la gestion des déchets, les systèmes de santé privés et actuellement, il y a beaucoup d'investissements dans le coltan. C'est un minéral utilisé dans les téléphones portables. Depuis les années 90, les organisations criminelles investissent dans cette matière car ils savent que c'est un produit d'avenir.

    Plus tu vas mal, moins t'as d'argent, et plus tu te drogues. C'est un marché qui ne connaît pas de crise.

    Stefano Sollima, qu'avez-vous appris sur la série Gomorra qui vous a servi sur ZeroZeroZero ?

    On a pris beaucoup plus de risques sur cette série. Gomorra était une série locale, avec une structure qui était assez simple en termes de récit. Du point de vue la narration et de la production, ZeroZeroZero est un progrès énorme. On a pu le faire grâce au succès de Gomorra. À un moment de l'écriture, la série semblait tellement compliquée, ambitieuse à tourner, qu'on s'est demandé si on arriverait à la faire. On a finalement réussi à le faire.

    Riccardo Tozzi : Il y a aussi plein de nouveautés au niveau de l'écriture, notamment en comparaison avec tout ce qui a été fait sur le genre, de Romanzo Criminale à Gomorra. Ces séries n'avaient qu'un seul point de vue, celui de la culture italienne. Dans ZeroZeroZero, il y a plusieurs points de vue, c'est un changement radical. Il y a plusieurs regards sur ce monde du trafic de drogue ; il y a aussi ce dispositif qui consiste à changer de point de vue en plein épisode pour raconter l'histoire sous un autre angle.

    Qui a eu l'idée de ce dispositif ?

    SS : C'est une idée que j'ai eu pendant une réunion. On n'arrivait pas à raconter l'histoire, sauf en faisant des ellipses temporelles très importantes. Or, ces histoires devaient s'inscrire sur une période de 21 jours, soit la durée du voyage de la marchandise. Cette idée est venue de là, elle nous a aidé à résoudre ce problème de temporalité. Faire cette petite ellipse à l'intérieur de chaque épisode a débloqué l'écriture et nous permettait de faire revivre les événements d'un autre point de vue.

    Tourner à Monterrey au Mexique n'a pas dû être simple, quelles ont été les contraintes, difficultés ?

    C'était délicat de tourner là-bas en effet. On nous a empêché au départ de tourner à Monterrey, le maire nous a retiré les autorisations la veille du tournage. Du coup on a quand même tourné dans le coin mais dans des endroits limitrophes. Le tournage était prévu pendant une élection et les autorités étaient très frileuses en raison du sujet de la série.

    Tout le monde voudrait avoir un grand-père comme Don Corleone du Parrain, personne ne voudrait avoir un grand-père comme Pietro Savastano de Gomorra.

    Le cinéma américain a participé à faire du gangster une figure glamour ; depuis Gomorra, vous cherchez à déconstruire cela pour montrer que le criminel n'a rien d'un être mythique. C'est quelque chose que vous aviez aussi en tête en faisant cette nouvelle série ?

    SS : Gomorra et ZeroZeroZero mettent en scène deux mondes complètement différents. La glamourisation du gangster existe au cinéma, mais elle existe aussi dans la réalité. Par exemple, paradoxalement, ce qu'on racontait dans Gomorra, qui était basé sur la réalité, devenait en quelque sorte une source d'inspiration pour les gangsters. Il y a un étrange jeu de miroirs. Mais ce sont eux qui se mettent aussi en scène de manière glamour et nous devons parfois le raconter aussi comme ça car c'est la réalité. Mais on essaye quand même de ne pas les mettre en scène de façon glamour.

    Riccardo Tozzi : Tout le monde voudrait avoir un grand-père comme Don Corleone du Parrain, personne ne voudrait avoir un grand-père comme Pietro Savastano de Gomorra.

    Pour vous, quel est le personnage le plus positif de la série ?

    SS : Le personnage dont j'étais le plus attaché était Chris Lynwood [Dane DeHaan]. C'est le personnage le plus fragile et le plus pur en quelque sorte. C'est celui qui essaye le plus possible de reprendre le contrôle de la situation dans le but de rendre hommage à son père, de lui plaire ; car il n'a pas vraiment envie de s'impliquer dans ces affaires. Il est la vraie victime de ce système. C'est pour cela qu'il est mon personnage préféré. C'est aussi pour cela qu'on a décidé de lui mettre une faiblesse, sa surdité. Pour montrer qu'à cause de ce handicap, la famille le laisse de côté, mais que malgré cela, il sait tout.

    La série comme le livre montre aussi la manière dont ces courtiers se fondent dans la masse mais sont en réalité très impliqués dans le trafic...

    RS : La bourgeoisie des entreprises est notamment dépeinte par cette famille américaine. Quand on regarde le comportement d'un chef mafieux, on se rend compte qu'il se comporte comme un entrepreneur impitoyable. Pour certains, le seul objectif de leur vie est le profit. Pour le chef d'entreprise comme pour le criminel, tout s'achète. Pour eux, si on croit qu'il y a quelque chose qui n'est pas achetable, on est trop naïf. On achète un bien comme on achète le respect d'une personne.

    Aujourd'hui, le Mexique inonde le monde avec la cocaïne comme Amazon distribue ses colis.

    Comment les trafiquants de drogue utilisent les nouvelles technologies de communication comme les réseaux sociaux ?

    RS : Le monde du narco-trafic est un monde qui a besoin d'affirmer sa symbolique. Par exemple, les décapitations mises en ligne sur YouTube ont été inspirées aux djihadistes par les narco-trafiquants. Ce sont les trafiquants mexicains qui ont été la source d'inspiration de ces mises en scène meurtrières. Ils ont été les premiers à les mettre sur Internet. C'est une façon très "médiatique" de communiquer, comme le fait de déployer des banderoles, comme on voit dans la série.

    Des groupes de narco-trafiquants ont même tué des personnes qui ont fait des tweets contre eux. Ils avaient mis en place des équipes pour reconnaître les personnes qui tweetaient. C'est un niveau de persécution inédit dans l'histoire. Aujourd'hui, le Mexique inonde le monde avec la cocaïne comme Amazon distribue ses colis. Celui qui gagne le plus d'argent est désormais le distributeur. Le producteur devient l'otage du distributeur, comme pour le capitalisme.

    Riccardo Tozzi : Ça me rappelle le fonctionnement du cinéma (rires).

    Roberto Saviano, votre livre est sorti en 2013, nous sommes en 2020, qu'est-ce qui a changé depuis, notamment sur votre condition ? S'attaquer à la cocaïne a dû vous attirer plus de menaces...

    Le livre a été trouvé dans le refuge du trafiquant de drogue El Chapo. Quand il a été arrêté, les autorités ont retrouvé mon livre sous son lit. Ce qui a changé, c'est qu'on découvert combien le rôle du Mexique est central dans le trafic de drogue. Mais on a petit à petit découvert également les rôles centraux de la France, de l'Afrique... et 98% de l'argent généré par la cocaïne est investi aux USA et en Europe.

    Pouvez-vous nous dire un mot sur le futur de la série Gomorra ?

    Riccardo Tozzi : Nous tournons la 5ème saison au mois de mai.

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