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    Madame Claude sur Netflix : "Un film qui interroge la part sombre d'une femme, c'est tout nouveau"
    Thomas Desroches
    Thomas Desroches
    -Journaliste
    Les yeux rivés sur l’écran et la tête dans les magazines, Thomas Desroches se nourrit de films en tout genre dès son plus jeune âge. Il aime le cinéma engagé, extrême, horrifique, les documentaires et partage sa passion sur le podcast d'AlloCiné.

    Disponible sur Netflix, "Madame Claude" revient sur l'ascension et la chute de Fernande Grudet, figure de la prostitution en France. Derrière la caméra, Sylvie Verheyde souhaite apporter un point de vue féminin. Rencontre.

    Netflix

    C'est par caméras interposées, sur Zoom, qu'AlloCiné a retrouvé Sylvie Verheyde pour parler de son sixième film, Madame Claude. Ce biopic revient, comme son nom l'indique, sur la vie de Fernande Grudet, figure mondaine à la tête d'un important réseau de prostitution en France dans les années soixante et soixante-dix. La cinéaste s'est déjà intéressé à la marchandisation du corps avec Sex Doll, son long métrage précédent, mais elle souhaite, cette fois, filmer la face sombre d'une "femme du peuple" corrompue et animée par la réussite. 

    Madame Claude
    Madame Claude
    Sortie : 2 avril 2021 | 1h 52min
    De Sylvie Verheyde
    Avec Karole Rocher, Roschdy Zem, Garance Marillier
    Presse
    2,9
    Spectateurs
    2,2
    Voir sur Netflix

    AlloCiné : C’est votre deuxième film sur la prostitution. Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la figure encore très populaire de Madame Claude ?

    Sylvie Verheyde : Il y a deux raisons. D’une part, ma mère, qui vient d’un milieu très populaire, a quitté son Auvergne natale pour monter à Paris dans l’espoir de réussir. Elle a été serveuse, puis elle a acheté son propre café. Pour elle, Madame Claude était une figure de réussite. Cela me paraissait bizarre qu’une proxénète soit un modèle pour les femmes de sa génération. Je me suis posé beaucoup de questions.

    L’autre raison, c’est l’actualité. Aujourd’hui, il y a des étudiantes qui se prostituent pour payer leur loyer, des call-girls qui utilisent les réseaux sociaux, comme Instagram, pour travailler. Mais je ne suis pas fascinée par la prostitution. Je souhaitais me replonger dans ce sujet et le repenser dans les années de Madame Claude en m’attaquant à cette figure glamour. Le seul film qui avait été fait sur elle, c’était celui de Just Jaeckin, qui ne déconstruisait pas vraiment le mythe, bien au contraire. Je voulais montrer le point de vue d’une femme. Cela m’intéressait de déconstruire son image et de montrer l’envers du décor. 

    Madame Claude s'est composée une personnalité de toutes pièces...

    Elle s’est construit un mythe, un avatar. Je souhaitais partir du mensonge et retrouver le fil émotionnel de la vérité. Madame Claude est un cliché : fille de la campagne, elle tombe enceinte à 16 ans pendant la guerre, puis elle monte à Paris en laissant sa fille à sa mère et devient prostituée. Je voulais repartir de ça et la confronter aux figures des grands bandits. J’ai construit le film autour de cette ascension et de sa chute. Elle était précurseur dans son domaine, mais les histoires de mœurs l’ont rattrapé.

    Je voulais montrer les contradictions de cette femme, comme une héroïne à la Martin Scorsese.

    Ce qui est intéressant c’est que sa chute n’est pas tant causée par les hommes, mais par une femme qui entre dans sa vie…

    Tout à fait. Son histoire et celle de ses "filles", c’est la reconstitution d’une famille dysfonctionnelle. C’est à la fois une bonne et une mauvaise mère. Il y a un lien presque amoureux avec Sidonie, jouée par Garance Marillier. Mais cette dernière incarne la nouvelle génération et tout le chemin parcouru. Elle peut parler, dénoncer, porter plainte. Avant, les femmes ne pouvait même pas avoir de carnet de chèques. Pour les femmes de la campagne, les perspectives d’avenir et de réussite lorsqu’elles étaient pauvres étaient quasi nulles. Pour beaucoup, c’était direction l’usine.

    Vous parliez de Garance Marillier. Dans l'une des scènes du film, son personnage porte plainte contre son père pour inceste. C'est une séquence qui résonne avec l'actualité. Comment avez-vous approché cette séquence ?

    En faisant Sex Doll, j’ai rencontré beaucoup de call-girls et il y a, chez ces jeunes filles, un glissement vers la prostitution à partir d’un traumatisme, qui est souvent le viol. Sidonie, c’est ce qui la définissait. C’est là où je prends parti dans le film. Je dis qu'il faut parler. C’est d'ailleurs grâce à l’époque MeToo que j’ai pu faire ce projet. Construire un film avec que des femmes et qui interroge la part sombre d’une femme, c’est tout nouveau. J’avais eu l’idée il y a 6 ou 7 ans et je sentais des blocages. Mais avec des séries, je pense notamment à Jessica Jones, qui est une antihéroïne, et grâce à la libération de la parole, j’ai pu faire Madame Claude.

    Karole Rocher joue dans tous vos films. Comment avez-vous construit ce personnage avec elle ?

    Ce film est l’autopsie d’un monstre. Elle est fascinante, elle a du pouvoir, elle fait trembler les hommes, mais c’est aussi un bandit. Quand on regarde Pablo Escobar, il est gentil avec son fils et il peut égorger un homme juste après. Avec Karole, nous avons parlé de cette dualité. Je voulais montrer les contradictions de cette femme, comme une héroïne à la Martin Scorsese.

    Mon long métrage est une biographie non autorisée.

    Aujourd’hui, on parle beaucoup du female gaze, autrement dit le regard féminin, notamment lorsqu’il s’agit de nudité. Votre film ne sexualise pas les femmes, ce qui est tout l’opposé du film de Just Jaeckin….

    Le film de Just Jaeckin est presque un produit marketing pour Madame Claude. Elle lui a même envoyé des filles. Il a été payé par elle. C’est son apologie. Mon long métrage est une biographie non autorisée. Avec mes actrices, on était toutes sûres de faire le même film. Il n’y avait aucune ambiguïté. Et le fait que je sois une femme les rassure. Le film que j’ai fait auparavant, Sex Doll, parle pour moi. Pour les scènes de nudité avec Garance Marillier, qui est très jeune, on les a fait dans un grand respect et presque dans la déconnade. J’ai une vraie tendresse avec le cœur et pas de fascination érotique.

    Je souhaite aussi préciser que tous les hommes du film, que ce soit Roschdy Zem ou Benjamin Biolay, ont eu la classe d'accepter des rôles secondaires. D'habitude, les acteurs sont les têtes d'affiche et ne souhaitent pas avoir de petits rôles. Ici, c'est l'inverse. Ils ont eu l'élégance de le faire.

    Votre film était initialement destiné aux salles de cinéma. Comment vivez-vous sa disponibilité sur Netflix ?

    C’est évidemment lié à la pandémie de Covid-19, mais Netflix s’est imposé immédiatement. C’est à la fois un film d’auteur, un film personnel, mais aussi un film de genre. En salles, c’est difficile de réunir les deux. Et c’est la possibilité d’être vu dans le monde entier. Sex-Doll, qui n’avait pas marché en France, a été racheté par Netflix et depuis, je reçois encore de nombreux messages de la part de l'étranger. Je suis contente, Madame Claude va voyager.

    Propos recueillis par Thomas Desroches, le 19 mars 2021.

    Découvrez la bande-annonce de "Madame Claude" :

     

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