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    Cannes 2021 : rencontre avec Tilda Swinton, héroïne du spirituel et unique Memoria
    Thomas Desroches
    Thomas Desroches
    -Journaliste
    Les yeux rivés sur l’écran et la tête dans les magazines, Thomas Desroches se nourrit de films en tout genre dès son plus jeune âge. Il aime le cinéma engagé, extrême, horrifique, les documentaires et partage sa passion sur le podcast d'AlloCiné.

    Récompensé par un prix du jury ex æquo pour ce 74e Festival de Cannes, "Memoria" a marqué les esprits pour son expérience hors du temps. Au cœur de ce film, Tilda Swinton, plus envoutante que jamais, incarne un personnage fantomatique. Rencontre.

    Thomas Desroches

    "Une expérience divine". C'est comme cela que Tilda Swinton qualifie sa collaboration avec Apichatpong Weerasethakul. Divine, cette expérience l'est aussi pour les spectateurs. Avec Memoria, l'actrice britannique et le réalisateur thaïlandais ont transporté cette 74e édition dans d'autres sphères, en dehors du réel. Le film a remporté le prix du jury, ex æquo avec Le Genou d'Ahed de Nadav Lapid.

    Spirituel et envoûtant, le long métrage suit Jessica, une horticultrice, réveillée en pleine nuit par un bruit sourd et terrifiant, semblable à un coup de feu ou à un poids qui tombe sur une plaque de métal. Quel est ce son ? D'où vient-il ? Que signifie-t-il ? Hantée par ce parasite qui envahit son esprit, l'héroïne va tenter d'en retrouver l'origine en suivant ses sens pour mieux se reconnecter aux autres et à elle-même.

    La rencontre évidente

    Connue pour ses traits atypiques et son don pour la transformation, Tilda Swinton a su se créer une carrière unique. Elle alterne les grosses productions hollywoodiennes et les films moins accessibles. Memoria s’inscrit, sans aucun doute, dans cette seconde catégorie. Dans cette aventure filmique, les deux artistes se sont trouvés. Ce 16 juillet, la veille de la clôture du Festival, nous avons rencontré l’actrice dans une pièce de l’hôtel Martinez pour parler de ce projet si spécial.

    La première fois que j’ai vu un film d’Apichatpong Weerasethakul, c’était en 2004, avec Tropical Malady. J’étais membre du jury, ici-même, se souvient-elle. J’étais impressionnée et, comme souvent quand on est impressionné, je ressentais quelque chose de très familier. C’était comme une grande cloche qui résonnait à l’intérieur de moi. C’était comme si lui et moi étions de la même tribu. Je le voyais comme un proche. La preuve aujourd’hui, c’est un proche. Nous sommes vraiment des frères. Nos sensibilités sont très similaires.

    Une énergie spirituelle

    Memoria marque avant tout par son atmosphère, un mélange d’apaisement, de flottement où le silence est la clé. Pour Tilda Swinton, l’énergie que dégage le film primait avant tout le reste : “Très vite, Apichatpong ne parlait que de ça. Son travail concernait plus l'atmosphère qu’autre chose et rien n’a changé depuis. Je ne crois pas qu’il m’ait parlé du scénario, du personnage ou d’autres artifices. Il souhaitait maintenir cette ambiance, ne rien figer et tout rendre flexible. C’était une chance pour moi parce que c’est aussi ce qui m’intéresse dans ce métier.

    Memento Films

    Dans cette idée de ne rien matérialiser dans la tête des spectateurs, Memoria met en scène une héroïne mystérieuse qui traverse le film comme une somnambule. “Il y a tout un tas de fantasmes autour de ce personnage, souligne Tilda Swinton. Est-elle vraiment présente ? Est-ce un fantôme ? Est-elle en deuil ? Il y a ce petit détail sur son mari, où l’on mentionne un certificat de décès. On pourrait penser qu’il est décédé il y a peu de temps et qu’elle fait son deuil. Vient-elle du passé, du futur, d’une autre planète ? Il y a tellement de questions et nous avons essayé de ne donner aucune réponse.

    Le silence, une arme pour contrer notre époque

    Pour habiter cette femme, Tilda Swinton s’en est remise à son instinct : “Elle parle et marche d’une autre manière. Je ne marche pas vraiment comme ça. C’est un animal différent. Vous savez, mes enfants ont une tortue qui s’appelle Slowly et j’ai le sentiment que Jessica se rapproche de cette créature, sans sa carapace. Jessica n’a aucune carapace. C’est comme si elle n’avait pas de peau.”

    Aux côtés de cette héroïne, il y a ce son omniprésent, ce “bang”, qui retentit dans la salle et provoque une réaction chez le personnage comme chez les spectateurs. “C’est comme s' il y avait une bombe dans le cinéma”, décrit Tilda Swinton. C’est l’autre protagoniste du film. “Ce bruit, c’est comme la fin du monde, explique-t-elle. Pour l’entendre, il faut se rendre disponible. C’est comme une méthode de méditation : il faut être détaché pour observer de l’extérieur. Désormais, notre monde va tellement vite, il nous maintient tous de façon si étroite que l’on ne peut plus rien voir. En anglais, on dit : “You can’t see the wood for the trees” (“l’arbre qui cache la forêt” en français, NDLR). Nous sommes devenus aveugles. Ce son, c’est un traumatisme profond qui ne peut plus être évité.

    Tourné en 2019, Memoria prend un autre sens aujourd’hui selon l’actrice. “Si le film était sorti l’année dernière, il aurait eu une autre signification. Maintenant, pour diverses raisons, c’est difficile de ne plus entendre ce son dans nos vies. Même si certains tentent encore de l’ignorer. Ils font semblant de ne rien entendre. C’est l’écho d’un traumatisme qui nous réunit tous."

    Propos recueillis par Thomas Desroches, à Cannes, le 16 juillet 2021.

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