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    Many Saints of Newark par Ray Liotta : pourquoi Les Soprano et la violence fascinent-ils les spectateurs ?
    Vincent Formica
    Vincent Formica
    -Journaliste cinéma
    Bercé dès son plus jeune âge par le cinéma du Nouvel Hollywood, Vincent découvre très tôt les œuvres de Martin Scorsese, Coppola, De Palma ou Steven Spielberg. Grâce à ces parrains du cinéma, il va apprendre à aimer profondément le 7ème art, se forgeant une cinéphilie éclectique.
    Co-écrit avec :
    Emmanuel Itier

    Many Saints of Newark, en salles le 3 novembre, offre un prologue scorsesien à la série culte Les Soprano. On décrypte le phénomène avec le créateur David Chase et son équipe, notamment Michael Gandolfini, fils du regretté James.

    Avant d’être une légende du crime, Tony Soprano a fait ses gammes auprès de son oncle, Dickie Moltisanti. Dans un contexte explosif de guerre des gangs, cet intraitable parrain a ouvert les portes de la mafia à son neveu. Many Saints of Newark, préquel des Soprano, se concentre donc sur le mentor de Tony, celui qui l'a inspiré pour devenir le leader qu'on a connu dans la série. 

    Cette figure tutélaire, personnage principal du film, est incarné par Alessandro Nivola, qui tout de suite été séduit par cet homme charismatique qui cache une part sombre et très violente.

    "La première chose qui m'a frappée à propos de Dickie quand j'ai lu le scénario, c'est que contrairement à d'autres personnages de gangsters, il ne commet de crimes violents uniquement sous l'emprise de la passion, d'une pulsion du moment. Il ne prémédite pas ses crimes. Ça lui vient d'un pulsion de rage momentanée. C'est une réponse émotionnelle face à quelqu'un qui le trahit et qui compte beaucoup pour lui", explique le comédien.

    Many Saints Of Newark - Une histoire des Soprano
    Many Saints Of Newark - Une histoire des Soprano
    Sortie : 3 novembre 2021 | 2h 03min
    De Alan Taylor
    Avec Alessandro Nivola, Leslie Odom Jr., Vera Farmiga
    Presse
    3,0
    Spectateurs
    2,8
    louer ou acheter

    "Ce n'est pas un tueur calculateur et obsessionnel. Il met des beaux costumes et fait semblant que tout va bien mais c'est un personnage qui traverse une véritable crise morale. Il garde tout pour lui, du coup il a cette rage intérieure qu'il ne peut parfois plus contrôler. On comprend dans le film que son père (Ray Liotta) était violent envers lui pendant son enfance, cela peut expliquer en partie sa personnalité. Il comprendra petit à petit qu'il est l'architecte de sa propre destruction", analyse l'acteur.

    De son côté, le réalisateur Alan Taylor est très curieux de savoir comment les spectateurs vont recevoir le film. "Je ne l’ai vu qu’une seule fois en présence d’un public et je suis encore en train de voir comment cela se passe. Il y a, sans aucun doute, une sorte de noirceur à ce film et je pense que cela vient surtout du point de vue de David Chase sur ces choses. Cela m’a frappé à un moment : le film commence dans un cimetière, c’est narré par un personnage décédé et cela se termine par un enterrement. C’est comme être dans une bulle de noirceur", indique le metteur en scène.

    Il y a beaucoup d’humour, d’absurdités, d’affection et de coeurs brisés mais tout ça est enveloppé dans de la noirceur.

    "Cela étant dit, il y a beaucoup d’humour, d’absurdités, d’affection et de coeurs brisés mais tout ça est enveloppé dans de la noirceur. Je détesterais penser qu’il n’y a que de la noirceur, je pense qu’il se passe beaucoup d’autres choses en plus de ça. Et d’une certaine façon, la série Les Soprano avait aussi une vue très sombre de l’humanité et de l’Amérique, mais éclairée par de l’action et de la comédie entre autres. Donc j’ai essayé d'équilibrer ces deux côtés", précise Alan Taylor.

    Le créateur David Chase évoque cette "noirceur" en mettant en parallèle les événements de 1967 dépeints dans le film avec le monde actuel. "Il y a un parallèle entre l'intrigue qui se situe en 1967 et tout ce qu'on a vécu avec notamment Black Lives Matter et George Floyd. On n'a pas inclus ça de manière consciente avec mon co-scénariste Lawrence Konner. Cela montre que les choses n'ont pas tant changé que ça en plusieurs décennies", analyse le créateur des Soprano et scénariste du film.

    Evidemment, pour jouer Tony Soprano adolescent, il fallait trouver un comédien avec la carrure pour endosser une telle responsabilité, surtout depuis le décès de James Gandolfini en 2013. Finalement, c'est son fils, Michael, qui a repris le flambeau.

    "Je me suis senti sur une autre planète quand j'ai appris que j'avais le rôle. J’ai auditionné sur une période de 3 mois donc j’ai passé beaucoup de temps avec l’accent, la physicalité et les émotions du personnage. Du coup, quand j’ai eu le rôle, j’avais déjà pas mal travaillé dessus donc l’hésitation ou la peur que j’avais pu avoir quand on m’a proposé le casting, je les avais déjà évacuées. Ce n’était plus que quelque chose que je craignais.

    Par contre, évidemment, quand on me l’a dit, j’étais extatique. Je dois dire que ce qui m’a vraiment excité, c’est quand j’ai appris le nom de tous les acteurs qui allaient faire partie du film. Ça, ça m'a bouleversé, le fait que j’allais travailler avec Jon Bernthal, Vera Farmiga, Leslie Odom Jr, Alessandro Nivola. J’étais si sidéré par cette idée et celle de travailler avec David Chase. C’était un sentiment très surréaliste mais aussi très excitant", affirme Michael Gandolfini.

    Ça n'a pas été facile pour lui, il a dû beaucoup prendre sur lui pour s'approprier le rôle.

    Quant au créateur des Soprano, il était ravi que le fils de James ait obtenu le rôle de Tony. "Sa performance est excellente. Ça n'a pas été facile pour lui, il a dû beaucoup prendre sur lui pour s'approprier le rôle. Mais pour moi, je ne le voyais pas comme le fils de James Gandolfini, c'était juste le bon acteur pour ce rôle précis ; Tony n'était pas du tout le même car l'époque est différente et ce n'est pas encore le personnage que l'on connaît dans la série", précise David Chase.

    Pour Michael, grandir aux côtés de celui qui a incarné Tony n'a pas vraiment été d'une grande aide pour entrer dans la peau du personnage. "Je ne dirais pas qu’avoir grandi avec lui m’a aidé à mieux cerner Tony. Évidemment, la série m’a énormément aidé. Elle m’a permis de connaître ses manières, ses postures, poser son regard et tenir ma tête d’une façon spécifique. Mais aussi ma gestuelle, et l’accent", explique le jeune comédien.

    "Mais ce qui m’a le plus aidé c’était que j’avais en gros 86 heures de séances de psy avec le personnage que j’allais jouer. J’ai vraiment réussi à comprendre tous les aspects de ce personnage mais aussi comment Tony pense et ce qui lui provoque ses réactions. Toutefois, ce rôle ne m’a pas réellement appris de choses sur mon père et mon père ne m’a rien appris à propos de Tony. Car mon père n’était pas Tony, ce sont des personnes différentes", conclut-il.

    Le réalisateur Alan Taylor revient sur le processus d'audition pour le rôle de Tony jeune, qui n'était absolument pas acquis pour Michael Gandolfini. Le cinéaste et son équipe ont commencé par organiser un gros casting pour essayer de trouver quelqu’un qui pourrait jouer ce rôle mais Michael a toujours été une possibilité pour le metteur en scène. Ce dernier ne pouvait pas le choisir sans lui faire passer une audition parce qu’il devait savoir s’il en était vraiment capable, dans l'intérêt du film mais aussi dans le sien.

    Michael Gandolfini a appris les mimiques de son père, il a même utilisé une dent ébréchée pour lui ressembler.

    "On ne voulait pas le mettre dans une situation embarrassante où on lui en demandait trop. Il est venu, a passé le casting et il était super. Il a juste été très clair sur le fait qu’il voulait le faire, que c’était légitime pour lui de le faire, et qu’il se sentait bien à ce propos. Donc ça a été l’une des rares décisions qui ne m’a jamais dérouté, cela semblait être la bonne chose à faire. C’était une joie de le diriger, il a travaillé très dur. Il a fait son propre travail, il a regardé toute la série pour la première fois. Il a appris les mimiques de son père, il a même utilisé une dent ébréchée pour lui ressembler", confie le réalisateur.

    Ray Liotta, comédien chevronné, mythique Henry Hill des Affranchis, campe Hollywood Dick Moltisanti, père de Dickie. Malgré son statut de star, il n'était pas assuré d'obtenir le rôle. Il n'a pas hésité à faire le forcing auprès de David Chase pour faire partie de Many Saint of Newark.

    "Je voulais vraiment travailler avec David Chase, ça n'avait pas marché la fois d'avant sur Les Soprano. Ce n'était pas gagné, j'ai dû aller à New York pour le rencontrer, et je vis à Los Angeles. J'ai demandé à mon agent s'il pouvait arranger une réunion avec lui pour un rôle dans le film. Il ne m'a rien promis en acceptant la rencontre, je voulais juste m'asseoir face à Chase et le réalisateur Alan Taylor et leur offrir mes services. Par chance, on a eu un excellent moment, on a déjeuné ensemble, et à la fin, ils m'ont demandé si je voulais jouer Hollywood Dick Moltisanti", révèle l'acteur.

    Le monde des criminels suscite chez le spectateur une étrange fascination. Pour le cinéaste Alan Taylor, les histoires de gangsters comme Les Soprano possède beaucoup d’attributs qui sont très attrayants mais c’est surtout à propos de ses thèmes qui le sont. "J’ai grandi avec ce show qui m’a fait apprendre à aimer cette façon de faire des films où c’est le thème qui est le plus important. Et les thèmes de la série étaient les grandes questions que David Chase posent mais auxquelles il refuse de donner des réponses. Ces thèmes sont éternels mais aussi spécifiques, comme le déclin de l’empire américain" analyse-t-il.

    Avant tout, ces problématiques sont surtout universels, d'après le réalisateur : "Il y a quelque chose qui va mal dans le monde ; on n’est pas sûr de savoir pourquoi il y a quelque chose qui va mal en nous et on ne sait pas comment le changer, a-t-on le pouvoir d’y faire quelque chose, de se réadapter ? C’est le mythe américain, je ne suis pas sûr d’y croire. Toutes ces questions qui hantent, mélangées à du bouddhisme et d’autres choses, sont les questions de la série que je trouverai éternellement intéressantes. Quand elles sont couplées au monde des gangsters à l'ancienne, la violence et l’humour, c’est une bonne combinaison", explique le metteur en scène.

    Voir de la violence à l'écran crée une certaine fascination chez les gens.

    Pour Ray Liotta, les gens sont fascinés par les bad guys car ils font des choses qu'on ne pourrait jamais faire. "On aime les regarder faire à la télévision car cela nous divertit. Je ne me suis jamais battu de ma vie donc voir de la violence à l'écran crée une certaine fascination chez les gens. En tout cas, ça fonctionne pour moi, ça m'intrigue vraiment", confie-t-il.

    "Avec Les Soprano, vous rentrez dans la mythologie américaine du gangster mais vous devez la distinguer de toutes les autres versions, y compris celles de Scorsese, qui sont très puissantes. Avoir Ray Liotta a apporté beaucoup de cette mythologie et j’étais très excité par le fait qu’on l’ait choisi mais dans à rôle à la Soprano. Il y a quelque chose d’un peu étrange à propos de la façon dont on l’utilise dans le film. C’est légèrement surréaliste mais je pense qu’on a réussi à bien l’incorporer dans le monde des Soprano", précise Alan Taylor.

    Selon Michael Gandolfini, beaucoup de gens peuvent s’identifier aux personnages du film car "les thèmes sont l’isolation, les sentiments d’aliénation et de solitude, le fait d'essayer de faire partie de quelque chose de génial, d’important et vouloir être une bon membre de la famille. La famille dans la série et dans le film, c’est la mafia mais aussi la famille de sang. Donc ce sont des choses universelles auxquelles tout le monde peut s’identifier. Les spectateurs peuvent d’une certaine façon se voir en Tony. Mais aussi en Dickie et Harold. Et c'est une incroyable preuve de la capacité de David Chase à écrire des personnages et l’expérience humaine", souligne le comédien.

    Pour conclure, Alessandro Nivola confesse n'avoir jamais vu Les Soprano avant de passer l'audition pour le rôle de Dickie.

    "J'étais au courant bien évidemment de toute l'aura de la série et l'engouement qu'elle a suscité, notamment pour ses personnages magnifiques d'anti-héros. De plus, la série a montré que la télévision pouvait donner des choses dignes du cinéma ; avant Les Soprano, le monde du grand écran et celui du petit étaient très séparés, un acteur de cinéma n'allait que rarement vers la télévision et vice-versa. La série a changé la donne et a rapproché les deux univers, la TV a cessé d'être ma vue et snobée. Aujourd'hui, on ne voit plus la frontière entre les deux et je pense que c'est en partie grâce à David Chase", affirme l'interprète de Dickie.

    Propos recueillis par Emmanuel Itier à Los Angeles.

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