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    Arcane : les coulisses de la série Netflix adaptée de League of Legends
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Dérivée du jeu vidéo phénomène League of Legends, la série animée "Arcane" vient de débouler sur Netflix. Et frappe fort ! L'occasion de nous entretenir avec Pascal Charrue, co-créateur de la série et cofondateur du brillant studio Fortiche.

    Jeu vidéo de type arènes de batailles en ligne, League of Legends, sorti en 2009 et développé par le studio Riot Games, a connu depuis une fulgurante ascension, et s'est même imposé comme l'un des titres les plus joués dans le monde en 2013. Il séduit aussi le monde du sport électronique en devenant l'événement eSport le plus regardé de l'histoire, avec plus de 32 millions de spectateurs en ligne et plus de 8,5 millions de vues simultanées lors de la finale de la saison 3 du championnat du monde en 2013.

    En 2016, Riot Games annonçait 100 millions de joueurs actifs.  Souvent considéré comme le jeu vidéo ayant la plus large scène compétitive au monde, le championnat du monde de League of Legends 2019 a réuni plus de 44 millions de spectateurs simultanés. On est clairement passé, depuis plusieurs années maintenant, d'un phénomène surprise à un phénomène culturel.

    En 2019 d'ailleurs, pour célébrer les dix ans de sa licence fétiche, Riot Games n'a pas fait les choses à moitié, en faisant toute une série d'annonces, entre l'arrivée d'un jeu de cartes, un FPS, les versions mobiles et consoles de League of Legends... Mais aussi l'arrivée d'une série animée baptisée Arcane, dont la diffusion, tout juste commencée sur Netflix, est un gros carton d'audience; plutôt mérité d'ailleurs.

    Arcane
    Arcane
    Sortie : 2021-11-07 | 45 min
    Série : Arcane
    Avec Hailee Steinfeld, Ella Purnell, Kevin Alejandro
    Presse
    4,3
    Spectateurs
    4,6
    Voir sur Netflix

    Une série animée créée sous les (très) bons auspices du studio d'animation Fortiche, dont les locaux se trouvent dans le 13e arrondissement à Paris. Et collaborateur de longue date avec Riot Games. La diffusion de la série Arcane était une bonne occasion de poser quelques questions justement à l'un des fondateurs de ce brillant studio et co-créateur de la série, Pascal Charrue.

    AlloCiné : Avant tout, j'aimerai que vous retraciez un peu votre parcours. Qu'est-ce qui vous a motivé à créer votre propre studio d'animation après être passé par la case du jeu vidéo ?

    Pascal Charrue : J'ai toujours beaucoup dessiné et j'ai su très tôt que je voulais vivre de mon dessin ! Après une année de prépa en Arts Appliqués, j'ai fait plusieurs formations à Gobelins, l'école de l'image. Il y avait une formation d'animateur jeux vidéo qui venait d'ouvrir et c'est comme ça que j'ai commencé à travailler dans le monde du jeu vidéo.

    C'était la première fois que je touchais à des logiciels 3D et j'y ai découvert un aspect plus technique. Je suis très vite tombé amoureux des outils 3D et particulièrement du modeling de personnages. J'ai commencé à “designer”, modéliser et texturer les personnages pour une société de jeux vidéo. Société où j'ai rencontré Jérôme Combe qui deviendra plus tard mon associé. Il avait été embauché pour créer un teaser pour cette société, là où moi, je faisais mes débuts. Ce fut un coup de foudre artistique pour tous les deux. Mon envie de raconter des histoires m’a poussé à travailler dans l'industrie de l'animation et à quitter l'industrie du jeu vidéo. Mais quelques années plus tard, le monde du jeux vidéo a fini par reprendre beaucoup de place dans ma vie avec Riot Games et le projet Arcane.

    Quelle pourrait être la philosophie du studio Fortiche ?

    Je ne sais pas s’il y a un philosophie mais plusieurs mots me viennent en tête : " bidouille, artistique, différent, passion et famille". "Bidouille", car on aime trouver les plus simples solutions pour produire nos images, qu'importe l'outil, le résultat est toujours une suite d'images. "Artistique", parce qu'on met en avant les talents qui composent nos équipes et ils sont nombreux dans chaque département même les plus techniques. "Différent", car ça a toujours été notre désir d'être en marge dans la narration et le visuel. "Passion", parce qu'il en faut, notre métier n'est pas tous les jours de tout repos. Et enfin "Famille", pour l'esprit collectif et positif qu'on essaye d'entretenir au sein de l'entreprise même si elle continue de s'accroître.

    Fortiche

    Vous souhaitiez développer, au début des années 2000 je crois, une nouvelle approche visuelle dans l'animation, en vue de cibler un public plus adulte. Pouvez-vous expliquer / développer ?

    Je ne sais pas si c'était déjà au début des années 2000, car je n'avais pas encore beaucoup de bagage professionnel. Ce qui est sûr, c'est que j'ai, depuis toujours, aimé les challenges et je me suis mis très vite en freelance avec de l'appréhension au début. Puis, j'ai réalisé que c'était un statut dans lequel je me retrouvais le plus ! Je pouvais choisir les projets sur lesquels je voulais travailler sans que personne ne me les impose, que ce soit un patron ou un producteur !

    J'ai donc décidé de monter ma société, en partant du constat qu'on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Si j'avais envie de réaliser des choses comme je l'entendais, il fallait que je m'en donne les moyens !

    L'envie de développer un style visuel et faire de l'animation adulte est née à ce moment- là.

    Notre réflexion, au début, était surtout de montrer au public que ce n'est pas qu'un jeu ultra populaire et que l'histoire d'Arcane peut parler a des gens non-initiés !

    J'ai la chance d'être associé à 2 personnes que j'apprécie et considère énormément. Nous avions eu, dès le début, cette même envie de nous démarquer des autres studios, narrativement et visuellement. Avec des goûts et des envies communs, c'est plus facile pour y parvenir. Je crois qu’il nous reste encore beaucoup de styles à approcher en restant dans la même démarche visuelle qu'Arcane, c'est-à-dire un visuel où la part artistique est déterminante. Nous avons le désir de le faire évoluer pour s'accorder à des sujets vastes et variés avec l’ambition de toucher un public de jeunes adultes et d’adultes.

    Comment avez-vous gérer l'impact de la pandémie par rapport au processus créatif sur la série, qui devait d'ailleurs même être diffusée l'an dernier !

    Effectivement, on a pris la pandémie de plein fouet. Il a fallu mettre en place des réunions quotidiennes et spécifiques et on a placé tous nos talents en remote, ce qui nous a parfois fait perdre notre productivité à des moments cruciaux.

    Mais les équipes se sont vite adaptées et je les en remercie. Je crois que ce qui a fait le plus de mal aux équipes, c'était surtout de ne plus partager cette motivation, importante à tout projet artistique : nous avions l'habitude de partager l'avancée du projet lors d'évènements, et là, avec les restrictions sanitaires, c'était devenu impossible ! Heureusement, la diffusion des épisodes a commencé et aujourd'hui, tout le monde est très excité de voir les réactions après ces années de travail acharné.

    Fortiche

    L'univers de LOL possède un lore très riche, avec notamment 150 personnages (de mémoire). Comment s'est arrêté le choix sur les personnages principaux, les deux sœurs Jinx et Vi ?

    Ce n'est pas notre choix d'origine, mais celui des auteurs Christian Linke et Alex Yee. Cela tombait bien car nous connaissions déjà bien la région de Runeterra avec “Get Jinxed” et “Ekko Seconds”, les vidéos promotionnelles que nous avions réalisées quelques années auparavant. Effectivement le lore est incroyable, et croyez moi -car je ne peux rien dévoiler-, tout est cohérent dans le lore et Arcane est un moyen d'introduire des possibilités de storytelling inépuisable.

    Corollaire de l'aspect foisonnant de cet univers, il peut aussi paraître ultra cryptique pour les profanes... C'est difficile de trouver justement cet équilibre entre la nécessité de s'adresser aux non initiés, sans se couper de la fan base ?

    C'est un sujet important de nos réflexions durant le développement du show ! Le projet du côté de Riot a toujours été de satisfaire leurs fans. La nôtre, au début, était surtout de montrer au public que ce n'est pas qu'un jeu ultra populaire et que l'histoire d'Arcane peut parler à des gens non-initiés. Pour cela il faut forcément faire attention à trouver le bon équilibre entre le réalisme et la fantaisie.

    Visuellement parlant, quelle a été votre approche ? Si on imagine évidemment que l'environnement est nourri par divers éléments du jeu, aviez-vous d'autres références ou sources d'inspiration en tête ? Je pense notamment à cette saisissante transition, dans le 1er épisode, entre la ville de Piltover, la ville haute et riche, à celle de Zaun, les bas-fonds, qui fait évidemment penser au "Métropolis" de Fritz Lang.

    Métropolis de Fritz Lang comme le Métropolis de Rintarō, sont effectivement des références. Mais on en a énormément d'autres. Je crois que nos inspirations sont partout, dans la photo, la musique, la mode, la peinture et effectivement beaucoup dans le 7e Art.

    La particularité de notre studio est qu'il n'est constitué à l'origine que d'artiste et d'aucun financier. Notre premier désir a toujours été de raconter des histoires. Nous avons donc abordé Arcane avec une vision plus ancrée dans le Live Action que l'animation classique. Ce qui ne nous empêche pas d'être également inspiré par l'animation et particulièrement par des réalisations japonaises, que je ne veux pas citer pour ne pas en oublier.

    Fortiche

    Le premier court animé développé en interne chez Riot, "Annie : Origins", utilisait différentes techniques : animation en 3D, de la 2D pour cette approche visuelle façon peinture (que l'on retrouve notamment au tout début de la série), une finition à la main... Vous avez conservé cette approche technique pour la série ? Ça faisait partie du "cahier des charges" ?

    La technique est toujours un peu la même, sauf que l'aspect 3D transparaît moins aujourd'hui. On pourrait résumer ce style à du Concepts Art ou d'illustrations animées. On veut que chaque image soit une "peinture". C'est un style que nous développons depuis bien longtemps, avant qu'il ne soit populaire.

    L'utilisation de la FX 2D est toujours présente, et même s'ils sont souvent plus intégrés, on apprécie toujours le décalage visuel. Notre équipe plus étoffée que par le passé est vraiment talentueuse. Il n'y a jamais eu de “cahier des charges” venant de Riot Games. Ils sont venus vers nous car comme leurs fans, ils sont friands de cette identité visuelle, qui fait partie maintenant de celle de LOL.

    Une question pour élargir un peu le spectre. On dénombre aujourd'hui plus de 120 studios d'animations en France, qui produisent plus de 400h de dessins animés pour le petit écran, auxquels s'ajoutent plusieurs longs métrages pour les salles obscures. Depuis plusieurs années, l'industrie du film d'animation (au sens large donc, séries animées comprises) est devenue ultra concurrentielle. C'est difficile de tirer son épingle du jeu ? Comment voyez-vous l'avenir du secteur ?

    Je crois que l'avenir du secteur est rayonnant ! La place de l'Art en France a toujours été importante et les programmes audiovisuels sont devenus plus accessibles que jamais avec les nouvelles plateformes. Donc oui, le marché s'est ouvert et de nombreuses sociétés émergent régulièrement. C'est pour cela qu'il faut trouver son identité propre sans pour autant s'enfermer dans un carcan.

    A la création du studio en 2009, nous avions énormément de mal à trouver des artistes et particulièrement des animateurs sur Paris car les longs métrages commençaient à se développer. On a dû privilégier le développement de compétences internes et aujourd’hui certains des talents d'hier sont toujours avec nous. C'est pour cette raison que nous valorisons le bien-être au studio.

    Malheureusement il y a toujours du turn-over ; les gens ont besoin de découvrir de nouvelles choses en allant voir ailleurs d'autant plus que les propositions foisonnent. Cela dit, la plupart nous font savoir le jour de leur départ qu'ils ont bien l'intention de revenir.

    Je pense qu'il va y avoir beaucoup d'opportunités pour tout le monde dans ce secteur ; il faut donc se donner les moyens de ses ambitions. Arcane est un projet dans lequel on a mis beaucoup de passion et j'espère que cela se voit à l'écran et que les gens apprécieront !

    Propos recueillis par Olivier Pallaruelo le 10 novembre 2021

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