Considéré par Hitchcock lui-même comme son "film le plus terrifiant", Les Oiseaux est une projection horrifique d'une menace animalière dans une ambiance "fin du monde" (ici des corbeaux, des freux, des mouettes, des moineaux, des bouvreuils et des corneilles qui assaillent sans répit les humains, les attaquent, leur picorent les yeux) qui s'impose comme un film pivot dans l'histoire du cinéma effrayant.
Il est en effet impressionnant de constater l'impact qu'a eu un film comme Les Oiseaux sur toutes les générations de cinéastes suivantes. A l'origine d'une longue lignée de films sur la menace animalière (Jurassic Park, Cujo, Tremors, La nuit des chauve-souris....), il a aussi provoqué toute une série d'angoisses apocalyptiques ou post-apocalyptiques (Le Jour d'Après, Le Jour où la Terre s'arrêta, La Malédiction, Zombie...) et a également exercé une influence considérable en terme de suspens, et d'élaboration d'une atmosphère de tension et de compte à rebours.
Car ici Hitchcock distille le suspens de main de maître. Il instille la peur de façon très progressive, petit à petit. C'est d'abord une scène dans une voilière, où Mitch plaint les oiseaux d'être constamment enfermés dans leurs cages et bocaux. C'est ensuite un nuage d'oiseaux noirs qui s'amoncellent dans le ciel - "ils n'ont pas fini de migrer" dit quelqu'un. Puis c'est une mouette qui agresse sur un bateau la jeune et jolie Melanie Daniels, fraîchement arrivée à Bodega Bay pour offrir à la petite soeur de Mitch, Cathy, une paire de "lovebirds" à l'occasion de son anniversaire. Enfin c'est - premier élément vraiment étrange - un oiseau qui s'écrase devant la maison de Annie Hayworth, l'institurice, alors que cette nuit-là la lune est pleine et produit une grande lumière. Et après...
Sans donner vraiment de réponse à cette attaque d'oiseaux aussi violente qu'inattendue, Hitchcock présente différentes réactions face à l'apparition de ce phénomène: incrédulité des policiers, refus d'une vieille dame spécialiste en ornithologie, désespoir d'une mère, enthousiasme décalé d'un ivrogne qui annonce l'arrivée de l'Apocalypse tout en récitant le chapitre 6 de L'Ézéchiel dans La Bible... Dans la hâte et pour se rassurer avec le semblant d'une explication rationnelle, un des habitants de Bodega Bay accuse Melanie Daniels, son tempérament de citadine orgueilleuse et ses moeurs dévergondées comme la cause de toute cette attaque (apparemment Melanie s'est jetée toute nue dans la Fontaine de Trévi à Rome un an auparavant...).
En somme, le réalisateur de Psychose et de Vertigo joue ici très habilement avec nos peurs les plus ancestrales (fin du monde, événement dont la portée nous dépasse et que nous ne pouvons pas expliquer, menace constante et sans répit qui peut venir de n'importe où...).
Plusieurs images sont susceptibles de se graver à tout jamais dans notre imaginaire cinéphile: celle où sur une "cage à poules" située dans un parc de jeux adjacent à l'école de Bodega Bay se déposent successivement un, deux, quatre, huit puis des centaines de corbeaux, ou encore la plongée sur un Bodega Bay en feu et que des oiseaux déployant leurs grandes ailes entrent dans le cadre, dans une atmosphère proprement apocalyptique décuplée par la partition anxiogène de Bernard Herrmann, compositeur attitré de Hitchcock.