Il n'y a rien d'approximatif, rien d'hésitant, dans ce premier film de Steve McQueen. Hunger est en tout point, sur le fond comme sur la forme, très précisément pensé et matérialisé. La matière est au coeur du film, tout autant que la psychologie, et bien plus que l'idéologie politique. La matière des décors et des corps. Matière fécale répandue sur les mûrs en des tableaux abstraits et monstrueux. Matière des corps dénudés des prisonniers, qui se contorsionnent sous les coups. Matière du corps de Bobby Sands qui pourrit et disparaît au fil de sa grève de la faim (grosse performance physique de Michael Fassbender dans un rôle qui a vraiment lancé sa carrière). Sur le plan psychologique, McQueen a fait des choix très marqués, privilégiant la force des images à celle des dialogues, à l'exception d'une séquence (mais quelle séquence !) présentant la confrontation entre Bobby Sands et le prêtre de la prison : vingt-deux minutes, presque entièrement en plan fixe, d'une grande intensité. Avec ou sans parole, les scènes filmées par le réalisateur témoignent d'un même souci de distance idéologique, d'impartialité, offrant différents points de vue en focalisant sur différents personnages : un gardien, un CRS (ou plutôt l'équivalent en Grande-Bretagne), quelques prisonniers dont Bobby Sands, ses parents, un prêtre, deux infirmiers. Sans oublier le discours de la Dame de fer, Margaret Thatcher, dont on entend seulement la voix, à l'occasion d'interventions publiques sur le sujet. McQueen met face à face deux radicalités : d'un côté, l'idéalisme forcené et jusqu'au-boutiste de membres de l'IRA, fermés au dialogue pour la négociation et la paix, portés par une volonté suicidaire coupée des réalités (selon le prêtre) ; de l'autre, l'intransigeance du gouvernement britannique, les provocations, la brutalité, les droits de l'homme bafoués. C'est cette opposition des extrêmes que le film donne à voir et à entendre dans un cadre carcéral à la fois ordinaire et extraordinaire, de manière violente et stylisée. Une stylisation qui se déploie "juste ce qu'il faut" pour ne pas "bouffer" le sujet. On admire la science du cadrage, le travail de la lumière, l'intelligence du montage. Tout cela fait de ce film une expérience marquante, éprouvante et de grande qualité.