L'avènement de Pixar au début du vingtième siècle a eu pour conséquence la mort de Disney. Heureusement, Clint Eastwood ressuscite l'entreprise de Mickey avec Invictus, film mièvre, assez effrayant après un Gran Torino qui avait amorcé un désolant changement de cap chez le Maître américain.
Comparer le dernier film d'Eastwood à Disney est cependant plutôt injuste pour Disney, qui avait au moins la délicatesse d'offrir un méchant dans chacun de ses films. Dans Invictus au contraire, il y a une cruelle absence de polarité négative, le sentiment que chaque personnage est inoffensif, trop gentillet même si ce personnage s'oppose à la figure centrale de Nelson Mandela. Le film est empreint d'une naïveté telle qu'on en vient à penser que Clint est mort en 2008 - juste après avoir réalisé son dernier chef d'oeuvre, L'Echange - et que la nouvelle serait tellement dure à encaisser qu'on ne nous dit rien, et qu'un réalisateur remplaçant a pris la relève. Tout ce qui fait la beauté d'oeuvres comme Million Dollar Baby ou Un Monde Parfait, c'est leur simplicité. Mais ici le simple se laisse dévorer par le simpliste.
La structure plate du film en est un exemple, et son déroulement linéaire et sans véritables pics d'intensité vient renforcer l'impression d'un manque aberrant de complexité. On pourrait cependant penser que Clint est plus rusé qu'il n'en a l'air, et que son admiration pour Mandela est telle qu'elle contamine l'aspect formel du film. Soit, que la figure de sagesse, d'amour et d'humanité que représente le président sud-africain est tellement au-dessus des autres - et même du film, après tout c'est une histoire vraie - qu'il n'y de la place dans Invictus que pour son héros si parfait. La conséquence serait donc que la structure du film - au niveau narratif comme formel - se calque sur Mandela, absorbant tout de lui et en premier sa sagesse. Mais justement, le film est bien trop sage, ne provoque que très rarement le spectateur. Un autre président avait fait de la force tranquille son slogan. Ici il n'y a que de la tranquilité, un côté paisible et bisounours pas forcément gênant finalement ( le film se suit sans ennui pendant plus de 2H ), mais qui étonne quand on connaît l'habituelle complexité qu'Eastwood injecte dans son oeuvre.
Il faut quand même saluer l'interprétation remarquable de Morgan Freeman ( qui joue donc Dieu pour la seconde fois de sa carrière ), malgré le côté casse-gueule de son personnage trop parfait pour être honnête. Mais on ne peut lui reprocher le côté manichéen du film. Le talent du comédien américain force un respect profond pour un homme au destin et à la personnalités remarquables, mais dont l'absence de nuances peut gêner. Finalement le dernier Eastwood est sympathique sans être inoubliable, à cause d'un excès d'humanisme qui ne fait qu'amoindrir l'impact du film. La subtilité ordinaire d'Eastwood s'est ici laissée piéger par les sirènes du mélodrame. Espérons que le réalisateur se bouche les oreilles la prochaine fois.