Lorsque Steven Spielberg refermait son quatrième volet sur une rencontre du troisième type, il bâtissait un pont entre la saga finissante de l’archéologue au chapeau et tout un pan de son cinéma consacré à la science-fiction ; soit la fusion entre l’Histoire, qui est une science, et le surnaturel, qui lui relève de la croyance, tous deux traités et par sa filmographie (écartelée entre fresques historiques et fictions futuristes) et par le personnage de l’aventurier lancé quatre films durant dans la quête d’objets recherchés pour leur valeur documentaire et pour leurs pouvoirs magiques. L’arche d’alliance, les pierres sacrées, la coupe du Graal, la connaissance infinie par la réunion de crânes de cristal… Parmi ces traces du passé, James Mangold range désormais Indiana Jones lui-même, qu’il montre d’abord ressuscité à l’aide d’effets visuels assez laids, puis vieillissant et en décalage avec son époque – son apparition en sous-vêtements, réveillé par des voisins bruyants, sa mise à la retraite – avant de lui proposer, en guise de tombeau, le siège de Syracuse au troisième siècle avant Jésus-Christ.
La trajectoire du film serait donc temporelle, mimétique du cadran d’Archimède : partir du grand âge pour remonter au berceau de la culture occidentale, et ainsi raccorder un vieux professeur bougon et désabusé à ses premières amours archéologiques parmi lesquelles vivre éternellement. La rencontre avec la nièce constituerait alors une brèche dans l’inactivité et dans la sénilité, l’occasion de reprendre du service contre les méchants nazis. Ce voyage dans le temps se concrétise, sur le plan physique, par l’utilisation de divers moyens de transport comme le ferait un album Tintin (avion, train, moto, tuk-tuk, cheval, métro, bateau et scaphandrier) qui occasionne un rajeunissement certain du professeur Jones : d’abord affaibli et clopinant dans la rue, il tend à regagner vigueur et enthousiasme, jusqu’à la rencontre avec son créateur, Archimède en personne, symbole de la rencontre entre fiction et science. Nous aurions aimé qu’il demeurât là, en Sicile, de la même façon que James Bond disparaissait sur une île (No Time to Die, Cary Joji Fukunaga, 2021) ; mais non, un coup de poing et le voilà revenu dans son appartement avec, en souvenirs, un fer de lance et le cadran. Il fallait bien qu’il retrouvât Marion, scène touchante au demeurant parce que dépourvue d’artifices, et qu’il assurât une transition générationnelle avec une nièce sinon horripilante et inutile, à l’instar des protagonistes secondaires.
Car malgré l’intelligence du propos, Indiana Jones and the Dial of Destiny manque cruellement d’incarnation, que ce soit sur le plan de l’interprétation que sur celui de la mise en scène, fade et industrielle. Que Mangold affirme ne pas vouloir copier la patte Spielberg est une chose, mais qu’il signe une réalisation aussi plate et atone en est une autre et dessert considérablement son film : la longue séquence d’ouverture ne suscite pas la moindre émotion, le retour au présent expédie le quotidien pépère du héros pour une action permanente mais sans rythme ; aussi l’ensemble du long métrage paraît-il construit sur une seule et même dynamique. Les différents pays et lieux parcourus sont captés de la même façon, sans que la photographie, ici impersonnelle, ne rende compte de leurs différences. Surtout, les mouvements de caméra, les cadrages, les jeux de lumière ne disent rien, ont une pure fonction illustrative : des plans pourraient être empruntés au récent Uncharted (Ruben Fleischer, 2022), auquel on prélève déjà Antonio Banderas ainsi qu’une quête simpliste et sans mystère. Quant aux nouveaux personnages… agaçants et inutiles, ils encombrent davantage le récit, la faute à une absence de particularités et de profondeur – preuve à l’appui, la partition originale de John Williams peine à leur donner un thème consacré.
Cette cinquième expédition d’Indiana Jones s’avère donc fortement dispensable et rappelle que la qualité de la saga reposait, essentiellement, sur la prise en charge d’un récit d’aventure par un cinéaste véritable.