Un joli film, d'une sensibilité originale qui s'exprime entre naturalisme et mystère poétique, presque fantastique à la fin. On songe à un autre film italien, Respiro, dont le réalisme finissait par tutoyer une dimension légendaire. Deux façons de transcender en douceur une réalité plutôt insatisfaisante : le quotidien galère d'une femme de pêcheur dans Respiro ; le quotidien d'une fillette menée à la dure par un père irascible et impulsif dans Les Merveilles. Dans ce dernier film, la réalisatrice Alice Rohrwacher prend le temps de décrire les travaux et les jours d'une drôle de famille à la campagne, avec son multilinguisme (italien, allemand, français), ses joies, ses problèmes. Une chronique paysanne marquée par la singularité d'un homme qui impose son ordre au groupe tout en proclamant la liberté de chacun, ancien militant pour on ne sait quelle cause, dormeur à la belle étoile, et capable d'autant de furie que de tendresse à l'égard des siens. Une tendresse farfelue qui peut se manifester par l'achat improbable d'un chameau... Face à ce père aimé et craint, qui maintient son monde dans une bulle, le personnage de Gelsomina va poursuivre un rêve, chercher une échappatoire en même temps qu'une forme de reconnaissance sociale pour elle et sa famille, via la participation à un jeu TV, grand moment de kitscherie entre carnaval étrusque et foire à la saucisse. Grand moment d'imaginaire factice qui contraste avec de "vrais" éléments merveilleux : les abeilles qui sortent de la bouche de Gelsomina, le sifflement étrange de Martin, le garçon recueilli. On peut être dérouté et charmé par cette étrangeté diffuse et volatile. En suivant cette famille qui apparaît à la fois plongée dans une réalité concrète et hors du monde, on avance sur un terrain délicatement mouvant et émouvant, nimbé d'un onirisme qui a sa drôlerie et sa mélancolie, celles des souvenirs réinvestis par l'imagination. Souvenirs personnels de la réalisatrice, qui disent, dans une troublante ellipse finale, le passage du temps, le passage des rêves. Souvenirs qui disent aussi la belle capacité du cinéma à tout réinventer.