« Vous n’avez jamais rien vu de pareil ! » scande l’affiche. Et bien, fait rare, on est entièrement d’accords ! En effet, on est face à ce que l’on pourrait nommer un OVNI cinématographique tout comme « Tangerine » un film qui ne plaira pas à tout le monde, loin s’en faut. Cette œuvre a été shootée pour à peine 50 000 dollars avec un i-Phone et des comédiens non professionnels et nous plonge dans un Los Angeles interlope rarement vu au cinéma. Celui du milieu des prostitués transsexuels peuplant le West Hollywood un jour de réveillon de Noël. Après « Drive » et « Collateral », la cité des Anges est encore filmée sous un nouveau jour magnétique et différent qui restera dans les mémoires.
Il faut aller au-delà de cet aspect formel qui ne correspond en aucun cas à un gadget de réalisation comme pourraient l’être les films tournés en found-footage, mais, au contraire, à des contraintes budgétaires drastiques qui donnent un cachet réaliste et immersif fascinant au film. On vit littéralement, le temps d’une journée bien chargée en disputes, scènes cocasses et rencontres en tous genres, le quotidien de ces laissés pour compte du rêve américain, de ces parias du genre humain qui se sont formées une famille. Sean Baker ne nous épargne pas le côté glauque et tragique sous des aspects plutôt futiles à la base : la prostitution dans ses plus vils aspects ou encore la toxicomanie ne sont pas mises de côté faisant lorgner « Tangerine » vers un côté documentaire.
Mais, conscient de la minceur de son scénario, le metteur en scène rajoute un personnage de chauffeur de taxi arménien aimant les hommes et le cachant à sa famille. Ce qui aurait pu être inutile donne finalement plus d’ampleur au film, laissant voir que les clients de ces transgenres peuvent être n’importe qui au sein de cette faune bigarrée. Ce mini road-movie en talons aiguille low-cost sur les trottoirs de L.A. atteint son paroxysme lors d’un final explosif où tous les personnages se retrouvent. Ce qui aurait pu avoir les atours d’un mauvais vaudeville est à se tordre de rire ici, aidés par des dialogues fleurant bon le naturel mais sacrément drôles.
« Tangerine » a le mérite d’être court et de ne nous laisser aucun répit. Parfois hystérique avec ces plans étranges, son montage haché et sa musique bruyante, on sent cependant l’énergie folle qui a animé l’équipe de tournage. De tout cela va naître des séquences mémorables tantôt comiques (la prostituée blonde trainées dans les rues en pyjama), tantôt belles (la séquence dans les toilettes). Et lorsque, dans l’ultime scène, le vernis superficiel du film se craque pour laisser parler le cœur, on sent effectivement qu’on a regardé un film pas comme les autres ! Un film rare qui, en dépit de ses maladresses et sa vulgarité parfois, a su nous conquérir.