C'est en 2001, dans le cadre d’un travail universitaire, que Swen de Paw a rencontré une vingtaine de psychologues et Georges Federmann était l'un d'entre eux (et même le dernier !). Le réalisateur se rappelle : "Nous avons beaucoup de choses en commun qui font que nos trajectoires se sont croisées. C’était comme une évidence à ce moment-là : il fallait filmer. J’ai commencé à travailler dessus deux ans après, je pense."
La question très complexe de savoir si les patients acceptent ou non d'être filmés a été posée depuis le début du projet. "Le fait qu’on soit trois à l’intérieur de la pièce et plus seulement deux. C’était très compliqué. Ça a pris au moins deux ou trois ans pour expliquer le projet à tous les patients. Ceux qui voulaient participer au projet venaient les jours où nous étions là, c’est à dire deux jours par semaine. Le deal était qu’à partir du moment où je commençais à filmer je puisse tout filmer, qu’ils ne choisissent pas leur consultation ni leur jour. Eux évidemment, pouvaient arrêter le projet quand ils voulaient et demander à voir les images. On leur avait donné des cessions de droit ou des autorisations de tournage qu’ils ramenaient chez eux et dont ils discutaient avec leur famille, puisque ça impliquait aussi parfois indirectement leurs proches. Ils pouvaient revenir six mois après et dire : « non en fait, c’était une mauvaise idée, je ne veux plus le faire ». Dans ce cas, on effaçait tout, et évidemment ces patients-là ne font plus partie du projet final", confie Swen de Paw. Georges Federmann explique avoir, avec un tel procédé, « trahi » l’éthique mais au nom de la liberté.
Georges Federmann explique que les patients ont été indifférents au procédé du film puisqu'ils regardaient très peu la caméra au moment des séances. La plupart du temps, ils étaient immergés dans leur souffrance et en oubliaient ainsi le dispositif mis en place. Le psychiatre développe : "Quand ils viennent dans le cabinet, il y a une totale confiance dans le médecin, d’où la responsabilité immense qui est la nôtre et que moi je décline politiquement. Je ne peux pas laisser un mauritanien arriver chez moi et parce qu’il aurait des problèmes de papiers, des problèmes de logement, des problèmes de nourriture, le renvoyer à Caritas, à l’assistance sociale ou à l’avocat. Le fait qu’ils se soient engagés les uns et les autres dans ce projet, n’a rien changé à leur souffrance."
Le Divan du monde est à ne pas confondre avec Le Divan du Monde (2009) qui est un film de fiction canadien réalisé par Dominic Desjardins, mêlant drame et romance.
80% de ses patients de Georges Federmann ont le tiers payant donc ils n'avancent pas l'argent. Le psychiatre travaille également sans rendez-vous (c'est d'ailleurs le seul cabinet de France qui fonctionne comme cela) en s'adaptant complètement aux patients. Il explique pourquoi :
"La caractéristique de ces gens c’est qu’ils ne dorment pas. Donc ils ne peuvent pas venir à mon cabinet à mon heure et surtout pas le matin. Ce que beaucoup de mes collègues psychiatres n’ont pas compris. Beaucoup de mes collègues psychiatres en libéral, quand vous manquez deux ou trois rendez-vous, ils ne vous gardent pas. Ils vous demandent d’aller voir ailleurs. Moi-même je ne sais pas si j’ai compris particulièrement les choses, si je suis autre chose que sourd et aveugle. En tout cas, c’est à moi de m’adapter à cette clinique. Et cette clinique elle est tellement évidente. Les sans-papiers qu’on a sous la main, qui survivent à la Méditerranée, qui survivent à la guerre du Caucase ? Ces sans-papiers ils ne dorment pas. Quand vous écoutez ces gens, vous retrouvez les mêmes récits que les rescapés de la Shoah, les mêmes récits que Primo Levi, même récit, même clinique. La moindre des choses, la moindre des hospitalités, c’est d’être à leur heure. Et pas, en plus, de leur imposer une heure qui n’a aucun sens pour eux. Je travaille donc sans rendez-vous, et comme vous l’avez remarqué, ce sont les patients qui prescrivent l’ordonnance. Ce sont mes patients qui déterminent les doses de psychotropes qui vont les soulager. Et ça, ce sont les toxicomanes qui m’ont appris les deux bases du métier, il y a trente ans."