Ce savant de l’ambiguïté, d’une coexistence entre les soupçons et la vérité, régale par ses nuances et ces propos, toujours aussi audacieux et vicieux. Paul Verhoeven adapte le roman de Judith C. Brown, où le cas d’une religieuse italienne pendant la peste du XVIIe siècle préoccupe une assemblée de brebis, avides de miracles. Mais le réalisateur néerlandais le sait que trop bien. Il est là pour distordre ce concept trop parfait et surtout sans recul. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il écrase les mythes, car il préfère les accompagner dans les ténèbres, les mêmes qui piétinent les corps sociaux. C’est une question de pouvoir et de manipulation, thématique récurrente de ce fervent admirateur des femmes, dans un milieu majoritairement masculin et violent. Il ne démord pas à ses règles et nous emmène donc au couvent de Pescia pour des confessions, qu’il a contentieusement préparé, la bible à la main et sa « Black Book » dans l’autre.
C’est un grand livre ouvert qui explose à l’écran, sans un filtre pour dresser des barrières. Jésus lui-même est au centre des débats. Toutes et tous gravitent autour de sa protection, mais il sera encore plus intéressant d’empoigner le point de vue de sa promise autoproclamée, Benedetta Carlini. Le regard impénétrable et la conviction irréprochable cachent bien des souffrances, qui ne résident pas plus que cela dans sa foi, mais dans la notion d’amour, qu’elle apprend peu à peu, avant de la convoiter. Virginie Efira succède alors à « Elle », dans une classe que l’on ne peut que confirmer et apprécier. Le réalisateur rend ainsi « la Chair et le Sang » aux humains que nous sommes, des humains au « Basic Instinct » et dont la rêverie ne fait que renforcer un potentiel destructeur. Cette Sœur est autant un intermédiaire divinatoire pour l’intrigue, qu’un pivot nécessaire afin de capter toute l’hypocrisie qu’il cherche à illustrer.
Des personnages aussi confus que Felicita (Charlotte Rampling) et le Nonce (Lambert Wilson) témoignent de cet affect, dont Bartolomea (Daphné Patakia) constitue la pièce maîtresse. « Showgirls » trouve une résonnance, dans les chants religieux et une débauche que les hautes institutions prêcheuses n’assument pas. L’Église est ici en ligne de mire, mais ce ne serait que réduite le champ des possibilités, trop nombreuses pour être citées, mais suffisant pour invoquer le blasphème au milieu d’un bûcher chrétien. Il en rit, mais avec un ludisme sacré, qu’il ne confond jamais avec la nature de son propos, ni même avec les surprenantes sculptures qu’il nous jette à la figure. Avec Bartolomea, sorte de guide spirituel, nous avons droit à une structure narrative qui n’hésite pas à plonger dans la provocation pure et dure, quitte à y injecter un peu de grotesque à coup d’épée magique et de séquences sulfureuses, à ne pas confondre avec érotisme.
L’octogénaire en a encore à revendre et c’est toujours agréable de se laisser distraire, de se laisser manipuler, le temps d’un show, qui appelle à la raison. « Benedetta » est consciente de ce qu’elle représente, mais à mi-chemin entre l’obsession et le purgatoire elle continue d’avancer. De même, Verhoeven entretient son chaos jubilatoire dans l’idée que les personnages assimilent le divin chacun à sa manière, chacun à son rythme de flagellation. Cependant, il ne s’agit pas de saborder une fresque historique, avec cet exemple, il s’agit de poncer sa portée féministe, qu’on le veuille ou non, à une époque où l’opportunisme constitue l’arme idéale pour gouverner. Les femmes, qui ne possèdent que le devoir d’accoucher, trouvent en elles une forme d’émancipation qui s’inscrit dans la continuité de la condition humaine, en perpétuelle mutation. C’est dit, écrit et montré avec des pincettes que le cinéaste aura bien fait de laisser derrière lui.