Carmen : les secrets du tournage

À Paris, le producteur Dimitri Rassam savait depuis longtemps que Benjamin Millepied souhaitait réaliser son premier long métrage. Les deux hommes ont alors longuement discuté de la passion du chorégraphe pour Carmen : "L’un des aspects qui fait de Carmen une histoire intemporelle est son personnage central, cette femme exceptionnelle éprise de liberté. La vision de Benjamin était de replacer l’histoire à l’époque actuelle, tout en restant fidèle à l’esprit de l’opéra, sans jamais en être un produit dérivé."

"Mon rôle était d’accompagner Benjamin et Nicholas dans cette aventure. En plongeant dans les origines, les racines de Carmen, mais aussi en épousant la vision de Benjamin et celle de Nicholas, nous avons créé quelque chose de vraiment unique. Un film qui possède sa propre grammaire", se rappelle Dimitri Rassam.

A l'origine, l'opéra Carmen se situe en Espagne, mais Benjamin Millepied a tenu à en faire une histoire américaine. Le metteur en scène explique pour quelle raison : "J’ai vécu aux États-Unis presque toute ma vie, depuis mes 16 ans. Pour moi, l’histoire devait se dérouler dans un décor qui m’était proche, avec lequel j’avais un rapport presque viscéral."

"Je suis français, mais je suis aussi un immigré avec un passeport américain, et ce pays m’a offert des chances extraordinaires. Je me sens très concerné par beaucoup de problèmes américains actuels. Situer l’histoire aux Etats-Unis traduit mon amour pour les paysages de ce pays, mais aussi pour son atmosphère et son passé cinématographique."

Dimitri Rassam a proposé à Rosemary Blight, productrice chez Goalpost Pictures, de s’associer au projet, afin de pouvoir tourner le film en Australie. L’outback australien s’apparente en effet étonnamment au désert mexicain et aux abords de la frontière mexicano-américaine. L’essentiel de Carmen a été tourné près de Broken Hill et le décor de Los Angeles, y compris le night-club La Sombra de Masilda, a été recréé dans la banlieue de Sydney.

Toutes les chansons et les danses de Carmen ont été écrites avant le tournage, mais au moment du montage, la bande-son était encore à créer. Nicholas Brittel avait déjà passé des années à échanger des idées musicales avec le réalisateur Benjamin Millepied (et à composer certaines partitions pour lui), mais en découvrant les premières versions du film, le compositeur a pu commencer à imaginer comment la musique s’intégrerait à la structure de l'ensemble. Il se souvient :

"Le résultat final inclut un orchestre, beaucoup d’expérimentation sonore et de synthétiseur, ainsi qu’un chœur d’hommes et de femmes. Le chœur est la dernière idée que Benjamin et moi avons eue. Tout au long du film, ces voix sont intégrées à la bande-son instrumentale. Les textes, chantés en français, sont extraits de l’opéra original créé en 1875 par Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Cela crée comme un contrepoint musical quasi mystique entre l’opéra et le Carmen de Benjamin."

Le processus a duré six ans.

Pour incarner Carmen, Benjamin Millepied cherchait une actrice mexicaine qui sache chanter et danser, mais aussi quelqu’un avec "de la force, du courage, du mystère et de l’intrépidité, sans verser dans le cliché". Melissa Barrera (Scream 5 et 6) n’avait jamais pris de cours de danse, mais elle avait fait une apparition dans le reality show Tu crois que tu sais danser au Mexique et le metteur en scène a tout de suite été frappé par son approche instinctive de la danse :

"En réalité, c’est une magnifique danseuse et elle chante vraiment très, très bien. Et elle a une présence folle. Mais elle est aussi capable d’apporter une profonde émotion dans les moments importants du film. Melissa est la Carmen parfaite", explique Benjamin Millepied.

Le directeur de la photographie Jörg Widmer a filmé presque toutes les scènes à 360 degrés, notamment le plan-séquence de sept minutes avec Rossy De Palma. Il se rappelle : "Rossy a une idée par minute. Son énergie sur le tournage était phénoménale. Comme lorsqu’on ouvre une porte et que le vent s’y engouffre."

Widmer a filmé sans contraintes, en tournant autour des danseurs : "On les voit sous tous les angles, ce qui était un challenge en matière d’éclairage car les acteurs (les danseurs dans ce cas) doivent être toujours à leur avantage. D’un autre côté, il fallait aussi éviter les ombres en tournant autour d’eux avec la caméra."

En 2021, Melissa Barrera et Paul Mescal sont arrivés en Australie pour plusieurs semaines de répétitions intensives. Les deux acteurs sont des chanteurs expérimentés, mais ils n’ont jamais dansé professionnellement. Benjamin Millepied a choisi la Sydney Dance Company, une compagnie australienne de danse contemporaine à la réputation internationale, pour préparer ses comédiens :

"La préparation et le tournage ont été très durs. Paul et Melissa devaient danser, chanter, jouer d’un instrument et interpréter leur rôle en même temps. Le réalisateur étant un grand chorégraphe, ce n’est pas comme s’ils n’avaient que quelques pas de danse à maîtriser. Ils ont dû se mettre au niveau des danseurs de la Sydney Dance Company, qui sont acclamés dans le monde entier."

"Ils ont eu trois à quatre heures de répétition par jour, pendant des semaines ! C’était comme de l’athlétisme de haut niveau. Et ils ont réussi !"

Paul Mescal a dû apprendre à boxer pour une scène clé du film. Il s’est entraîné tous les jours aux côtés d’un professionnel. Les scènes de boxe ont été filmées au cours de deux nuits épuisantes. Le partenaire d’entraînement et adversaire à l’écran de Mescal était un champion australien. Ils étaient entourés de "Krumpers", des danseurs recrutés dans les rues de Sydney, qui ont été formés spécialement pour le film par le chorégraphe Holly Doyle.

L'acteur qui joue le personnage de l’arbitre dans la scène du combat de boxe n’est nul autre que le célèbre rappeur et compositeur Tracy The D.O.C Curry, une légende vivante qui a longtemps collaboré avec le Dr Dre.