Qu’Hatari ! s’affirme tel un chef-d’œuvre du cinéma d’aventure tient à de multiples raisons, dont la première serait certainement l’hybridation de ses thèmes et de ses tons. Tout ici se répète, jour après jour, et pourtant tout ici évolue, passe d’une espèce animale à l’autre de la même façon que duo et triangle amoureux se forment et se déforment, que les personnages se cognent ou se taquinent. Howard Hawks n’a pas son pareil pour filmer l’humain, saisi dans ce qu’il peut avoir de plus complexe et paradoxal, saisi dans son sens de la camaraderie et dans sa solitude fondamentale ; l’enjeu de son long métrage n’est guère l’ensauvagement des êtres au contact de la savane mais, au contraire, la domestication progressive de protagonistes aussi farouches que les animaux traqués puis capturés. Nous retrouvons d’ailleurs ce léopard de compagnie qui incarnait cette même domestication dans Bringing up Baby. La grande intelligence du long métrage est de superposer et d’entrechoquer deux temporalités : celle, saisonnière, de la capture des bêtes sauvages pour les grands zoos d’Europe et d’Amérique, étalée sur quelques semaines ; celle, sentimentale, de cœurs qui se domptent et apprivoisent ainsi un passé pour mieux construire ensemble un futur. Dit autrement, la savane africaine sert aux personnages d’espace dans lequel le mental et le sentimental s’extériorisent, ce qui permet également au cinéaste d’interroger la colonisation non comme une conquête de domination mais, au contraire, comme une quête de guérison voire parfois de rédemption pour une poignée de grands fauves égarés. James Baldwin le formule magnifiquement dans une lettre à son neveu, en l’appliquant au racisme américain : ces êtres « restent, en fait, pris au piège dans une histoire qu’ils ne comprennent pas » et qui ne prend fin que par une confrontation avec leurs propres limites. Aussi la capture des rhinocéros est-elle d’emblée placée sous le signe de la malédiction : l’Indien est blessé, mauvais présage ; et le titre même fait peser sur la destinée des protagonistes l’idée de danger. Hawks utilise la capture des animaux comme métaphore de la domestication croissante des êtres en général, du masculin en particulier, la répétition des séquences embarquées et des procédés cinématographiques aptes à les réaliser fonctionnant à la manière de rituels non de virilité mais de lâcher-prise. L’Afrique coloniale est le cadre d’un rétablissement de différentes cultures contraintes de cohabiter et de s’entendre – en anglais, de préférence –, réunis par leur état de captivité qui se fracture à mesure que l’humour s’installe, que la partition signée Henry Mancini gagne en légèreté (« Baby Elephant Walk »), que les éléphanteaux s’ajoutent et se suivent comme autant d’enfants symboliques offerts au couple principal. Hatari ! est une réussite flamboyante parce qu’il conjugue l’intelligence d’un propos tenu sur l’homme avec un sens de l’épique remarquable, les longues séquences de traques s’inscrivant parmi les plus belles réussites du cinéma d’action : entendre le choc des véhicules projetés dans les airs ou heurtés par la corne d’un rhinocéros, sentir la caméra vibrer en harmonie avec les jeeps, voir le lasso vaincre le hasard pour cerner le cou d’un animal, assister à la lutte physique de corps en tension, tout cela dégage une authenticité et une beauté du geste pur que nous ne nous lasserons jamais de revoir.