Les Passagers de la nuit : les secrets du tournage

Après Amanda, très ancré dans l’époque contemporaine, Mikhaël Hers a choisi de situer Les Passagers de la nuit dans les années 1980, une décennie qu'il affectionne particulièrement. Le metteur en scène explique : "Dans les années 80, j’étais enfant, et heureux de l’être, mais j’ai toujours eu le fantasme d’être ado ou jeune adulte dans ces années-là, de cette atmosphère dont les œuvres artistiques étaient les dépositaires, notamment en matière musicale."

"J’aurai toujours le regret de ne pas avoir vraiment connu cette scène-là en direct, de l’avoir découverte au moment où elle était en train de disparaître. Faire ce film me permettait de reparcourir ces années à l’âge que j’aurais aimé avoir à l’époque."

Mikhaël Hers ne voulait pas avoir recours à une reconstitution "muséale" : "Nous avons travaillé plus sensoriellement. Alors bien sûr la reconstitution passe classiquement par ses décors et ses aménagements, ses costumes, sa musique, etc... Certaines séquences ont d’ailleurs nécessité de gros moyens comme le soir de l’élection, le studio pour reconstituer l’appartement familial, etc."

"D’autres sont naturellement inscrites dans ses années 80 comme la radio de nuit... Et puis il y a les images d’archives qui s’entremêlent aux images du film. Elles amènent un poids de réel qui forcément déteint sur le reste des images du film, et offrent une autre invitation au voyage."

De la même manière qu'il a choisi Vincent Lacoste pour Amanda, c’est avant tout ce qu’elle dégage dans la vie qui a poussé Mikhaël Hers à choisir Charlotte Gainsbourg pour le rôle d'Elisabeth : "Je pense que par plein d’aspects, Elisabeth est à cent mille lieues de sa vie et de ce qu’elle est, mais elle a trouvé en elle des points de résonance – le rapport concret à la famille et aux enfants, une forme de timidité... Elle a su trouver la note du personnage, et cela dès le premier jour de tournage, où l’on devait filmer une scène à la bibliothèque, dans laquelle on voit Elisabeth démagnétiser des livres, enregistrer les emprunts..."

Les images d’archives proviennent essentiellement de scènes anonymes, hormis celle de Jacques Rivette dans le métro, issue du documentaire Jacques Rivette, le veilleur de Claire Denis (c’est la monteuse Marion Monnier qui a eu l’idée de cet extrait). Mikhaël Hers ajoute :

"Nous avons aussi un peu filmé en 16mm, avec cette caméra Bolex que j’avais aussi utilisée dans Ce sentiment de l’été. Quand on filme avec une Bolex, c’est fou comme on peut faire croire au passé dans l’arrière-plan, faire croire qu’une voiture d’aujourd’hui date des années 80. Parce que le grain déforme beaucoup mais aussi parce que dans notre imaginaire, ce format d’images est associé à cette époque passée."

Mikhaël Hers a fait appel au compositeur Anton Sanko, avec lequel il avait déjà travaillé sur Amanda, mais en lui demandant une tonalité très différente, plus électronique et synthétique (en écho aux musiques des années 80). Le réalisateur précise :

"Avec également le désir de thèmes et de mélodies, et d’y adjoindre des instruments plus classiques afin de renvoyer aussi à quelque chose de plus intemporel. De la même manière que pour l’image, on a essayé de trouver une tessiture vocale propre au film. Quant au choix des chansons préexistantes, il s’est vraiment fait par goût personnel. Comme je le disais, mon rapport à ces années-là passe beaucoup par la musique."

Le film s’ouvre sur un événement politique marquant, le 10 mai 1981 et l’élection de François Mitterrand : "Une image originelle pour toute une génération, mais on ne saura rien de la manière dont Elisabeth a vécu cet événement. Je crois que cette absence de revendication politique vient de mon enfance. J’avais six ans au moment de cette fameuse nuit et je sentais qu’il se passait quelque chose d’important, que mes parents étaient heureux car ils avaient une sensibilité de gauche, mais tout cela restait diffus", se rappelle Mikhaël Hers.

Après les XI et XIIème arrondissements de Paris dans Amanda, Mikhaël Hers a choisi de situer l'intrigue des Passagers de la nuit dans les tours du XVème arrondissement. "Je voulais continuer l’exploration de Paris, avec ce quartier de Beaugrenelle sorti de terre dans les années 70, qui me fascine depuis toujours, avec ses grandes tours et ses esplanades, la Seine en contrebas, des rues plus résidentielles, la Maison de la Radio en face..."

"Je trouve ce territoire très cinématographique et touchant car il est la conjonction d’espaces de nature très différente. L’idée était de circonscrire le film à cet endroit", confie le cinéaste.