Hors-saison est le dixième long métrage de Stéphane Brizé. Le sentiment dominant au moment où il a pensé à faire ce film est le même qui appartient à tous ses personnages principaux depuis La Loi du marché jusqu'à Un autre monde : la désillusion. Il explique : "Tous ces personnages ont cru en quelque chose, ils avaient toutes et tous une certaine idée du monde et de l’Homme. Et puis, leur regard a été changé après la trahison et l’abandon. Que cela vienne de l’entreprise ou de la famille. Cela représente finalement pas mal d’années à faire intimement le même parcours que mes personnages et donc à prendre symboliquement les mêmes coups qu’eux."
"J’ai de toute évidence écrit et réalisé ces films pour acquérir plus de clairvoyance. Mais il n’y a pas d’avantages sans inconvénients et la clairvoyance fragilise. J’ai alors eu besoin de questionner ce moment où j’étais épuisé par la colère sur laquelle s’étaient construits ces films."
L’hôtel et la station balnéaire ont été pensés comme des personnages à part entière. Stéphane Brizé confie : "Dans ce film, les décors ne sont plus seulement envisagés comme des espaces intérieurs ou extérieurs qui accueillent les scènes, mais aussi comme l’expression de la psyché des personnages. Je n’avais jamais vraiment su le faire avant. L’hôtel immense au luxe aseptisé envisagé aussi comme la métaphore de la perfection d’un monde (celui du personnage joué par Guillaume) dans lequel il n’est plus heureux."
"Et la cité balnéaire endormie envisagée comme une parenthèse dans un cycle. Il s’est passé des choses dans les rues, il s’en passera d’autres bientôt, mais en cette période d’entre deux, c’est le vide. Un lieu sans tumulte qui laisse la place à l’introspection. Qui l’impose même aussi, sans doute."
Guillaume Canet joue un acteur. Toutefois, Stéphane Brizé n'a pas voulu faire de son métier et sa notoriété les sujets du film. Le personnage porte des questions, des doutes et des inquiétudes que tout un chacun peut avoir : "Par contre, la certitude que les autres ont de son bonheur au regard de sa réussite – et que lui-même est aussi un peu obligé de vendre - apporte une forme d’ironie sur son malaise. En écho à ce que disait Louis Jouvet : 'Rien de plus futile, de plus vain, rien de plus nécessaire que le théâtre', j’avais besoin que les questionnements soient portés par une figure que je considère comme sublime, nécessaire et inutile."
"Car il y a du dérisoire et de l’héroïque dans cette fonction d’acteur. Comme une exacerbation du dérisoire et de l’héroïque de notre existence. Le sublime et le vain intimement mêlés. Sublime parce que l’acteur est celui dans lequel se projette l’inconscient collectif par les rôles qu’il interprète. Et complètement vain parce que si un film ne se fait pas, d’abord personne ne le sait et ensuite tout le monde s’en fout. Alors qu’un éboueur qui cesse de ramasser les poubelles, on ne s’en fout pas, c’est tout de suite le chaos dans la ville."
"L’acteur est comme le chanteur, comme le réalisateur, comme l’écrivain et le peintre… il ne sert à rien de concret et d’immédiatement utile. Et pourtant, bien évidemment, il est magnifique et indispensable parce qu’il sert à raconter le monde et ses habitants."
Stéphane Brizé envisage la fiction comme un documentaire sur les comédiens avec qui il travaille. Le réalisateur explique quant au choix Guillaume Canet pour le personnage de Mathieu : "Ce qui résonne en moi chez Guillaume Canet, c’est son infinie mélancolie. Je l’ai toujours ressenti comme un homme profondément triste avec beaucoup de talent pour le dissimuler. Cela me touche énormément. Guillaume est un être bien plus complexe que ce qu’il semble peut-être être. Il avait en plus l’âge du rôle, le temps qui passe lui va bien et il a une capacité énorme de dérision sur lui-même. C’était essentiel pour accepter de se balader un bon tiers du film en peignoir entre des bains à remous et des enveloppements d’algues."
"J’ai eu affaire à un acteur d’exception, très simple – c’est important pour moi – très sérieux, très investi et très profond. Il est de ceux qui n’ont pas peur de se laisser emmener dans leur zone d’inconfort et d’insécurité. Avec en face de lui une actrice, elle aussi d’exception."
Guillaume Canet incarne un acteur dans Hors-saison. Il avait déjà joué un comédien dans son cinquième long métrage, Rock'n Roll en 2017, puisqu'il campait son propre rôle.
Pour la mise en scène de Hors-saison, Stéphane Brizé a ressenti la nécessité de descendre la caméra de l’épaule du chef-opérateur Antoine Héberlé (à la différence des quatre films précédents) pour la poser sur un pied. L'objectif : traduire ce sentiment d’immobilité ressenti par les personnages. Le cinéaste raconte : "Il s’agissait d’un côté, pour le personnage de Guillaume, de traduire l’idée d’un écrasement, de le mettre au centre de géographies intérieures et extérieures trop grandes pour lui."
"L’idée aussi par ces plans d’un décalage sur sa peine et ses doutes pour les rendre à la fois tragiques et dérisoires. Comme les personnages de Sempé semblent perdus dans un monde trop grand pour eux."
C’est Coralie Amédéo, la directrice de casting du film, qui a suggéré Alba Rohrwacher à Stéphane Brizé, avec la crainte que son accent puisse être un frein pour le metteur en scène. Ce dernier se souvient : "C’était d’entrée de jeu une non-question pour moi. On s’est rencontrés et j’avais la lumière et le mystère en face de moi. En fait, c’est sans doute ce qui m’intéresse le plus chez un comédien : ne pas tout savoir, ne pas tout deviner, être en perpétuel questionnement lorsque je le regarde et que je le filme."
"Alba a cette capacité inouïe à révéler en creux la force de son personnage. Il y avait aussi sa complémentarité avec Guillaume. Je crois absolument que cette femme et cet homme ont pu s’aimer. Je comprends aussi – par ce qu’ils sont, par ce qui émane d’eux, par ce qu’ils me racontent silencieusement – que leur histoire d’amour n’a pas pu exister il y a 15 ans. Mais je crois dans le même temps que ce nouveau moment de rencontre peut profondément les déstabiliser. Tout cela existe parce que c’est Alba et Guillaume."
Avec Hors-saison, Guillaume Canet collabore pour la première fois avec Stéphane Brizé, qui avait pour habitude de tourner avec Vincent Lindon, comme en témoignent leur collaboration sur les drames Mademoiselle Chambon, Quelques heures de printemps, La Loi du marché, En guerre et Un autre monde. Lorsqu'il a été sollicité par Brizé, Canet, qui par ailleurs entretient de bons rapports avec Lindon, a téléphoné à ce dernier pour éviter tout malentendu. Dans une interview qu'il a donné à France Inter, il a confié :
"J'aime beaucoup Vincent et je l'ai appelé, pas pour m'excuser, mais pour lui dire que j'étais un petit peu... Mais je pense qu'il n'y avait aucun souci, ils ont évidemment parlé entre eux avant. Ce n'était pas une tromperie. Je peux comprendre d'ailleurs l'envie de Stéphane de se renouveler, mais ça ne veut pas dire qu'ils ne vont plus faire de films ensemble."