Il y a en Pollack un sceptique qui réfrène sans cesse les élans ou les engouements du romantique. Ce moraliste ne saurait adhérer qu’à une morale de l’ambiguïté, dût-il parfois se résoudre à suspendre tout jugement : « Toujours les gens agissent dans le bon sens pour de mauvaises raisons et dans le mauvais sens pour de bonnes raisons ». De toute évidence, il préfère les individus aux idées, les sentiments aux idéologies, les nuances du gris au contraste du noir et blanc. On reconnaît là une des vertus de cet humanisme indéfectible qui produisit les œuvres les plus généreuses des années cinquante. Comme Hubbelle, dans le film, il n’est sans doute pas loin de penser que la politique est « une jeu sordide et dangereux », qu’elle est, au même titre que la guerre ou l’espionnage, l’affaire des professionnels. Surtout, elle implique qu’on fasse taire en soi le démon du doute – ce à quoi ne saurait justement se résigner l’humaniste. Aussi, lorsqu’il s’en prend à la CIA, porte-t-il spontanément l’accent sur son aspect occulte, tentaculaire, irrationnel. S’il nous montre comment ces bureaucraties totalitaires broient les individus, il ne se sent pas à même d’en démonter les rouages. On ne leur résiste pas, on peut tout au plus s’en détourner avec dégoût. L’ambivalence au cœur de l’œuvre de Pollack pourrait être la suivante : l’action ne peut être la sœur du rêve, mais le rêve ne peut tenir lieu de praxis. Tôt ou tard, les déserteurs se voient sommés de prendre position : Jeremiah Johnson choisit, en se pliant à une éthique chrétienne qu’il avait reniée, de guider les soldats et missionnaires à travers le cimetière sacré des Crow ; le Hubbell de « Nos plus belles années » renonce à ses ambitions en rompant avec Katie et en se laissant reprendre par la médiocrité dorée de son milieu : il n’est pas de tour d’argent pour s’isoler du monde, il vient toujours un moment où il faudra rendre des comptes à ses contemporains : c’est sur ce constat que s’achèvent la plupart des films de Pollack. Comme si, aujourd’hui, le registre du récit romanesque ne pouvait qu’être celui du désenchantement. A la fin des « 3 jours du Condor », lorsque Turner s’en remet à la presse, dernière institution restée fidèle (pour plus très longtemps) à l’idéal démocratique, pour publier son rapport, il se bat avec la seule arme qui lui reste. Chacun témoigne à sa façon, semble nous dire Pollack, et en l’occurrence le cinéma a tenu son rôle puisque ce rapport, cette histoire, ont effectivement été divulgués après le film lui-même…
Dans le film, il s’agit de confronter un « ingénu » aux machinations ténébreuses du pouvoir. De lui faire vivre au sens le plus littéral, la crise de confiance traversée par la nation. Innocent ou inconscient ? L’enjeu des « 3 jours du Condor » n’est, en effet, ni le pétrole du Moyen-Orient, ni même le sort des institutions américaines, mais l’aptitude du rêveur à faire face à une telle épreuve : on y voit un garçon candide, engagé malgré lui dans un conflit qui le dépasse, être peu à peu envahi par la peur et la méfiance. Mais grâce à cette candeur et à cet amateurisme, Turner va déjouer les plans des professionnels et sauver sa peau (pour un temps) : A notre époque, on programme la politique des nations, mais on ne programme pas encore les émotions et les sentiments. Les romantiques auraient-ils, malgré tout, un avenir ?