Private : les secrets du tournage

Présenté au Festival de Locarno en 2004, Private y a décroché la récompense suprême, le Léopard d'or, ainsi qu'une mention spéciale du jury du prix oecumenique. Le comédien Mohammad Bakri a obtenu quant à lui le Léopard de Bronze du Meilleur acteur. Bakri est un comédien très connu en Israël, notamment au théâtre, où il interprète souvent des rôles de combattant palestinien. Egalement très populaire auprès des Palestiniens, il est l'auteur en 2002 d'un documentaire très controversé, Jénine, Jénine.

Private est inspiré de faits réels. Alors qu'il est en voyage en Israël en novembre 2003, une amie journaliste apprend à Saverio Costanzo l'existence d'une famille palestinienne dont la maison, située à cinq mètres d'une base de l'armée israélienne, est occupée par les soldats. Ceux-ci ont investi le toit de la demeure en 1992, mais n'ont jamais demandé à Mohammad, le chef de famille, de partir : l'homme n'est pas un terroriste, et en outre, il a acquis, au fil des années, une certaine popularité, cette situation (qui n'est pas isolée) ayant été abondamment évoquée dans les médias.

Venu rendre visite à cette famille (composée de Mohammad, instituteur, son épouse Samia, et leurs quatre enfants, âgés de 6 à 18 ans), le cinéaste envisage de rester un mois dans la maison, pour y réaliser des interviews et tourner un documentaire. Mohammad le lui déconseille, en raison du danger que cela représenterait pour les uns et les autres, et de l'hostilité des soldats. L'instituteur lui suggère alors de réaliser un film de fiction à partir de son histoire. Costanzo décide de s'installer pendant deux mois dans un hôtel à Gaza, et recueille les témoignages des différents membres de la famille. De retour en Italie, il écrit un scénario à partir de ce matériau.

Le cinéaste se souvient de ses premières impressions lors de sa première visite chez Mohammad : "A peine arrivé près de la maison, isolée au milieu d'un no man's land, entourée d'un fossé, je suis immédiatement choqué à la vue des grillages qui reocuvrent toute la façade, du long mur érigé à l'arrière et du toit d'où pointent un casque et un fusil (...) Durant le repas, pris dans une atmosphère d'absolue normalité, je découvre à quel point leur sérénité et leur sourire semblent totalement absurdes et en contraste avec l'"anormalité" de leur vie quotidienne : l'étage supérieur de la maison est habité par des soldats israéliens. Chaque bruit, une fenêtre battue par le vent, le moteur d'une voiture, me semble alors le présage d'un "quelque chose" prêt à arriver d'un moment à l'autre. La tension que j'avais éprouvée dans les rues de Jérusalem, cette diffuse et invisible sensation d'attente, s'amplifie et se concentre soudain entre ces quatre murs."

Private est le premier long métrage de fiction de Saverio Costanzo, cinéaste né à Rome en 1975. Diplômé en communication de l'université La Sapienza, il tourne bientôt des courts-métrages et travaille pour la télévision. Parti à New York, il écrit et réalise en 1999 Caffe Mille Luci, Brooklyn, New York, docu-soap en 60 épisodes consacré à la communauté italienne en Amérique. De retour en Italie, il tourne en 2001 un docu-fiction en six épisodes, Sala rossa sur le service des urgences.

Le réalisateur, qui a fait appel à des comédiens israéliens et palestiniens, évoque les rapports, parfois difficiles, entre les uns et les autres durant le tournage : "Au début, il y avait les Palestiniens d'un côté et les Israéliens de l'autre. Au milieu du tournage, ils sont allés les uns vers les autres et ont discuté ensemble. Mais à la fin, ils se sont séparés de nouveau. Certaines scènes ont été difficiles à tourner, par exemple au moment de la scène de la première attaque, il y a eu des échanges violents. Les Arabes disaient : "les soldats israéliens font ce qu'ils veulent, ils rentrent et frappent. Vous aussi, vous devez faire pareil." Les Israéliens répondaient : "Nous ne sommes pas des tortionnaires"" Signalons qu'avant d'être acteur, l'Israélien Lior Miller, qui joue le rôle du Commandant Ofer, a été trois ans commandant dans l'Unité des Forces Spéciales de l'armée. Quant aux enfants du film, ce sont de jeunes Palestiniens de Naples, dont ce fut la première expérience au cinéma.