C’est en tressant deux fils narratifs qui n’ont a priori rien à voir l’un avec l’autre – procédé de narration cher au cinéaste – que Pedro Almodóvar signe, avec Volver, une puissance et bouleversante réflexion sur le deuil, sa signification, sa portée au sein d’une petite société qui est celle du pueblo avec ses rumeurs, ses non-dits, ses épouses endeuillées qui se retrouvent dans divers espaces de sociabilité. Il y a le récit d’un vivant qui, voulant abuser de sa fille, passe de l’autre côté de la vie, finit non sans peine dans le congélateur du restaurant de quartier ; il y a le récit d’une défunte revenue d’entre les morts (du moins c’est ce que nous croyons) pour remédier à la solitude, accomplir quelque chose avant de partir définitivement. Ce faisant, le cinéaste articule la vie et la mort par une double présence fantomatique source de douleur, de nostalgie et de bonheur, traitée sur le mode du thriller ou de la comédie, changeant le mari en poids et la mère en mendiante russe mais habile coiffeuse ; il rend ainsi physique ce qui d’ordinaire reste abstrait, invisible. Volver est un film sur la croyance, celle que l’on hérite de sa mère, de sa grand-mère, de sa tante, et que l’on transmet à sa fille, une croyance sans foi précise sinon celle de la famille espagnole, ses maris et pères défectueux, ses femmes nécessairement fortes et contraintes d’assumer la survie des leurs en rassemblant en leur sein goût pour la vie et soin apporté à la mort – en témoigne l’ouverture dans le cimetière. Et un motif n’a de cesse de revenir : le baiser bruyant que l’on donne à la famille, aux amies, à celles qui nous ont quittés ; c’est comme si le baiser agissait à la manière d’un point de contact entre des individualités certes, mais aussi et surtout entre les vivants et les morts. Quoique sa clausule rétablisse un attachement au réel, la caméra se plaît çà et là à se désaxer de sorte à obtenir une image étrange, héritée du cinéma d’épouvante, cadrant les éoliennes telles des menaces planant au-dessus de la tête des femmes ou Agustina et Raimunda venue lui rendre visite à l’hôpital comme unies par un lien surnaturel – et un secret – qui leur échappe encore. Art de l’écriture des dialogues, virtuosité de la composition des plans, génie de la direction d’acteurs. Volver travaille au corps l’idée de disparition et rend présentes la nécessité de la réconciliation, l’importance de la vérité afin de conjurer les corps d’un destin (masculin) qui s’acharne et que seul l’amour véritable peut sauver.