On connaît le cinéma de Bruno Dumont : une réalisation épurée, avec beaucoup de plans fixes, une alternance de plans serrés et de plans très larges, l'usage systématique du champ-contrechamp en-dehors des dialogues ; le recours à des acteurs débutants, le refus de toute ornementation (il n'y a pas de musique) ; des personnages monolithiques, avec des dialogues limités à des phrases de trois mots, si possibles monosyllabiques ; une crudité dans la façon de filmer le sexe. Et pour la troisième fois en quatre films, le Nord comme cadre, un pays de terre glaiseuse où l'autochtone se déplace en 205 GL.
Même s'il y avait une intrigue dans "L'Humanité", puisque le point de départ était un meurtre, le récit se diluait dans la description quasi-clinique des personnages et de leur enfermement intérieur. Et avec le recul du temps, l'intrigue de "La Vie de Jésus" (pourtant la génèse d'un crime raciste) laisse la place au souvenir des virées en mobylette et des ravages du désoeuvrement. Ici, l'intrigue n'est pas qu'un prétexte, elle est la clé de voute du film. Très classique (il s'agit du traditionnel triptyque du départ et du retour de la guerre, vu dans "Voyage au bout de l'Enfer" ou dans "Jarhead"), elle permet à André, qui ressemble étrangement à la recrue Pyle ("Baleine") de "Full Metal Jacket", de reconnaître enfin ses émotions et donc ses sentiments.
Dès le titre, Bruno Dumont situe clairement l'action dans les Flandres. Par contre, la localisation du conflit est volontairement floutée : uniformes et incendies à l'horizon évoquent les guerres du Golfe, alors que les mechtas et les exactions commises sous couvert d'opérations de police rappellent la Guerre d'Algérie. Ce mélange volontaire est illustré par la scène où l'on voit la patrouille partir à cheval en même temps que passent des chars : les ravages que la peur, l'ignorance et l'effet de groupe peuvent faire chez des hommes jeunes dans un conflit sont intemporels. Dans son interview à Télérama, Bruno Dumont déclare : "Je n’ai pas envie d’épargner le spectateur". Etrangement, malgré, ou peut-être à cause de la violence des scènes de guerre, et par contrase, l'humanisation d'André à son retour fait de ce film le plus "regardable" des trois opus tournés dans son Nord natal.
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