L'Arche de M. Servadac : les secrets du tournage

L'Arche de M. Servadac reprend cette tradition du film fantastique flirtant avec le grotesque dans lequel les personnages se retrouvent à affronter des créatures surnaturelles et anachroniques de la situation d'énonciation du film. En conjuguant les thèmes opposés de la préhistoire et de l'espace, Karel Zeman reprend ici la trame du Valley of the Dragons d'Edward Bernds dans lequel il était déjà question d'une comète, à la fin du XIXème siècle, heurtant l'Algérie et emportant des humains dans un espace fantastique peuplé de créatures préhistoriques.

Pour la quatrième fois de sa carrière, Karel Zeman adapte un roman de Jules Verne, comme ce fut déjà le cas pour Voyage dans la préhistoire en 1955, Les Aventures fantastiques en 1958 et Le Dirigeable volé en 1968. Ici, le roman adapté, "Hector Servadac" est assez peu connu et ne devait pas constituer la dernière adaptation d'un roman de l'écrivain français qu'il réaliserait. En effet, il projetait de travailler à un autre projet puisqu'à l'origine il ambitionnait de réaliser une pentalogie vernienne qui se serait appelée Le Monde mystérieux de Jules Verne. Mais les changements internes du cinéma tchèque à cette époque, liés aux bouleversements du Printemps de Prague ont mis un coup d'arrêt à son projet de finir sa saga sur l'écrivain dont il fut le cinéaste qui l'adapta le plus.

L'Arche de monsieur Servadac développe la métaphore, déjà à l'oeuvre dans certains des films précédents du réalisateur comme Le Trésor de l'île aux oiseaux ou Le Dirigeable volé, d'une île comme lieu utopique. Ici, c'est la comète qui va faire figure d'île. Ce goût de l'exotisme est expliqué par Karel Zeman lui-même qui déclare : "Pourquoi je tourne des films ? Parce que je suis à la recherche d'un no man's land, d'une planète où nul réalisateur n'a encore planté son drapeau de découvreur, un monde qui n'exisite que dans les contes de fées."

Influencé par Jules Verne et plus généralement par la culture française, Karel Zeman s'est souvent inspiré de dessinateurs français du XIXème siècle comme Pierre-Jules Hetzel ou Gustave Doré pour les références plastiques dans ses films. Dans L'Arche de monsieur Servadac, le cinéaste change quelque peu d'époque puisque le film se place davantage sous un angle Belle Epoque notamment par rapport au traitement de la couleur tirant vers le sépia perceptible dès le début du film.

L'Arche de Monsieur Servadac peut se voir comme un film où les rapports avec l'époque à laquelle il fut réalisé sont assez clairs à identifier. Il y a tout d'abord la fable antimilitariste sur le colonialisme en Afrique du Nord qui n'est pas sans rappeler le passé assez proche des pays du Maghreb qui étaient encore dépendants de la France quelques années plus tôt. D'autre part, le film se donne également à voir comme un point de bascule dans le cinéma tchèque au lendemain du Printemps de Prague, où succèderont à l'âge d'or du film d'animation durant depuis plus de 20 ans, d'autres films évoquant des problématiques davantage politiques.