Mon compte
    Kiyoshi Kurosawa nous emmène en voyage Vers l'autre rive : Entretien avec le cinéaste japonais
    Vincent Formica
    Vincent Formica
    -Journaliste cinéma
    Bercé dès son plus jeune âge par le cinéma du Nouvel Hollywood, Vincent découvre très tôt les œuvres de Martin Scorsese, Coppola, De Palma ou Steven Spielberg. Grâce à ces parrains du cinéma, il va apprendre à aimer profondément le 7ème art, se forgeant une cinéphilie éclectique.

    À l'occasion de la sortie le 30 septembre de son nouveau film, Vers l'autre rive, Kiyoshi Kurosawa a accordé un entretien à AlloCiné dans lequel il revient notamment sur son obsession pour la figure du fantôme qui jalonne sa filmographie.

    Maeva Cestele

    AlloCiné : Vos derniers films, Tokyo Sonata et Shokuzai, ont marqué une rupture dans le style Kurosawa dans le sens où vous preniez vos distances avec le thème des fantômes qui est récurrent dans votre filmographie. Vous revenez aux histoires de fantômes une nouvelle fois avec Vers l’autre rive, pourquoi cette obsession pour cette sorte d’entre deux mondes et pour les revenants ?

    Kiyoshi Kurosawa : Je n’ai pas vraiment conscience d’être toujours à la recherche de ce thème des fantômes mais il est intéressant que vous le perceviez de cette façon. Avant Shokuzai, il y a eu une mode des films de fantômes au Japon et c’est un genre que j’apprécie, c’est pourquoi j’ai reçu de nombreuses demandes pour faire ce genre de films et c’est pour cela que j’en ai réalisé. Depuis Shokuzai, qui était une adaptation de roman, on m’a proposé d’adapter des livres au cinéma et pour Vers l’autre rive, qui est également un roman à la base, le hasard a voulu qu’il y ait des personnages de fantômes.

    Vers l’autre rive est un film de fantômes mais qui n’est pas du tout classé dans le genre horreur, et pour moi, c’était quelque chose de totalement nouveau.

    Après les fantômes inquiétants et terrifiants de Kaïro, Séance ou Rétribution, vous mettez en scène un revenant apaisé, Yusuke (Tadanobu Asano), qui cherche à terminer son voyage vers l’au-delà et aider d’autres fantômes à passer de l’autre côté. Est-ce que ça veut dire que vous êtes plus apaisé maintenant en tant que cinéaste et que vous voulez vous éloigner du genre horreur qui a fait votre marque de fabrique ?

    Je me considère comme une personne qui a toujours été plus ou moins apaisé même si j’ai fait beaucoup de films qui font plutôt peur ; mais effectivement, Vers l’autre rive est aussi un film de fantômes mais qui n’est pas du tout classé dans le genre horreur, et pour moi, c’était quelque chose de totalement nouveau. C’était très agréable de ne pas avoir cette obligation de devoir faire peur, ce qui m’a permis de pouvoir faire jouer à mes acteurs des fantômes totalement différents et c’était vraiment très intéressant.

    Comment réfléchissez-vous à votre mise en scène sur le plateau ? Vous faites surtout des plans fixes, larges, des travellings maîtrisés et presque pas de gros plans ni de caméra portée ? Pourquoi ces choix ?

    Je n’avais pas vraiment conscience qu’il y avait autant de plans larges et fixes dans Vers l’autre rive mais en entendant votre question, je m’en rends effectivement compte ; pour l’expliquer, je dirais que c’est sûrement dû au fait que les acteurs bougent peu, il y a peu d’éléments violents, de grands mouvements brusques mais beaucoup de scènes où ils ne bougent pas tellement. C’est pour cela que de manière naturelle, j’ai choisi de faire des plans fixes. Toutefois, il y a parfois des mouvements soudains, notamment chez l’actrice principale (Eri Fukatsu) qui va d’un coup se mettre à courir, se jeter dans les bras de son mari (Tadanobu Asano) ou traverser la rue pour le fuir. Ces mouvements soudains sont vraiment révélateurs de ses émotions et comme cela contraste avec le peu de mouvements qu’on voit dans le film, le spectateur le garde en mémoire et se rend compte que ces mouvements traduisent quelque chose de grave chez le personnage.

    J'aime beaucoup cette frontière infime qu'on ne perçoit pas entre les vivants et les morts.

    L’apparition de vos fantômes, toujours très matérielle, palpable, fait penser à la manière des apparitions de fantômes dans Shining de Stanley Kubrick ; est-ce que vous aviez cette référence en tête ? Vos fantômes, comme ceux de Kubrick, ne traversent pas les murs et ne sont pas transparents par exemple, comme on peut le voir dans presque tous les films de ce genre. Pourquoi les rendre palpables ?

    J’ai bien sûr vu Shining mais je ne sais pas si le film m’a influencé ou pas, en tout cas, pas consciemment ; c’est un film intéressant car il est très difficile de l’interpréter, on ne sait pas qui est vivant ou qui est un fantôme et j’adore cela. Un personnage peut paraître très vivant mais peu à peu, on en vient à se demander s’il n’est pas mort et j’aime beaucoup cette frontière infime qu’on ne perçoit pas entre les vivants et les morts. Donc peut-être qu’inconsciemment, Shining m’a influencé en ce sens.

    Quel est le film qui a eu le plus d’influence sur vous ?

    Il y a un film qui est vraiment un modèle pour moi, il s’agit des Innocents de Jack Clayton, sorti en 1961. La façon de mettre en scène les fantômes est réellement fascinante. C’est un film qui ne fait pas appel à des techniques révolutionnaires d’effets spéciaux mais qui est tout de même impressionnant. Juste le fait qu’un acteur se tienne debout au milieu d’un plan, on se dit que ce n’est pas possible que ce soit un être humain, pas besoin de le faire flotter dans l’air, juste par sa position, on se rend compte que c’est un fantôme. Il y a un côté terrifiant et fascinant dans ce film qui est une influence majeure pour moi.

    Durant le tournage de la scène d'amour, je n'osais à peine regarder tellement je me sentais gêné.

    Dans Vers l’autre rive, vous avez réalisé une scène d’amour, or, vous n’aviez jamais filmé de scènes de sexe si on excepte vos débuts au cinéma dans le pinku eiga, le roman porno japonais ; vous qui évitez toujours soigneusement de tourner ce genre de scène, pourquoi avoir choisi de le faire pour ce film ? Est-ce que la question du sexe vous pose un problème en termes de mise en scène ?

    En effet, quand j’ai commencé dans le pinku eiga, nous étions évidemment obligés de tourner ce genre de scènes mais avec moi ça ne marchait pas. Je me suis rendu compte que je n’étais vraiment pas doué pour tourner ces scènes mais en plus, je n’en avais pas envie et j’en ai vraiment pris conscience à ce moment-là. Pendant longtemps, je me suis donc refusé à tourner des scènes d’amour et pour Vers l’autre rive, je n’en avais pas envie non plus. C’est mon producteur qui m’a dit qu’il était absolument nécessaire pour les personnages du film qu’il y ait une scène d’amour. Et donc, progressivement, en me confrontant de plus en plus avec l’histoire, il m’a paru logique que je devais inclure une scène de ce genre. À moitié obligé, je me suis donc laissé convaincre de tourner cette scène. Toutefois, comme vous avez pu le constater dans le film, ce n’est pas une scène très osée, c’est simplement un couple qui s’aime et qui fait l’amour. Bien sûr, la particularité est qu’un des personnages est mort. En tout cas, je n’avais pas du tout confiance en moi quand j’ai tourné cette scène, j’avais presque honte alors que ce n’est pas du tout à moi d’avoir honte dans ce contexte-là. Mais grâce au travail des acteurs qui ont vraiment été super, cela donne l’effet d’une scène assez naturelle. Durant le tournage, je n’osais à peine regarder tellement je me sentais gêné.

    Il y a une scène très poignante dans le film, celle où une fillette fantôme vient jouer un morceau de musique au piano. L’ouverture du film se fait également via une petite fille qui joue du piano, cela fait directement écho au jeune garçon qui joue aussi du piano dans Tokyo Sonata ; cet instrument devient un motif récurrent dans vos films. Pourquoi ?

    Pour moi, avoir un acteur qui joue d’un instrument, quel que soit l’instrument, c’est important. Ici, cela m’intéressait d’abord par la musique agréable qui s’en dégage et cette impression que le personnage ne va faire qu’un avec la musique ; le jeu d’acteur prend également une autre dimension, le comédien n’est pas simplement concentré dans son jeu, il est aussi dans un état spécial qui procure des émotions intenses et c’est pour cela que les scènes où les personnages jouent d’un instrument sont importantes. Que ce soit de la guitare, de l’harmonica, l’effet est le même, quel que soit l’instrument. Il faut savoir aussi que le piano est un instrument très répandu au Japon, c’est naturel d’en avoir un dans une pièce de sa maison sans que cela ne choque le regard et c’est aussi sans doute pour cela que j’ai choisi le piano.

    Dans Kaïro par exemple, les fantômes pouvaient directement faire référence à la vague de suicides qui a endeuillée la société japonaise dans les années 90 et début 2000 dans ce que les japonais surnomment « la décennie perdue » ;  dans Vers l’autre rive, on pense évidemment à la souffrance du peuple japonais depuis la catastrophe de Fukushima. Est-ce que vous avez pensé à cela en mettant en scène ce film ? En quelque sorte, est-ce que les grandes catastrophes qui frappent votre pays influencent votre travail ?

    Depuis l’étranger, on me dit souvent que mes films peuvent faire écho à l’actualité et c’est un regard très particulier et intéressant de la part du public français. Personnellement, je n’en ai pas conscience. La catastrophe de Fukushima a bien sûr laissé une cicatrice très profonde chez moi et chez tous les japonais, donc forcément, cela doit inconsciemment apparaître dans mes films mais je ne m’en rends pas compte. Je suis très heureux si de l’étranger les gens peuvent se rendre compte de ce genre de chose mais pour Vers l’autre rive, je n’avais pas conscience de faire écho à l’actualité, je voulais simplement raconter l’histoire d’un couple, l’histoire de leur vie.

    Vous avez tourné près d’une dizaine de films avec votre acteur fétiche Koji Yakusho . Vous qui utilisez beaucoup le motif du double dans vos oeuvres (Séance / Doppelganger), est-ce qu’on peut dire que Koji Yakusho est votre double, votre alter ego ?

    Koji Yakusho n’est pas vraiment un double mais nous avons exactement le même âge, nous avons vieilli ensemble au même rythme. C’est vrai que j’essaie toujours d’intégrer dans mes films un personnage de la même génération que moi, ce n’est pas forcément un double mais quelqu’un sur qui je peux faire refléter des choses dont je rêve ou des choses pour lesquelles je me sens coupable. En tout cas, il y a toujours une part de moi-même qui va se retrouver dans ce personnage qui a le même âge que moi. Après avoir écrit le scénario, je me demande qui va jouer ce rôle et forcément, je pense toujours à Koji Yakusho et nous aurons sûrement dans le futur des projets communs, Koji attend cela avec impatience.

    Metropolitan FilmExport
    Tourner en France, c'est un rêve qui se réalise.

    Vous avez tourné en France La Femme de la plaque argentique qui sortira prochainement. Qu’est-ce que cette expérience vous a apporté en tant que cinéaste étranger ?

    Le film n’est pas encore fini, nous en sommes au mixage, c’est aussi pour cela que je suis venu en France. Je ne sais pas encore ce que ça va donner mais en tout cas, c’est un rêve qui se réalise, je ne pensais pas avoir l’occasion un jour de tourner en France. C’est d’ailleurs le rêve de tout réalisateur japonais de pouvoir travailler en France ou aux USA. Le hasard a voulu que par chance, je puisse réaliser un film en France et je ne peux que m’en réjouir. Durant le tournage, ce qui m’a marqué reste le fait qu’il n’y a pas du tout de différence entre le Japon et la France, l’équipe était très sensible à mes volontés artistiques et faisait tout pour me satisfaire en ce sens et j’en suis très heureux. Idéalement, j’aimerais beaucoup alterner des tournages en France et au Japon.

    Pouvez-vous nous dire un petit mot sur votre nouveau projet, Creepy ?

    J’ai en ce moment un emploi du temps très chargé ; je viens de terminer le tournage de Creepy il y a une semaine et le montage m’attend dès mon retour au Japon. C’est un film complètement différent de Vers l’autre rive, il s’agit d’un psycho-thriller dans la même veine que Cure.

    Propos recueillis par Vincent Formica à Paris le lundi 14 septembre 2015

    Kiyoshi Kurosawa à propos de Real, sorti en 2014

     

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top