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    The Last of us Part II, le fabuleux diamant noir d'un studio au sommet de son art
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Après sept ans d'attente, la suite du chef-d'oeuvre vidéoludique "The Last of us" sort enfin. Dans ce second volet absolument magistral, capable d'atteindre des sommets d'émotion, le studio Naughty Dog donne le meilleur de lui-même.

    SCEE / Naughty Dog

    En juin 2013, The Last of us débarquait sur PS3. Dès les 10 premières minutes, absolument tétanisantes, le jeu développé par le studio Naughty Dog harponnait le joueur pour ne plus jamais le lâcher, jusqu'à un ultime dénouement à double lecture, porteur d'une charge émotive à fendre les pierres en deux. Gorgé de moments de pure terreur et de tensions, qui laissaient place avec une fluidité déconcertante à des plages de mélancolie et de poésie au milieu d'un paysage de désolation aussi grandiose que terrible, c'est peu dire que les (més)aventures de Joel et Ellie ont laissé une empreinte indélébile dans la mémoire vidéoludique de nombreux joueurs et joueuses; en même temps d'être un sublime chant du cygne d'une console en fin de vie.

    Il aura donc fallu attendre sept ans, sept interminables années, entre-coupées il est vrai par la formidable récréation que fut Uncharted 4 et son spin-off, pour que la flamme sacrée soit ravivée de plus belle, avec la sortie de The Last of us Part II. Il faut dire aussi qu'entre temps, le premier volet s'est vendu à plus de 17 millions d'exemplaires, en incluant la version PS3 et la version remastered sortie sur PS4. Un chiffre exceptionnel pour une licence exclusive à un support, qui souligne aussi un peu plus l'importance d'un jeu devenu au fil des ans un authentique phénomène culturel.

    De quoi mesurer aussi le poids probablement écrasant que le premier volet a fait peser sur les épaules pourtant déjà larges du studio, dont le talent n'est depuis longtemps plus à faire ni à prouver, tout au long du développement de cette seconde partie d'un récit débuté sept ans plus tôt. Etait-il seulement possible de se hisser à la hauteur d'un opus qui tutoyait déjà des sommets, même s'il n'était pas non plus exempts de reproches ?

    Au terme de nos 25/30h de jeu, la réponse tient de l'évidence : oui, mille fois oui. Et, pour être plus clair encore : si The Last of us était un fabuleux diamant noir brut mais non dénué de scories, The Last of us Part II en est totalement débarrassé. Affinant (raffinant même) sa recette avec une précision digne d'un horloger suisse, Naughty Dog délivre un jeu d'une puissance visuelle et viscérale absolument incroyable, faisant passer le joueur par des ascenseurs émotionnels complètement fous. Par ses audaces narratives et formelles, voire même parfois le jusqu'au-boutisme de celles-ci, qui pourraient en défriser certains, The Last of us Part II est une oeuvre qui hante durablement la mémoire.

    Poésie de l'apocalypse

    Dans TLOU 2, il y a d'abord l'écrin visuel. On pensait que le studio avait déjà par le passé atteint une sorte d'acmé dans son savoir-faire, c'était visiblement mal le connaître. Les superlatifs nous manquent pour qualifier le travail d'orfèvre des équipes de Naughty Dog sur le titre. C'est beau à pleurer. Si le cadre du récit offre de somptueux paysages montagneux et vallonnés comme ceux du Wyoming, que n'aurait d'ailleurs pas renié un Michael Cimino et sa Porte du Paradis, que dire devant ce merveilleux plan d'une ferme posée au milieu d'un champ de blé, dont les rayons d'un soleil couchant carresse les blés ? Un plan dont la composition n'est d'ailleurs pas sans rappeler le fabuleux travail du chef opérateur Néstor Almendros sur Les Moissons du ciel de Terrence Malick (lui-même inspiré de la composition picturale du fameux tableau d'Edward Hooper peint en 1925, "La maison près de la voie ferrée"). On pourrait multiplier à l'envie les exemples de ces plans qui pourraient être contemplés comme une toile.

    Naughty Dog

    Sillonnant le pays à cheval (un peu) et à pied (beaucoup), la mâchoire du joueur se décroche plus d'une fois lorsqu'il arrive dans la ville de Seattle et la parcourt, et qui constitue d'ailleurs le coeur du jeu. Baignant dans une sublime architecture des ruines, les grattes-ciels de la ville découpent leurs inquiétantes silhouettes en arrière-plan, avec une profondeur de champ stupéfiante, tandis que l'on découvre, un brin médusé, les restes émouvants et épars d'une civilisation qui s'est effondrée sur elle-même. Tout, absolument tout dans le jeu, donne l'impression d'avoir fait l'objet d'un soin maniaque du détail proprement sidérant. Chaque brin d'herbe, chaque mur en ruine, chaque effet de lumière, donne l'impression d'avoir été posé là avec une rigueur toute scientifique. L'occasion de mesurer aussi à quel point la narration visuelle pèse lourd dans le jeu : tout a un sens et une histoire à raconter. Et si certains pouvaient nourrir des craintes sur une répétitivité des environnements dans la ville qui concentre une part très importante du récit, là aussi les équipes de Naughty Dog se chargent tranquillement d'anesthésier les doutes.

    "The Last of us était une histoire d'amour. The Last of Us Part II est une histoire de haine. En surface, c'est une simple "histoire de vengeance". Mais au fur et à mesure que vous plongerez dedans, ses thèmes plus profonds émergeront. C'est une histoire de tribalisme; sur la manière dont nous avilissons et déshumanisons l'autre. C'est aussi l'histoire d'une obsession; quand devons-nous laisser les choses filer ? Mais aussi quand faut-il à tout prix les retenir ? C'est l'histoire d'un traumatisme, d'une rédemption et d'une empathie" expliquait Neil Druckmann, Game Director du jeu et scénariste. Une magnifique profession de foi à vrai dire. Adoptant une structure narrative tout droit importée de Rashomon (pour mémoire / rappel : Le mot "Rashomon" est entré fin 2008 dans le prestigieux Oxford English Dictionary, qualifiant les interprétations contradictoires d'un même événement par différentes personnes et directement tiré du film d'Akira Kurosawa), Druckmann a aussi été épaulé dans sa lourde tâche par la plume aiguisée de la scénariste Halley Wegryn Gross, qui s'est notamment chargé de tracer l'arc narratif autour du personnage d'Abby dans le le jeu. Une première expérience dans l'univers du jeu vidéo pour l'intéressée, qui a exercé son talent dans le monde des séries comme scénariste. Elle a notamment travaillé sur Westworld et Too Old to Die Young de Nicolas Winding Refn.

    Naughty Dog

    Dans un récit multipliant les séquences de flashbacks mais sans jamais perdre le fil ténu de son intrigue, le joueur est ballotté dans une histoire d'une noirceur abyssale qui a des allures de tragédie antique. Les personnages sont mus par l'hubris; c'est à dire l'excès, la démesure, l'orgueil et même la confiance excessive en soi, qui peut conduire à des erreurs fatales. Alternant des séquences tendues à craquer où la rage des personnages explose dans une violence viscérale (même au sens littéral du terme...) d'une sauvagerie inouïe, avec des séquences en apesanteur, profondément émouvantes, que l'on regarde pour certaines d'entre elles le coeur serré ou meurtri comme des blessures à l'âme, le joueur passe ainsi par une palette d'émotions incroyables dont certaines ont la vigueur d'un uppercut. C'est tout le génie, en tout cas la science de l'écriture, du duo de scénaristes, qui maîtrise à la perfection la fameuse roue des émotions de Robert Plutchik.

    Professeur et psychologue américain auteur d'une classification des réactions émotives générales, il considère qu'il existe huit émotions de base : la joie, la peur, le dégoût, la colère, la tristesse, la surprise, la confiance et l'anticipation. Dans sa roue des émotions, il proposait ses 4 émotions fondamentales qualifiées de primaires (la peur, la colère, la joie, la tristesse), qui s'associent à des mécanismes de mémoire et de réflexion pour donner 4 autres émotions fondamentales secondaires : la confiance (liée à la joie), le dégoût (lié à la tristesse), l'anticipation (liée à la colère) et la surprise (liée à la peur). De la pure digression pensez-vous ? Absolument pas. Nous sommes passé par tous ces spectres émotionnels dans le jeu, au gré d'une mise en scène absolument magistrale.

    Naughty Dog

    Tant qu'à parler de ce maelström d'émotions justement, il faut rendre grâce à la direction et au jeu des acteurs, qui rendent cela possible. Magnifiés par une animation (faciale notamment) de très, très haute volée, Troy Baker (Joel), Ashley Johnson (Ellie), Shannon Woodward  (Dina), Jeffrey Pierce (Tommy, le frère de Joel) et Laura Bailey (Abby) donnent le meilleur d'eux-même, semblant même parfois pousser leurs incarnations numériques respectives jusqu'à un point d'incandescence jamais atteint. C'est alors que l'on repense à ce que nous avait dit David Cage, le créateur du jeu Detroit : Become Human et plus anciennement Beyond Two Souls, dont l'actrice Ellen Page était la vedette. Ce dernier nous avait raconté avoir été une fois quelque peu agacé par la remarque d'un journaliste sur l'un de ses jeux, lui demandant alors : "Où est le fun ?" Comme si une oeuvre développée sur le medium qu'est le jeu vidéo devait nécessairement, presque fatalement, être réduite à sa dimension ludique.

    Par sa richesse thématique dont on n'a pas fini d'épuiser les sujets (notamment la religion, qui mériterait à elle seule tout un développement, avec ses personnages du jeu ayant presque tous des noms bibliques), par la force de son récit, de son propos et de sa mise en scène, par sa qualité technique époustouflante, il nous semble que The Last of us Part II fini presque par évacuer au bout du compte cette dimension ludique, pour offrir une expérience viscérale, sensorielle, brute, qui se rapproche le plus possible du cinéma. A une nuance près, et de taille : au-delà de l'interactivité qui sépare les deux arts, seul le jeu vidéo est encore capable d'offrir une telle expérience intime sur une durée aussi longue. A ce titre, on louera d'ailleurs la très sage décision d'avoir transformé le projet d'adaptation de la licence en série (à venir sur HBO), plutôt qu'en film...

    In fine, c'est exténué, les méninges en feu, que l'on repose notre manette à la fin de cette aventure, tandis que l'on reste de longues minutes devant notre écran, à contempler le générique de fin qui se déroule sous nos yeux rougis par la fatigue et l'émotion. La nostalgie nous gagne déjà. Et avec elle la sensation bien vivante, tenace, d'avoir vécu une expérience intime, douloureuse parfois, hors du commun, grâce à une oeuvre qui fera date dans l'Histoire du jeu vidéo.

     

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