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    Joker, Split, Psychose... quand le cinéma stigmatise les maladies mentales. C'est quoi la psychophobie ?
    Thomas Desroches
    Thomas Desroches
    -Journaliste
    Les yeux rivés sur l’écran et la tête dans les magazines, Thomas Desroches se nourrit de films en tout genre dès son plus jeune âge. Il aime le cinéma engagé, extrême, horrifique, les documentaires et partage sa passion sur le podcast d'AlloCiné.

    Depuis les débuts du cinéma, les maladies mentales ont la vie dure. Aujourd'hui, on parle de psychophobie. Décryptage du mécanisme d'une industrie qui fait souvent fausse route.

    Ils suscitent la fascination mais aussi l’effroi. Au cinéma, notamment à travers l'horreur et le thriller, les personnalités complexes donnent naissance à de grands personnages. Norman Bates dans Psychose, Hannibal Lecter dans Le Silence des agneaux, Kevin dans Split ou encore les différentes variations du Joker, pour ne citer qu’eux.

    Antagonistes emblématiques, ils partagent un point commun : tous présentent des troubles psychiatriques.

    Avec la fiction, les maladies mentales ont la vie dure. C’est d'abord le cas dans la littérature, mais surtout dans le cinéma. L’image reste le média le plus puissant. Les représentations négatives influencent la perception des spectateurs, favorisant les clichés et les préjugés.

    Ceux qui en payent le prix fort sont les malades eux-mêmes. Depuis plusieurs années, on parle de psychophobie - en d’autres termes, la stigmatisation des troubles mentaux.

    L’association entre la maladie mentale et la violence est purement fantasmatique.

    Cette représentation négative remonte au tout début du cinéma. En 1904, Edwin Stanton Porter réalise Maniac Chase - produit par l’inventeur Thomas Edison. Le film, d’une durée de 8 minutes, s’ouvre sur un patient enfermé dans une cellule de prison en tenue de Napoléon. Il faut attendre quelques secondes pour que la scène bascule dans la violence. Le personnage se jette sur l’infirmier avant d’être maîtrisé par le personnel pénitencier.

    L’association entre la maladie mentale et la violence est purement fantasmatique", rappelle Christophe Debien*, psychiatre hospitalier au CHU de Lille. "C’est l’une des principales conséquences des représentations visibles au cinéma.”

    Rappelez-vous, à la fin de Psychose d’Alfred Hitchcock, le psychiatre justifie les crimes de Norman Bates en énonçant un diagnostic sur son patient. Mais les études de nombreux chercheurs américains le prouvent : les troubles psychiatriques ne favorisent, en aucun cas, les actes dangereux.

    Universal Pictures
    Norman Bates (Anthony Perkins) dans "Psychose" d'Alfred Hitchcock.

    Pourquoi un tel cliché perdure ? La réponse est simple : rationaliser l’impensable. “C’est difficile d’accepter qu’en tant qu’être humain, sans d’autre explication que la maladie, on serait capable de tuer quelqu’un", explique Christophe Debien. "On préfère se rattacher à ces idées-là, ça nous rassure.”

    La représentation des maladies mentales au cinéma crée également une confusion. Les troubles dissociatifs de l’identité, les personnalités multiples, la schizophrénie… toutes ces pathologies sont souvent mélangées dans un seul et même état. Les mots, eux, sont utilisés à tort et à travers.

    Certains symptômes, récurrents dans les films, sont même inexacts. À l’instar de Split de M. Night Shyamalan. L’existence d’un cas comme celui du personnage de Kevin - qui a 24 personnalités - est relativement rare et sert simplement de prétexte pour un film à grand spectacle.

    Universal Pictures
    Kevin (James McAvoy) dans "Split" de M. Night Shyamalan.

    Lorsque Arthur imagine la présence de sa voisine tout au long du Joker de Todd Philips, il s’agit là encore d’un cliché. On le retrouve dans de nombreux films, comme Black Swan, Repulsion, Donnie Darko...

    On ne peut pas en vouloir aux scénaristes de ne pas faire des études de médecine", accorde Christophe Debien. "L’image est importante donc l’hallucination visuelle est un raccourci facile.”

    Dans la schizophrénie, on parlera surtout d’hallucinations acoustico-verbales ou auditives - entendre des sons, des voix. Un symptôme que le film Clean, Shaven de Lodge Kerrigan décrit parfaitement bien.

    Avec le recul, certains acteurs et actrices regrettent leur interprétation et les fausses idées qu’ils ont, involontairement, implantées dans l’esprit du public. C’est le cas de Glenn Close, engagée dans la sensibilisation sur les questions de santé mentale.

    En 1987, elle tient le rôle principal de Liaison Fatale et campe Alex Forrest, une femme dépendante affective qui n’accepte pas d’être éconduite par un homme marié.

    Un personnage a-t-il réellement besoin d’une maladie mentale pour être un bon méchant ?

    Ce personnage est aujourd’hui considéré comme l’une des plus grandes méchantes du cinéma américain. Or, la star américaine regrette que le film ait joué un rôle important dans la stigmatisation des troubles mentaux en transformant son rôle en monstre.

    Je ne l’ai jamais imaginée comme une méchante, juste comme une femme en détresse”, insiste-t-elle dans Vanity Fair. Si c’était à refaire, Glenn Close explique qu’elle ne la jouerait pas de la même manière.

    Ces représentations sensationnalistes présentent plusieurs risques. Elles peuvent favoriser l’isolement et la mauvaise image que les personnes atteintes ont d’elles-mêmes. “Surtout, ils peuvent s’éloigner des soins dont ils ont besoin”, alerte Christophe Debien.

    Dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, classique de Miloš Forman, le personnel soignant et les psychiatres sont représentés comme les ennemis des patients.

    United Artists
    Plan tiré du film "Vol au-dessus d'un nid de coucou" de Miloš Forman.

    Pour changer la donne, il ne s’agit pas d’empêcher la liberté de créer des histoires. Christophe Debien insiste : il ne faut pas confondre censure et précaution.

    Loin de nous l'idée d’imposer des restrictions, mais plutôt rappeler aux scénaristes qu’ils doivent être vigilants et les questionner : un personnage a-t-il réellement besoin d’une maladie mentale pour être un bon méchant ?

    L’autre solution est aussi d’entourer, avec précaution, la sortie d’un film avec l’organisation de différents débats, de conversations autour des thématiques explorées. Rappeler, simplement, que les troubles visibles à l’écran ne sont pas représentatifs de la réalité.

    Propos recueillis par Thomas Desroches.

    Pour aller plus loin - la maladie mentale au cinéma, ces films qui en parlent bien :

    • Clean, Shaven de Lodge Kerrigan

    *Christophe Debien est un praticien spécialisé dans la psychiatrie au CHU de Lille. Il est l'auteur du livre Nos héros sont malades, édité aux éditions Humensciences. Il est également le coauteur de la chaîne YouTube PsyLab qui vulgarise le monde de la psychiatrie avec les films et les séries.

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