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    "La jeunesse ne va pas bien" : le cyber-harcèlement au coeur d'une série Prime Video qui aide à comprendre
    Thomas Pouilly
    Thomas Pouilly
    -Rédacteur
    D’Ici Tout Commence à Squid Game, en passant par Chair tendre, Thomas Pouilly sait qu’il passera toujours une bonne soirée en matant une bonne série.

    A l’occasion de la mise en ligne de la série "Nudes" sur Amazon Prime, les réalisatrices Andréa Bescond et Sylvie Verheyde reviennent, pour AlloCiné, sur leur portrait d’une jeunesse qui prend des nudes et subit cyber-harcèlement et revenge porn.

    On pose son téléphone. Ce jeudi 1er février, Amazon Prime Vidéo vous invite plutôt à découvrir sa nouvelle série française, baptisée Nudes.

    Véritable anthologie télévisée, Nudes nous propose de découvrir trois histoires distinctes, celles de Victor (Baptiste Masseline), Ada (Nelligan) et Sofia (Léonie Dahan-Lamort), trois jeunes à des âges différents de l’adolescence, qui ne se connaissent pas et n’ont pas grand-chose en commun.

    Tous trois sont, toutefois, familiers des nudes, c’est-à-dire des photos dénudées d’eux-mêmes envoyées à une personne de confiance, généralement un ou une partenaire amoureuse ou sexuelle. Malheureusement, ces nudes ne sont pas toujours pris ni partagés de manière consentie par la personne concernée.

    Pour Allociné, Andréa Bescond (Les chatouilles, Quand tu seras grand) et Sylvie Verheyde (Stella, Madame Claude), deux des trois réalisatrices de Nudes, ont accepté de revenir sur le tournage de la série...

    Allociné : Nudes ressemble peu à ce qu’on a l’habitude de voir en matière de séries puisqu’il s’agit d’une anthologie, d’une part, et, d’autre part, car trois réalisatrices différentes (Andréa Bescond, Lucie Borleteau et Sylvie Verheyde) ont été choisies pour raconter les histoires des trois protagonistes. Comment s’est fait ce projet ? Est-ce que vous avez échangé ou travaillé ensemble à un moment ou un autre de la série ?

    Sylvie Verheyde : En fait, c’est moi qui suis arrivée la première sur ce projet. Quand Grégory [Strouk, producteur] m’a parlé de cette série norvégienne dont il avait acheté les droits et qu’il voulait adapter en France, je lui ai tout de suite dit oui parce que je me sentais non seulement concernée par le sujet, mais aussi parce que j’étais frustrée après avoir réalisé Stella est amoureuse. Je trouvais super plusieurs jeunes filles qui jouent des petits rôles dedans et j'avais envie de continuer de travailler avec elles.

    Avec Grégory, on a réfléchi à qui pourraient être les deux autres réalisatrices de la série. On a alors pensé à Andréa.

    Andréa Bescond : Et comme Sylvie, j’ai été hyper sensible aux thèmes de la série. Ça m’a aussi énormément intéressée de partir du point de vue des jeunes plutôt que des adultes.

    Grégory m’avait d’abord proposé l’histoire d’Ada parce qu'il sait que je parle beaucoup de pédocriminalité, mais j’avais plutôt envie de traiter le point de vue d’un mec accusé cette fois, en l’occurrence de Victor. Ce qui est cool, c’est que pour Lucie, parler d’Ada était une évidence, donc on ne s’est pas du tout battu pour choisir chacune un personnage !

    Claude Pocobene

    Sylvie Verheyde : Après ça, on a eu une réunion avec Amazon, où on nous a dit "Osez !", ce qui était vraiment cool !

    Sinon, on s’est plutôt concertées en amont du tournage de la série, pendant sa préparation. Avec Andréa, on a, par exemple, un peu mélangé nos équipes pour qu’il y ait une espèce de cohérence entre les différentes histoires racontées par la série. On s’est aussi dit qu’on avait envie de faire de la fiction et pas du documentaire. Mais après, on s’est laissée pénarde.

    Ce qui est frappant dans la série, c’est qu’on ne parle pas tant de nudes mais de relations humaines, des dérives liées aux usages plutôt que de concevoir cette nouvelle pratique comme un danger en soi. Est-ce que c’était quelque chose d’important pour vous ?

    Andréa Bescond : Oui, d’autant que ce n’est pas vrai : tant que ça s’inscrit dans une relation et une démarche consentie, ça peut être assez cool de pouvoir se partager des images intimes, et ce à n'importe quel âge. On n’a pas de jugement à apporter là-dessus : les ados ne cherchent pas à savoir si les nudes, c’est bien ou mal, ça fait partie de leur vie, c’est tout.

    Les parents ne portent pas non plus le regard un peu méfiant et moralisateur auquel on pourrait s’attendre…

    Sylvie Verheyde : Non, parce que les parents ont aussi été des ados. Ils savent qu’à cet âge-là, c’est le groupe qui compte, même si ce qu’il pense n’a certainement jamais autant compté qu’aujourd’hui.

    Andréa Bescond : C’est ça. Et puis, on voulait avant tout décrypter les mécanismes de la colère, se demander ce qui pousse chaque personnage à agir de la sorte.

    Sylvie Verheyde : On voulait aussi dire que ce genre de situation peut arriver à n'importe qui parce que n’importe qui peut être, un jour, animé par la jalousie, l'envie ou un sentiment d'abandon et finir par faire n’importe quoi.

    La tonalité de la série est assez sombre. Pourquoi ce choix ?

    Sylvie Verheyde : Parce que le sujet est difficile, on parle tout de même de trois drames. La jeunesse ne va pas bien, le taux de suicide monte, le confinement n’a pas aidé… Et malgré tout ça, il y a quand même une sorte de force de vie, d’élan vital qui se dégagent de nos personnages dans chaque épisode et qui font qu’ils gardent la tête hors de l’eau.

    Andréa Bescond : C’est ça. On est partie d’un sujet glauque pour en faire une série pleine de vie et d’énergie. Sans vouloir nous jeter des fleurs, nos montages sont, en plus, ultra dynamiques. Il y a aussi des bandes sons très vives, très fortes, très viscérales. Au bout du compte, on ne tombe jamais dans le misérabilisme.

    La série comporte de multiples scènes de nudité ou de sexualité. Est-ce que vous avez fait appel à un ou une coordinatrice d’intimité ?

    Sylvie Verheyde : Oui ! Mon angoisse, c’était de faire une série pour dénoncer les dérives liées aux nudes et qu’au final, certaines personnes en tirent des nudes.

    L’histoire de Sofia que je raconte repose sur le fait qu’on la voit coucher pour la première fois avec une fille lors d’une fête. Typiquement, à ce moment-là, on s’est demandé quoi montrer, quel message on voulait envoyer. Avant ça, il y avait une scène où le script prévoyait, à la base, que Sofia soit toute nue, ce que je n’ai pas fait. A la place, on a imaginé un maquillage un peu aquatique pour la comédienne.

    Plus largement, qu’elles avaient déjà tourné avant ou non, mes comédiennes savaient s’imposer quand il y avait quelque chose qu’elles voulaient ou qu’elles ne voulaient pas. On en a aussi discuté.

    Claude Pocobene

    Andréa Bescond : En ce qui me concerne, je voulais absolument éviter de montrer le corps des femmes, même pour une scène de sexe. Je voulais qu’il soit préservé. C’est pour ça que la vidéo de Sarah que Victor prend et autour de laquelle tourne mon histoire n’est jamais montrée et que l’on voit uniquement Victor la filmer. C’était important pour moi que la seule paire de fesses qu’on voit dans mes épisodes soit finalement celle de Victor.

    Je me souviens, d’ailleurs, que pour le tournage d’une scène de sexe avec Victor, je demandais régulièrement l’avis de la coordinatrice d’intimité mais elle n’avait pas grand-chose à redire puisque ce que je voulais faire était assez chorégraphique, je l’avais tellement en tête que je l’ai beaucoup dirigée. En fin de compte, sa présence était surtout rassurante.

    Sylvie Verheyde : Ça a été pareil pour moi. Sa présence sécurise les actrices et les acteurs. Elle nous sécurise également nous, réalisatrices. C'est important.

    Pour vous, y a-t-il matière à raconter d’autres histoires dans une saison 2 ? Quelles autres réalisatrices pourraient prendre votre suite ?

    Sylvie Verheyde : Des réalisateurs aussi, j’espère !

    Andréa Bescond : Clairement ! Ça pourrait être intéressant d’avoir le regard de mecs sur ces sujets…

    Sylvie Verheyde : En tout cas, j’aimerais bien qu’Hafsia Herzi [Trois nuits par semaine, une nomination aux César 2024 pour le César de la meilleure actrice avecLe ravissement], fasse un épisode.

    Andréa Bescond : Ah ouais, ça serait super ! Je pensais aussi à Maïmouna Doucouré [Mignonnes, César 2017 du meilleur court-métrage pour Maman(s)].

    Mais quel que soit le réalisateur ou la réalisatrice, la matière existante sur ce genre de sujet est malheureusement sans fin. Regardez, pour les féminicides : cela a beau être toujours des crimes de possession, le parcours et les motivations de l’agresseur peuvent varier, si bien qu’une fiction ne suffirait pas à décrire ce qu’est un féminicide. C’est pareil, ici, avec le cyber-harcèlement, le revenge porn ou la pédocriminalité.

    Sylvie Verheyde : Et puis, à travers les drames évoqués, il s’agit aussi de proposer une sorte de photographie de la jeunesse d'aujourd'hui et de demander à des personnes qui n’ont pas déjà une vision toute faite de la jeunesse de la raconter. Et là-dessus, il y a également encore beaucoup à dire.

    Propos recueillis à Paris le 24 janvier 2024.

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